Les profs, l’école et la sexualité

Claude LELIEVRE, Francis LEC, éditions Odile Jacob, 2005, 350 p.

L’église catholique a toujours tenté de réduire la sexualité, en la confinant à la stricte nécessité de la reproduction biologique. C’est très naturellement qu’elle a appliqué cette doctrine à l’enseignement qu’elle a longtemps gardée sous sa coupe. L’école laïque a emprunté à sa rivale ces convictions : il lui fallait démontrer qu’elle pouvait éduquer moralement les enfants sans le secours des religions révélées. La seule conduite acceptable relevait du célibat, du sacrifice, de la vocation. Les enseignants devaient donc être insoupçonnables dans le domaine de la moralité sexuelle. Dans les collèges, ils se devaient d’habiter dans l’établissement, manger à la table commune et porter une longue robe professorale. Sous la troisième république, on ne compte guère plus d’un tiers d’instituteurs mariés. Si la mixité des élèves s’impose à compter des années 1950, c’est d’abord par souci d’économie, dans les campagnes pour regrouper les classes. Mais, « il faudra attendre longtemps avant que les planches anatomiques sans sexe et l’écorché castré disparaissent des livres et des salles de sciences naturelle » (p.114). C’est difficilement et douloureusement l’Education nationale a rompu avec le mythe du sanctuaire protégé des influences de la société et s’est ouvert à la question de la sexualité. Régulièrement, la question fait débat. Cela a été le cas en 1971, quand l’information sexuelle entre dans les programmes, en 2000, quand le droit est accordé aux infirmières scolaires, de donner la pilule du lendemain, la même année, quand un enseignant de français subit une garde à vue de trois heures sur plainte de parents. Son seul tort est d’avoir proposé à ses élèves la lecture commentée (traduit en quinze langues) du roman d’Agota Kristof  « Grand cahier » qui comporte des scènes de zoophilie et de fellation. L’ajustage entre  sexualité et école est donc encore problématique. Pourtant, expliquent les auteurs, l’acte d’enseigner procède d’un désir de fécondité spirituelle. La célèbre maïeutique  socratique supposait une relation homosexuelle « platonique », c'est-à-dire une relation pédérastique qui n’allait pas jusqu’à l’acte sexuel proprement dit. Le pédagogue moderne n’est guère différent. Il se doit d’être séduisant, sans jamais être séducteur. Car ce que cherche le maître, c’est que son élève devienne, par une série de renversements et de déplacements, amoureux non plus de lui, mais du savoir. Chaque relation pédagogique recèle donc une part de séduction naïve ou roublarde, troublante ou cynique. Certain(e)s ont franchi le rubicond, en se livrant parfois à leurs pulsions pédophiles ou en tissant aussi une relation amoureuse avec leur grand(e) élève adolescent(e). D’autres encore ont payé de leur vie ou de leur honneur des accusations odieuses. Si séduire, c’est corrompre l’innocence, c’est détestable. Mais si séduire, c’est plaire et captiver, cela est essentiel à l’art d’enseigner.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°787 ■ 02/03/2006