Le SEMO

Entre AEMO et internat, un dispositif original : le SEMO

Il arrive parfois que la situation d’une famille soit trop dégradée pour qu’une simple aide éducative soit suffisante, mais pas assez pour qu’un placement soit nécessaire. Et pourtant le seul choix se situe entre ces deux solutions, au risque d’agir trop fort ... ou pas assez. D’autres solutions sont pourtant possibles. Les SEMO du Calvados les appliquent avec succès depuis 30 ans. Reportage.

L’action sociale est en pleine mutation. L’intervention des professionnels fait une place toujours plus importante à l’usager en tant que sujet et acteur de sa propre transformation. Parmi les évolutions induites, il y a cette adaptation des dispositifs aux besoins individuels de chacun. La rigidité des structures et des prestations n’a pas encore disparu, loin de là. Trop souvent, les personnes en difficulté doivent coller aux cadres existants et venir remplir une case pré établie. Mais, de plus en plus, décideurs et intervenants en sont convaincus,  l’institution devra s’adapter en répondant au projet individualisé. La réforme de la loi de 1975, intervenue en janvier 2002, en a fait un principe cardinal. Le plus difficile est finalement de passer des intentions aux applications. Des  expériences ont été menées  ces dernières années. Traditionnellement, un enfant est l’objet soit d’un placement en familles d’accueil ou en foyer soit bénéficiaire d’une mesure dite d’AEMO. Mais cela a toujours été soit, l’un soit l’autre. Dans de nombreux cas cette alternative convient bien à la problématique et au degré de dégradation de la situation familiale. Mais il arrive parfois qu’une prise de distance soit nécessaire sur quelques jours seulement ou encore qu’une alternance entre une partie de la semaine à la maison et telle fin d’après-midi ou telle soirée dans une petite structure collective soit pertinente. Le dispositif de protection de l’enfance ne possède pas vraiment d’outils permettant de répondre à une telle démarche. De rares expériences ont été menées dans ce sens. Quelques établissements ont conçu des modalités d’accueil souples qui alternent période d’internat et période de prise en charge au sein des familles  (comme le SAPMN à Nîmes). Et pourtant, il existe au moins une structure qui a fait œuvre d’innovation et où le fonctionnement adopté apporte toute satisfaction. Mais, étonnamment, ce service n’est pas le produit d’une évolution récente. Il peut même être considéré comme précurseur, puisqu’il date d’il y a ...trente ans ! Il a émergé à l’époque de la suprématie des grands internats, alors même qu’on ne concevait la famille que comme un milieu pathogène d’où il fallait à tout prix éloigner l’enfant. Nous sommes donc aller rencontrer les professionnels qui l’animent qui peuvent apparaître, au regard de nos récentes prises de conscience, sinon comme des dinosaures, au moins comme des innovateurs avant l’heure, qui ont eu raison avant tout le monde.
 

Innovants depuis trente ans !

A l’origine de la création du Service Educatif en Milieu Ouvert, il y a un faisceau de circonstances dont la combinaison a permis l’émergence de cette expérience originale. En tout premier lieu, il y a ce qui s’est passé dans le Calvados, dans les années 70, et qui est similaire à beaucoup d’autres départements. Les congrégations qui ont historiquement assuré l’accueil des enfants et adolescents en grande difficulté, passent alors le relais. Ici c’est l’œuvre intitulée La Charité qui prenait en charge des jeunes filles, qui va transmettre le flambeau à la Sauvegarde départementale : l’A.C.S.E.A. Ce changement institutionnel est l’occasion d’un réaménagement des structures. Et puis il y a la prise de conscience d’un maillon manquant. Les jeunes qui accèdent à l’autonomie après plusieurs années d’institution, ne sont pas toutes prêtes à réussir à s’intégrer dans leur famille ou leur milieu naturel. Certaines y arrivent très vite. D’autres réussissent grâce à l’accompagnement du service de suite. Mais pour quelques-unes, c’est l’échec et le retour en foyer, vécu par elles et par leurs éducateurs comme une régression. Une nouvelle structure d’accueil serait donc nécessaire. Mais pas dans le style gros internat fermé, mais plutôt un dispositif qui répondrait à l’entre deux dans lequel les jeunes se trouvent : pas tout à fait un foyer, mais pas encore un retour complet en famille. Il y aussi le manque flagrant en matière de diversité géographique. Sur le département, tout est concentré sur Caen. Les jeunes en difficulté y sont tous orientés.  Ce qui commence à poindre, c’est la nécessité de travailler sur la proximité : à l’époque, certains allaient jusqu’à affirmer : « il faut arrêter de déporter les jeunes loin de leur environnement, de leur culture, de leurs familles... » Ces idées, pour banales qu’elles paraissent aujourd’hui, étaient loin d’être partagées alors. Mais, les années 70, c’est aussi l’anti-psychiatrie et la contestation des logiques institutionnelles. Un groupe de jeunes professionnels frais émoulus de l’école d’éducateurs s’empare du projet et tente de synthétiser toutes ses composantes. Son action va être soutenue par le directeur de l’ACSEA et le CREAI. Alain Poussier, Directeur du SEMO et l’un des initiateurs de la démarche le reconnaît : sans ce précieux soutien, il aurait été bien compliqué de résister à l’hostilité ambiante. Ce qui fut mis en place, alors, fonctionne encore aujourd’hui. Le temps semble en avoir validé les principes. 
 

SEMO : mode d’emploi

L’internat classique est le plus souvent le lieu d’une division du travail entre l’éducateur de vie, le service qui s’occupe plus du soin ou de la formation, et celui qui travaille en relation avec la famille. On a même connu de ces établissements (mais ont-ils complètement disparu ?) où l’éducateur avait non seulement l’interdiction d’avoir le moindre contact avec les familles, mais n’avaient même pas accès au dossier de l’enfant. Le concept de base du SEMO est, au contraire, de confier au même professionnel la globalité du suivi du jeune. Le choix qui a été fait est de s’appuyer sur le réseau existant : celui qui est à disposition du citoyen moyen (psys, école, clubs sportifs...) Cela semble banal aujourd’hui. Ca l’était moins il y a trente ans, à une époque ou les grands internats prévoyaient encore tout à l’intérieur de leurs murs : scolarité ou formation professionnelle, activités de loisirs etc ... La continuité s’applique à l’intervention au sein de la famille qui peut être combiné à un moment ou à un autre, avec un hébergement. Cet hébergement est rendu possible soit au sein même du service soit au travers de tout un réseau qui a été construit au cours des années (foyer de jeunes travailleurs, chambres en ville, internat scolaire...) voire même en demandant l’aide de la famille élargie du jeune. Lorsque la nécessité apparaît d’une prise de distance entre le (la) jeune et sa famille, un accord est passé entre le mineur, ses parents et le service. Elle est appliquée d’une manière adaptée : ce qui est avant tout recherché, c’est le maintien du cadre de vie (proximité), la réversibilité de l’option (souplesse) et l’utilisation de la fonction hébergement comme un outil à côté de bien d’autres (transformation de l’objectif en moyen).
Cinq postes et demi d’éducateurs pour trente prise en charge : on est bien là dans du milieu ouvert intensif à la limite du milieu ouvert classique et de l’internat. La durée moyenne de prise en charge est de 18 mois. Sur cinquante jeunes filles accueillies à Lisieux en 2001, deux seulement ont dû être réorientées en internat. Pour les autres, il n’a quasiment pas été nécessaire de prévoir un relais. L’orientation vers ce service correspond à des situations dont l’indication est particulière et très bien identifiée. Elle s’oppose ni à une mesure de placement, ni à une mesure d’AEMO, mais vient compléter le dispositif proposé aux professionnels. Même s’il est toujours tentant pour les partenaires d’utiliser la structure comme un internat classique, l’équipe éducative tient beaucoup à préserver le cadre de leur action.  Les SEMO fonctionnent dans des maisons banalisées. Salon d’accueil, cuisine, chambres et bureaux des éducateurs se répartissent les lieux. Un soin tout particulier est apporté aux meubles, à la décoration, à l’aménagement, aux papiers peints. On constate très peu de dégradations : les jeunes qui viennent ici, sont volontaires. Ils ont là un endroit  où ils peuvent trouver une aide et une écoute. Ils savent qu’en cas de trop grosse tension, un hébergement y est possible. Ils peuvent passer pour prendre un café ou négocier pour être accueillis sur plusieurs nuits (avec toutefois, l’accord des parents). L’urgence est rare. Mais, il peut arriver qu’un gamin débarque à 23h00 : il sera accepté. Dès le lendemain, la situation sera régularisée avec ses parents. Environ, cent nuits sont assurées ainsi, chaque année. Ce n’est pas là un taux d’occupation important. L’hébergement n’est qu’une possibilité et non l’objectif premier et l’hébergement en interne qu’une possibilité à côté d’autres.
 

La dimension institutionnelle

Se trouvent ainsi mêlés le travail de milieu ouvert et le travail d’internat. Mais attention, l’habilitation de départ ne prévoit pas cette possibilité de placement. C’est bien une ordonnance de milieu ouvert qui est accordée par le magistrat (90% des situations) ou un contrat d’aide éducative administrative qui est signé (les 10% des cas restant). On est là très clairement dans un dispositif pas vraiment reconnu par la loi, qui n’a aucune existence vraiment légale et qui est néanmoins adoubé par le juge des enfants et le conseil général ! Et cela dure depuis plus de 30 ans ! Mais, dès qu’on essaie d’inventer quelque chose, on peut facilement se trouver à la limite du dispositif légale existant : les lieux de vie ont attendu la réforme de la loi de 1975, intervenue en 2002, pour obtenir une reconnaissance officielle ! On en est encore, dans bien des endroits, à se confronter à une administration qui n’hésite pas à décompter des prix de journées quand l’enfant est incité à retourner dans sa famille... Les SEMO se sont étendus progressivement sur l’ensemble du département : pour les filles à Caen (1970) et à Lisieux (1975), pour les garçons à Lisieux (1994) et une unité mixte en prévision à Bayeux (2002). Le choix a été fait plutôt d’essaimer que de grossir. Chaque unité ne dépasse pas trente prises en charge. Chaque jeune est plus particulièrement suivi par un ou deux référents éducatifs. Mais tous les dossiers sont systématiquement revus une fois par semaine. Cela permet à tous les intervenants de connaître toutes les situations, ce qui facilite à celui qui est de permanence d’accueil la possibilité de dialoguer avec celle (celui) des jeunes qui se présente. L’accessibilité permanente au service demande de la part de l’équipe une organisation et une disponibilité qui favorisent la souplesse et l’adaptabilité. L’intérêt de l’enfant passe ici avant un certain confort des personnels. Les emplois du temps peuvent parfois être modifiés, en cas de nécessité. Mais ces modifications se font en équipe : elles ne sont pas imposées par la direction qui laisse une grande latitude dans l’organisation. L’équipe de Lisieux que nous avons rencontrée a évoqué l’intérêt que constitue pour elle la possibilité d’intervenir sur la globalité des jeunes. En même temps, elle a bien conscience des risques totalisants qu’induit cette approche : à force d’être omniprésent, on peut se sentir tout puissant. Les garanties prises contre une telle dérive relève d’un partenariat tant à l’intérieur (travail d’équipe) qu’extérieur (relais assuré tant au niveau scolaire, professionnel qu’en matière de santé, de loisirs ...). Signes de bonne santé de cette équipe ? Des mouvements de personnel très rares (la moyenne d’ancienneté se situe entre 15  et 20 ans) et des arrêts de travail peu fréquents. La nouvelle structure qui devrait ouvrir courant 2002 a déjà reçu 30 candidatures...
 
 
L’action socio-éducative ne peut s’appuyer sur un seul modèle. Elle a besoin de disposer de structures qui répondent à différents niveaux de problématiques. Toutes les situations familiales ne conviennent pas à ce qui est proposé par les SEMO. Il ne s’agit donc pas de faire de ce service un archétype transférable en l’état. Il peut surtout inspirer d’autres expérimentations.  Pour autant, si ce type de fonctionnement est aussi profitable aux jeunes pris en charge qu’aux professionnels qui y travaillent, on peut s’étonner que depuis 30 ans, cette expérience soit restée confinée dans le seul Calvados. Alain Poussier rappellera que l’innovation des SEMO n’a pas été simple à son époque, l’idée fondatrice allant à l’encontre des convictions d’alors. Aujourd’hui encore, malgré la pertinence du dispositif dont chacun convient, la souplesse que demande ce type de fonctionnement n’est pas toujours compatible ni avec le cadre légal de la protection de l’enfance, ni avec le code du travail et les conventions collectives. L’amplitude horaire, l’application stricte du temps de travail et des 35 heures ne sont pas ici l’apanage premier. Les horaires de travail sont individualisés. En fait, tout est affaire de solidarité d’équipe face aux coups durs, de confiance réciproque et de transparence. Mais, les personnels savent qu’en échange des efforts qu’ils consentent, ils pourront toujours bénéficier un jour, à leur tour, des facilités qu’ils acceptent pour les autres. Et puis, il y a la reconnaissance du travail accompli. Et c’est tout cela qui fait la différence. Les professionnels y ont trouvé un nouveau sens à leur travail et les usagers accueillis une nouvelle chance de s’en sortir.
 

Contacts : Alain Poussier SEMO  30 rue du général Leclerc 14100 Lisieux Tel : 02 31 31 17 15 Fax : 02 31 31 62 36

Jacques Trémintin  - LIEN SOCIAL ■ n°638 ■ 17/10/2002