Le bavardage. Parlons-en enfin

EHNUEL Florence, 2011, Fayard, 164 p.

Le bavardage serait-il devenu le fléau de nos salles de classe ? Peu d’enseignants le reconnaissent et acceptent d’en parler ouvertement. Peut-être, par crainte de se voir reprocher leur échec pédagogique. Si leurs élèves parlent ainsi entre eux, pendant leur enseignement, c’est qu’ils ne sauraient pas les intéresser, les contrôler ou pire encore qu’ils manqueraient d’autorité. Florence Ehnuel a décidé de rompre le tabou, en commençant par décrire sa propre pratique professionnelle de professeur de philosophie et son impuissance face à ce qu’elle dénonce comme un manque de courtoisie, de savoir vivre et de maîtrise de soi. Mais, l’auteur va bien au-delà d’une simple réflexion sur la seule didactique. En cherchant à remonter aux causes de cette tare endémique qui tue la classe, pollue les cours, épuise les profs et disperse les élèves, elle ouvre une fenêtre sur des mutations contemporaines, dont l’impact est loin de se limiter à l’école. Première mise au point, les échanges verbaux qui perturbent le déroulement d’une classe n’ont rien à envier à ceux qui règnent dans les réunions de pré-rentrée, lorsque le chef d’établissement tient un discours devant l’ensemble des enseignants plus préoccupés à raconter leurs vacances, que de l’écouter. Le problème n’est donc pas limité aux élèves. Le travailleur social qui lit cette chronique aura vite fait d’établir un parallèle avec certaines réunions institutionnelles auxquelles il a déjà assisté ! Un groupe humain jacasse, pépie, échange, sauf à être fasciné par le charisme d’un orateur ou terrifié par la toute puissance d’un tyran, commente Florence Ehnuel. Mais cette constante sociologique semble s’être aggravée depuis quelques décennies. Comment s’en étonner ? Il suffit de se tourner vers la télévision et ses débats mettant en scène des participants se coupant la parole à qui mieux mieux, le modérateur cherchant surtout à écourter les interventions trop longues. Ce qui semble surtout compter, c’est avant tout l’animation et l’agitation, bien plus que le contenu. Un sujet ne serait digne d’intérêt, que s’il déclenche en permanence la curiosité et le plaisir du spectateur. De là, à établir un parallèle avec ce qui se déroule dans la classe, il n’y a qu’un pas que franchit l’auteur, décalant la responsabilité du bavardage vers une problématique éducative bien plus globale. La maturation du petit d’homme passe par l’apprentissage de la maîtrise de sa spontanéité, comme par exemple retenir une idée qui traverse son esprit, en temporisant son expression. Combattre le bavardage, c’est d’abord commencer par donner l’exemple et ensuite rester vigilant à toute une série de comportements chez soi, comme chez les autres : apprendre à parler à son tour, ne pas interrompre l’autre ou bannir les discours superposés.

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1075 ■ 20/09/2012