CAT de la ferme du Magné 2

L’intégration par le sport passe aussi par le sport intègre

L’aventure de la Transat AG2R pourrait n’être qu’un faire-valoir, une opération de prestige pour une association sanitaire et sociale intéressée avant tout par sa renommée et sa réputation. Il n’en est rien. Cette opération n’est que la partie visible et spectaculaire d’un iceberg qui comporte une masse impressionnante d’efforts et d’énergie consacrée à un seul objectif : intégrer la pratique du sport au même titre que le travail comme facteur de bien-être, d’équilibre et d’intégration pour les adultes handicapés. Nous connaissons bien dans le secteur social ces professionnels, qu’ils soient cadres ou acteurs du quotidien qui se contentent de gérer la routine en faisant tout pour que les habitudes acquises ne soient  pas bousculées. Et puis, il y a ces personnages un peu atypiques qui n’ont de cesse que d’innover, de rechercher des expérimentations nouvelles, et de sortir des sentiers battus. Quand l’initiative part du haut et rencontre une base méfiante et peu motivée, le résultat est peu probant. Il arrive aussi que la dynamique vienne d’en bas et se heurte à la frilosité d’une hiérarchie surtout soucieuse d’éviter la moindre vague. L’expérience du CAT de la ferme du Magné peut être considérée comme la résultante de deux volontés : celle d’une direction ouverte aux suggestions originales et d’une équipe éducative pleine de ressort.
 

Un CAT parmi tant d’autres

Lorsqu’en 1968, un groupe de parents crée l’APAGESMS (Association des Parents et Amis Gestionnaires d’Etablissements Sociaux et Médico-Sociaux) et acquière sa première exploitation agricole, l’objectif est clair : permettre à un groupe d’adultes handicapés de vivre en travaillant. Avec cinq vaches, un cochon et quelques hectares de tabac, de vigne et de culture maraichère : tout reste à faire. Année après année, l’association grandit. Elle compte à ce jour six C.A.T., un atelier Protégé, un Foyer occupationnel, deux Foyers d’Hébergement et un service de suite et d’accompagnement pour les adultes handicapés en appartement. Deux cent cinquante usagers sont concernés par ses activités. Une attention particulière a toujours été accordée à l’aménagement de lieux d’investissement en dehors du quotidien du travail et de l’hébergement, le souci étant alors de proposer autre chose que l’inévitable soirée télé après la journée de boulot. La proximité de la mer, les relations privilégiées entretenues avec les clubs nautiques de la région, la passion pour la navigation d’un certain nombre d’éducateurs : l’ensemble de ces facteurs a inévitablement conduit à l’utilisation du bateau comme support privilégié pour les sorties et activités de détente. Longtemps cela restera une pratique andiletante et ludique. Puis en 1989, l’APAGESMS crée l’association E.S.S.A.I. (Ensemble Souvent pour le Sport Adapaté et Intégré) qu’elle charge d’organiser les activités sportives des résidants du CAT. L’option adoptée est bien l’utilisation du sport comme moyen à part entière d’insertion et de reconnaissance sociale. L’année 1992 constitue la période charnière avec la participation de quatre adultes handicapés à la Transat des Alizés et de deux autres au marathon de New-York. Ces deux événements provoquent un grand enthousiasme chez les résidants : la preuve était faite qu’il était possible pour des handicapés mentaux de participer à des compétitions sportives très médiatisées. Motivés par ces essais réussis, c’est près de 80 % des usagers qui vont se lancer dans une activité : de la plus modeste (la simple partie de pétanque ou le match de football le soir après le travail) à la pratique de haut niveau (telle la Transat en double AG2R : voir article ci-contre).
 
 

Une participation tout azimut

La participation sportive des usagers se fait tout d’abord au niveau de la Fédération Française de Sport Adapté. L’ESSAI s’est fait notablement remarquer dans toutes les disciplines auxquels elle a concouru.  C’est une moisson de médailles et de records qui est récoltée : en judo 3 champions de France en 1992, 2 en 1993 et 1 en 1997, en Tir à l’arc 1 en 1993 et 2 en 1997, en natation un en 1996, en athlétisme 2 sur 100 mètres et 1500 mètres en 1995. Participant aussi aux rencontres internationales, deux athlètes seront vice-champion du monde l’un aux 4 X 100 mètres et l’autres en voile. Mais, l’ESSAI n’en est pas restée là. Elle a tenu à assurer sa présence dans les épreuves sportives ouvertes à tous : marathon et semi-marathon un peu partout en France mais aussi à Venise en 1996, triathlon, voile (13 épreuves entre 1992 et 1997), Transoasis du sud tunisien en 1995 (VTT et course à pied), VTT (le Roc d’Azur en 1996 : 56 kms réputés particulièrement durs), raids en Montgolfière et en zodiac etc … Ce palmarès, qui est loin d’être exhaustif est pour le  moins impressionnant. Quel est le secret de cette réussite ?
 
 

La recette du succès

Premier ingrédient : donner au sport toute sa valeur comme vecteur d’épanouissement individuel. Il ne s’agit pas d’obtenir à tout prix des records ou des performances mais de permettre à des adultes handicapés de se sentir bien et de se réaliser dans une pratique qui les valorise et ce en toute sécurité.
Second ingrédient : donner au sport rien que sa place, mais toute sa place. Cette activité n’est pas assurée par des éducateurs techniques ou de vie en plus de leur attribution. C’est un service central qui se consacre à 100% à cette tâche. Deux salariés sont détachés à temps plein. Cela leur permet de monter les projets, de motiver et de mobiliser les usagers. Ils suivent en individuel, chaque adulte, les accompagnant dans leurs efforts, leur progression et leur réussite.
Troisième ingrédient : ne pas se laisser piéger par l’activité en interne. Certes, salles et terrain de sport ont été aménagés au sein de l’institution qui s’est même doté d’une piscine d’été. Mais le plus important, c’est de permettre l’intégration dans les clubs extérieurs. Les adultes handicapés sont ainsi inscrits dans des clubs de musculation (15), de natation (2), d’escrime (5), de Tir à l’arc (4), de judo (4) et d’équitation (10) de la région. Ils les fréquentent tant pour l’entraînement que parfois pour la compétition. Cette sortie hors de la structure leur permet de côtoyer le public tout venant.
 
 

Vers une structure d’élite

L’ESSAI s’est engagé depuis la rentrée septembre 1997 dans une nouvelle expérience : la création d’un centre de formation omnisport et professionnel. Il s’agit de créer une structure sportive de haut niveau pouvant répondre aux sollicitations et demandes des athlètes les plus performants. L’objectif consiste à leur permettre de s’entraîner d’une manière satisfaisante pour préparer les compétitions. Un contrat d’objectif est ainsi passé individuellement qui permet d’alterner période de travail, période d’entraînement et période de récupération et cela sans perte de salaire. Chaque discipline se fixe un certain nombre de buts : par exemple en judo : obtenir en deux ans une ceinture noire; en athlétisme ou en équitation : participer à des meetings départementaux et régionaux; en course de fond : intégrer les marathons, semi-marathons intégrés. L’athlète s’engage à suivre une hygiène de vie propre à tout sportif. En outre, il doit consacrer le temps nécessaire aux exercices physiques et suivre une formation (premiers secours, diététique, stage fédéral dans sa spécialité, …). La sélection des candidats écarte la performance et s’appuie sur les aptitudes (à marcher, à courir et à nager), la régularité et la discipline. A ce jour, 12 adultes bénéficient de ce dispositif. Un bilan sera fait au bout d’un an avec possibilité éventuelle de reconduction. Deux stagiaires sur huit ont dès à présent obtenu le brevet de Premier Secours.
 
 

Expérience originale

Essai se donne pour but de tenir les deux bouts de la chaîne et de pouvoir tout aussi bien répondre aux demandes d’activité sans aucune recherche de performance, pour le simple plaisir ou la rencontre avec d’autres sportifs hors du CAT que de favoriser la participation aux challenges médiatiques de haut niveau : l’important est en fait de s’adapter aux capacités et au désir de l’adulte handicapé demandeur.  La satisfaction est grande bien sûr quand l’effort est couronné par l’obtention de médailles ou de titres.  Mais elle l’est tout autant quand un adulte handicapé, réputé en grande difficulté pour arriver à se structurer parvient à s’entraîner avec une grande régularité, à se préparer à l’épreuve finale en sachant équilibrer son alimentation pour y arriver dans les meilleures conditions physiques, et à avoir toutes ses affaires prêtes au moment du départ. Alors, se combinent :  le pur  plaisir du sport, la reconnaissance sociale et les progrès en matière de stabilisation personnelle : quoi demander de plus ?

 
Jacques Trémintin  - LIEN SOCIAL ■ n°438  ■ 16/04/1998