Allo, Parlons d’enfants - Rennes (35)

Répondre par téléphone aux questions des parents et des professionnels de l’enfance. L’idée est simple. L’association des Amis les Rochers l’a concrétisée. Une initiative locale qui pourrait bien s’élargir à l’échelle nationale.

Ils sont psychologue, infirmier, éducateur, secrétaire et consacrent, chacun entre 15 et 20% de l’équivalent d’un temps plein, à la fonction d’écoutant. Mais ils sont aussi retraité bénévole. Ils ont fait le choix de Nous sommes au siège de « Allo parlons d’enfants », à Betton, aux portes de Rennes. Le téléphone retentit bientôt, dans l’étroit local qui sert d’espace d’écoute. Camille, l’écoutante, présente ce jour-là, décroche. Une mère appelle pour sa fille de 13 ans, confrontée à des épisodes familiaux douloureux : 2007 fausse couche de sa mère, 2008 suicide de son père, 2009 déclaration d’une arthrite juvénile, le jour anniversaire du décès de son père. Son seul copain est atteint de mucoviscidose. L’adolescente s’est refermée sur elle-même. Cette maman envisage de consulter. Ce que Camille l’encourage chaleureusement à faire. Elle avait besoin de se l’entendre confirmer et d’en parler à quelqu’un. La communication suivante est celle d’une enseignante de petite section maternelle, en plein désarroi, face au drame vécu par la famille de l’une de ses élèves : la petite sœur, âgée d’un an, est morte étouffée dans son sommeil, suite à un problème infectieux, avec forte fièvre. Comment peut-elle en parler aux autres enfants ? Peut-elle évoquer sa propre tristesse ? Camille rappelle les représentations de la mort que peuvent avoir les enfants de cet âge et conseille de partir de leur vécu, en privilégiant l’authenticité des sentiments vécus, de part et d’autre. La communication n’a pas duré un quart d’heure. L’enseignante écourte. En arrière plan, des cris d’enfants. Un appel passé sans doute, pendant la récréation.

Parents en détresse

Le téléphone sonne à nouveau. C’est la mère d’un petit garçon de 4 ans et d’une petite fille de 6 ans qui se questionne sur les disputes occasionnelles, au sein de la fratrie. Elle se demande ce qu’elle a raté. Elle ne semble pas avoir fait le deuil de l’enfant idéal, ni de la famille idyllique. Camille la rassure sur la santé psychique de ses enfants. Elle lui conseille d’aller emprunter dans une ludothèque des jeux solidaires. Qu’il apparaisse banal ou dramatique, qu’il dénote une profonde détresse ou juste un besoin de réassurance, qu’il recherche un conseil ou une simple approbation des démarches déjà engagées, tout appel est pris en compte dans sa singularité. La première phase doit permettre à l’appelant de parler de ses difficultés en bénéficiant d’une écoute bienveillante et respectueuse : empathie, questions de compréhension, relance, on est dans la technique initiée par Carl Roger. Vient ensuite une élaboration de la part de l’écoutant qui utilise son expérience et sa technicité, pour reformuler la problématique, telle qu’elle lui apparaît. Ce n’est qu’après ce temps laissé à l’échange, que différentes hypothèses ou pistes d’action sont esquissées, le parent étant toujours laissé maître de la suite à donner, quant au choix de la posture à adopter. Le postulat de base s’appuie sur une conviction forte : c’est bien la personne qui possède la réponse en elle. Le travail de l’écoutant consiste à cheminer avec elle, pour l’aider à trouver sa propre solution.

Une longue gestation

Tout est parti du reportage présenté en mai 2002, dans l’émission Envoyé spécial sur l’ITEP de Combourg. La présentation de ses jeunes pensionnaires, aux comportements particulièrement troublés et spectaculaires, avait valu à l’établissement une avalanche de coups de téléphone, en provenance de toute la France : des parents, mais aussi des professionnels demandeurs de renseignements pour des enfants souffrant des mêmes difficultés. Le constat était flagrant : les besoins d’écoute, d’orientation ou de conseil n’étaient pas toujours satisfaits. Et ce, malgré l’existence de plusieurs lignes d’écoute téléphoniques, comme celles proposées par L’École des parents et des éducateurs depuis les années 1970 : « Inter Service Parents » puis, quelques années plus tard : « Points Écoute Parents ». Le reportage diffusé par Antenne 2 avait agit comme révélateur d’une demande encore largement en friche. Conscient de cette réalité, le conseil d’administration de l’« Association des Amis des Rochers », gérant l’ITEP de Combourg, décida de lancer un chantier autour de la question : comment répondre cette demande ? C’est toute une réflexion qui se mit en œuvre au cours des années qui suivirent, le travail d’investigation lancé sur le terrain permettant alors de dresser l’état des lieux des dispositifs existant dans le champ de l’accompagnement à la parentalité et se projeter ainsi sur ce qu’il était possible de proposer. Longue maturation s’il en est, puisque ce n’est qu’en mai 2009 que naît « Allo, Parlons d’Enfants ».

Le service proposé

Le nouveau service recruta d’abord des écoutants, en privilégiant la diversité des fonctions professionnelles et des expériences pluridisciplinaires. L’idée fondatrice n’était pas d’employer des professionnels, mais nuance des personnes ayant une profession et de préférence pas la même, chacun pouvant ainsi apporter sa propre sensibilité. Un programme de traitement de données fut conçu, avec un informaticien, répertoriant toutes les coordonnées des services, établissements et associations de la région, par problématique et par lieu, utilisable en fonction des demandes des appelants. Une campagne de communication fut lancée, avec des articles dans la presse locale, mais aussi des affiches et des prospectus adressés aux écoles, aux médecins, aux mairies,aux élus, aux centres sociaux, aux associations gravitant autour de la question de la parentalité. Des ambassadeurs furent trouvés aux quatre coins du département de l’Ille et Vilaine, relayés par des correspondants chargés d’aller porter personnellement l’affiche ou le dépliant chez le médecin, le dentiste ou le pharmacien de leur quartier ou de leur village. L’équipe des écoutants reçut une formation de l’École des parents et des éducateurs. Une régulation auprès d’un psychiatre lui fut très vite proposée, relevant à la fois de la supervision et de l’analyse des pratiques. Le 4 janvier 2010, la ligne était officiellement ouverte. Attente un peu déçue : le téléphone resta désespérément silencieux. Et puis, le 20 janvier, première communication : c’était la maman d’un bébé âgé d’un an qui s’inquiétait de son manque de sommeil. Depuis, c’est 5 appels qui sont reçus, en moyenne chaque jour, après une montée en puissance qui a fait passer de 351 appels les six premiers mois à 559 appels les six derniers.

Premier bilan

Après vingt mois de pratiques, quels sont les premiers enseignements? Cette écoute téléphonique présente d’abord l’avantage d’être peu stigmatisante, du fait de son anonymat. Il revient à l’appelant de la prolonger, en prenant ou pas rendez-vous avec un professionnel. Ensuite, elle constitue une première réponse, en amont des institutions qui demandent parfois du temps avant de réagir, par engorgement, mais aussi du fait qu’elles ne peuvent répondre instantanément. Enfin, elle intervient dans une logique de prévention, bien avant que ne se mette en place une prise en charge plus lourde qui pourra s’avérer peut-être nécessaire, mais que l’on pourra aussi éviter, du fait de cette intervention particulièrement réactive. On est bien là dans l’accompagnement de difficultés éducatives ordinaires et non dans le traitement de troubles importants. Ce qui se dégage de ces échanges téléphoniques, c’est leur profonde humanité. Les écoutants rapportent des moments d’une grande tension faits de détresse et d’angoisse qu’il faut accompagner, mais aussi de soulagement grâce à l’écoute et l’aide apportées. Sans oublier ces épisodes cocasses, comme cette maman interrompant quelques instants la conversation, le temps de se saisir d’un papier et d’un crayon, afin de noter méticuleusement la recette éducative qu’elle cherche à connaître. Ou encore, cet adolescent qui tente de se faire passer pour son père, demandant des conseils pour son fils, mais que sa voix juvénile a trahi, sans que l’écoutant ne vienne pour autant rompre le charme de l’artifice.

Pérennisation & élargissement

Si le service de la ligne téléphonique reçoit des financements publics, le mécénat d’entreprises a aussi été sollicité : la Caisse d’Épargne, le Crédit Mutuel de Bretagne, le Rotary Club ainsi que les fournisseurs des différents établissements gérés par l’association ont répondu positivement. L’appel aux dons privés s’adresse tout autant aux particuliers, ceux-ci pouvant bénéficier de réductions d’impôts. Une entreprise a même proposé de financer un coordinateur bénéficiant d’un statut de travailleur handicapé, poste qui reste à ce jour à pourvoir (avis aux candidats Bac + 2). Mais l’ambition de « Allo, Parlons d’enfants » est bien de dépasser ses limites locales, pour arriver à une audience à l’échelle de l’ensemble du pays. C’est l’objectif du Groupement de coopération national, en gestation. Les appels reçus, dès à présent, des quatre coins de France viennent justifier cette perspective. Des contacts ont, dès à présent, été pris avec des ITEP d’Île de France, de Normandie, de Bretagne et des Pays de Loire, pour leur proposer de collaborer à un service qui répond pleinement à la démarche de prévention attendue par les financeurs. En cas de succès, les autres régions françaises pourraient être, à leur tour, sollicitées. Cette plateforme téléphonique, qui a démontré toute son utilité, a vocation à devenir opérationnelle au niveau national, pour peu que des partenaires locaux s’associent à son fonctionnement.


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« Allo, parlons d’enfants » : 02 99 55 22 22. Du lundi au vendredi de 12h00 à 20h00 (le mercredi, dès 10h00).
www.parlonsdenfants.fr
www.asso-desamislesrochers.org


« Allo, parlons d’enfants » en quelques chiffres
Dans 75% des cas, ce sont les mères qui appellent, une fois sur deux à leur propre initiative. Seuls 45% de leurs enfants bénéficient d’un suivi. Ils sont âgés à 75% de plus de 10 ans. Ce sont des garçons à 67%. 35% des appels concernent des troubles du comportement, 36 autres % se répartissant également entre les troubles relationnels seuls, des troubles anxio-dépressifs et des troubles addictifs. Près de 40% des appels, qui durent en moyenne entre 16 et 30 minutes, demandent respectivement du soutien, de l’information et du conseil. 100% d’entre eux correspondent à l’objectif du service.

 

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°1033 ■ 06/10/2011