Mauvaises pensées d’un prof

OTT Laurent, éditions Fabert, 2009, 166 p.

Laurent Ott défend une conception pédagogique qui a le don de rendre les enfants heureux. Loin de s’ennuyer à l’école et de ne penser qu’à la prochaine récréation, pour enfin exister, ses élèves sont pressés de rentrer en classe et auraient plutôt tendance à rechigner à en sortir, quand la sonnerie résonne. Par quel miracle, trouvent-ils autant de plaisir aux apprentissages, quand la plupart de leurs petits camarades ne ressentent que de l’ennui ? L’école a toujours eu en horreur l’idée de confier à l’enfant la direction de son propre travail. Ce qu’apporte la pédagogie Freinet, car c’est bien d’elle dont il s’agit, c’est justement de rendre l’élève partie prenante, de l’impliquer, de privilégier sa participation. Ce qu’elle propose, ce n’est pas de travailler pour les élèves, mais avec eux. Elle invite à ouvrir la classe sur la vie, en refusant le mythe du sanctuaire. L’école traditionnelle a pris l’habitude d’accrocher les manteaux à l’extérieur de la classe et de vouloir y laisser, par la même occasion, les colères, les frustrations et les inquiétudes des enfants, l’enseignant étant invité, lui aussi, à poser sur le pas de la porte ses états d’âme, ses passions et ses émotions. Et si l’école s’emparait de ce que les élèves apportent avec eux, plutôt que de le laisser à l’état brut, au fond de leur cœur ? Cela implique de leur donner la possibilité de développer leur imagination et leur créativité. Cela passe par l’acceptation des conflits comme autant de moments de socialisation. Au lieu de dire à un enfant de se défendre à coups de poing, mieux vaut lui apprendre à exprimer ses besoins, à parler aux adultes, à apprendre à vivre en collectivité. Cela nécessite de prendre des risques, s’ils sont justifiés par un projet raisonnable, en acceptant l’existence d’une fatalité résiduelle. Aujourd’hui, ce qui règne, ce sont les savoirs fondamentaux, la recherche de l’ordre, de l’effort et de la discipline. En cas d’échec scolaire, ce n’est jamais l’école qui fonctionne mal, mais l’enfant ou sa famille qui est en cause : c’est « le niveau qui baisse » ou la faute des « parents démissionnaires ». La seule réponse qui y est faite ce sont des évaluations sommatives qui incitent encore plus à produire de la hiérarchie et de la comparaison. Cela a surtout comme conséquences la croissance exponentielle des sociétés de soutien scolaire cotées en bourse, dont les services font l’objet de crédits d’impôts et de déductions fiscales. Ce qui se vit au contraire dans les classes Freinet, c’est la transmission de savoirs et la pose de limites certes, mais tout autant la création d’un lien de confiance avec un adulte qui est là pour accueillir, accompagner et faire de la place à l’enfant pour qu’il devienne acteur de sa propre instruction.

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°984 ■ 09/09/2010