Aniane, base de plein-air

Aniane : du bagne d’enfants à la base de plein-air

Aniane : les férus d’histoire de l’enfance en difficulté connaissent de nom, ce gros bourg de l’Hérault célèbre pour son bagne d’enfants. Des générations de détenus se sont succédés pendant près de 150 ans dans ce lieu chargé d’émotion.
A l’origine, il y a une Abbaye de 10 hectares créée au VII ème siècle par Saint Benoît. Ce qui va devenir la capitale du monachisme dans le sud de la France connaît un rayonnement exceptionnel jusqu’en 1791, date à laquelle elle est vendue au titre des biens nationaux et bientôt transformée en filature de coton. En 1843, l’Etat cherche à acquérir un bâtiment susceptible d’être utilisé comme Maison de Force et de Correction. Le choix s’arrête très vite sur l’Abbaye d’Aniane tant son architecture se prête bien à une telle destination : ses hauts murs et le ravin d’une vingtaine de mètres qui l’entourent lui donnent des airs de château fort du moyen-âge. Pendant quarante ans, l’établissement reçoit des adultes. En 1886, sa vocation change : dorénavant il sera un lieu de détention pour pupilles. Près de deux cents adolescents se retrouvent enfermés entre les murs d’un véritable bagne, condamnés pour des faits aussi graves que “ vols de pain ”, “ chapardage de linges aux fenêtres ”, “ vagabondage ” ou encore “ mendicité ” … (1) L’établissement est d’abord exclusivement à vocation industrielle. Les entrepreneurs de la région passe des contrats avec l’administration Pénitentiaire et font travailler les jeunes dans les ateliers au centre de l’Abbaye. La production s’orientera ensuite vers les besoins des autres établissements pénitentiaires. En 1914, l’Etat acquière un large domaine agricole constitué de vignes et de potagers. Les mineurs incarcérés sont soumis à un régime des plus durs destiné à les “ réformer ”. Très rapidement, Aniane devient le lieu de destination des jeunes les plus durs en provenance des autres centres de détention du pays. La concentration devient alors très vite explosive. Entre 1895 et 1914, les difficultés s’accumulent : évasions collectives, mutineries, désordres, révoltes… C’est par un régime d’une extrême rigueur répressive que l’Administration Pénitentiaire obtient le retour au calme : un vaste quartier cellulaire pouvant accueillir l’ensemble de la population du bagne est édifié. Un ensemble de cages en bois aux cloisons et au toit à claire-voie permettant au détenu de s’allonger constitue alors le mitard ! La population du village s’associe volontiers au maintien de l’ordre. Dès que la cloche retentit -signal d’une évasion- la “ meute des honnêtes gens ” fusil à l’épaule se lançait à la chasse à l’enfant,  le ramenant avec une certaine fierté et la conscience du devoir accompli, mais quand même satisfait de toucher la prime !

Ce régime dure jusqu’à la fin des années 40. L’ordonnance de 1945 sur l’enfance délinquante privilégiant l’éducatif sur le répressif, ainsi que la création de la Direction de l’Education Surveillée qui enlève à l’Administration Pénitentiaire la responsabilité de la gestion de ce qui a pris le nom d’Institut Public d’Education Surveillée, vont amener une complète transformation des pratiques. Un pôle de formation technique performant se monte au fil des années : maçonnerie, menuiserie, électricité, soudure, plomberie, peinture … des jeunes en provenance des quatre coins de la France placés par le Juge des Enfants viennent apprendre un métier. Certes, les effectifs restent toujours imposants (de l’ordre de 160 adolescents pour 50 personnels) et les méthodes éducatives encore bien marquées par la logique des grands internats, mais on est loin du régime des bagnes d’enfants. Au début des années 70, les Instituts Publics d’Education Surveillée, dont le recrutement en jeunes pensionnaires est encore décidé dans un bureau du ministère de la justice place Vendôme se transforment en Institution Spéciale d’Education Surveillée à vocation plus régionale. A la fin de la décennie 80, les jeunes pris en charge ne sont plus qu’une quarantaine dont la moitié en internat. La direction de ce qui est devenu alors la Protection Judiciaire de la Jeunesse décide le 1er avril 1993 la fermeture d’Aniane. Volonté d’en finir avec un symbole ? Ou plutôt désir de l’Etat de réutiliser les locaux en vue d’un autre objectif ? Ce sera un centre de rétention administratif à destination des immigrants clandestins ! Trois millions de Francs sont consacrés à l’aménagement des lieux : condamnation des portes et des souterrains, pose de barreaux aux fenêtres, installation d’un système de vidéosurveillance … quinze cellules permettent ainsi d’accueillir 60 étrangers. Le 1er septembre 1993, Aniane reçoit ses nouveaux pensionnaires.

Que sont devenus les personnels ? Un atelier de réparation automobile a été ouvert à Sète, un atelier de menuiserie à Montpellier (proches chacun d’une vingtaine de kilomètres d’Aniane). Sur place se sont créés deux Centres d’Action Educative tout à fait originaux : un Centre de formation vigne-horticulture-espace vert qui commercialise un vin sous l’étiquette “ carte jeune PJJ ” et une base de plein air qui a prolongé un atelier déjà existant depuis 1977 au sein de l’ISES. (Voir encadré).
Aujourd’hui, l’immense bâtisse d’Aniane est bien vide. Depuis juin 1997, le centre de rétention ne reçoit plus de pensionnaires, la politique du nouveau gouvernement Jospin ayant pris un cours moins répressif en ce qui concerne l’immigration illégale. Quant à l’accueil des mineurs, les locaux qui en ont hébergé jusqu’à 280, n’en reçoivent qu’un peu plus d’une dizaine en externat (centre de formation agricole) et 45 au maximum en internat au gré des groupes qui fréquentent la base de plein-air.

Mais, déjà, les grands bâtiments de l’Abbaye font fantasmer : les projets de centres fermés réapparaissent par période … mais quel aveu serait pour les chantres d’une répression modernisée que d’enfermer les jeunes délinquants dans les lieux d’un ancien bagne d’enfants ! D’autres n’hésitent pas à faire remarquer l’énorme coût représenté par la location des ateliers déconcentrés à Sète et à Montpellier… Pour l’heure, le Centre de Formation et la Base de Plein Air continuent leur activité sur place, avec pour cette dernière des projets ambitieux de s’ouvrir en collaboration avec Jeunesse et Sport à la formation des métiers de l’animation et du sport pour un public de jeunes en difficulté.

Du bagne à la base de plein air : l’histoire d’Aniane peut apparaître comme un condensé des mutations qui ont marqué l’intervention face à l’enfance en difficulté depuis près de deux siècles. On ne peut arpenter ce lieu chargé d’histoire sans repenser aux milliers de destinées qui sont venues s’y briser … ou s’y construire. La cour d’honneur que des générations d’enfants ont balayé et récuré, aujourd’hui envahie par d’autres “ mauvaises herbes ” (plus naturelles celles-là) laisse comme une impression de grandeur déchue à l’image de cette fontaine encore en activité qui trône en son milieu, coquetterie et fierté décidément d’une autre époque.

(1) A lire l’excellent ouvrage de Marie Rouanet paru en 1992 aux éditions Payot : “ Les enfants du bagne ”.
 
 
Du sport pour les délinquants ?
Du bagne aux loisirs sportifs : le raccourci est saisissant. C’est pourtant ce qu’est devenue en partie Aniane. On est passé du travail forcé rédempteur des tout début à la confrontation aujourd’hui à des activités à risque comme outil de socialisation. Il est plus difficile de se lancer en rappel du haut d’une falaise de 150 mètres ou de cheminer le long des boyaux étroits et oppressants d’une caverne au fond de la terre que de pratiquer d’autres “ sports ” urbains en apparence bien moins périlleux et pourtant bien plus destructeurs que sont les vols de voiture ou les toxicomanies diverses. Travailler sur ces moments intenses où chacun se confronte à ses propres peurs et à ses limites permet de progresser dans l’apprentissage de la responsabilisation et de la relation à l’autre. Reste à trouver les modalités adéquates d’un outil qui peut être tout aussi bien constructeur que destructeur selon l’usage qui en est fait. La base d’Aniane a su trouver les bonnes réponses. Il y a d’abord un choix qui semblait s’imposer : le département de l’Hérault n’est pas seulement pourvu de quelques-unes des stations balnéaires les plus cotées de la Méditerranée  (Cap d’Agde, Palavas les flots, La Grande Motte …). L’arrière-pays est aussi très riche en activités potentielles : escalade, VTT, Canoë-kayak, Canyonning, randonnées, spéléologie. Toutes ces possibilités s’offrent dans un rayon d’une vingtaine de kilomètres au maximum et ne nécessitent donc pas de grands et longs déplacements. La base fonctionne avec un personnel mis à disposition de la Protection Judiciaire de la Jeunesse que sont venus renforcer deux éducateurs sportifs dûment diplômés. Les moniteurs ayant une parfaite connaissance du terrain proposent des sorties d’une grande originalité et savent s’adapter au niveau des groupes qu’ils encadrent. Que ce soit le long des parois ou sous terre, dans les gorges de l’Hérault ou sur les pentes de moyenne montagne, les activités proposées ont un rythme sportif qui ne nécessitent toutefois pas une condition physique préalable.
La base de plein air reçoit en moyenne une centaine de groupes par an. Ce qui représente environ 1000 personnes. Plus de la moitié du public concerné est constitué de jeunes (et de professionnels en formation) de la PJJ et du secteur associatif habilité justice, ainsi que des détenus de l’Administration Pénitentiaire en stage sportif ou sur des chantiers. Pour qui sait s’y prendre suffisamment tôt, il reste encore des possibilités de séjour. Les tarifs sont modulables en fonction du mode d’accueil : depuis la simple mise à disposition des chambres et d’une cuisine jusqu’à la pension complète avec les activités comprises pour 200 F par jour. Sans vouloir faire concurrence à “ Que Choisir ”, ni jouer au jeu de “ j’ai testé pour vous ”, nous ne pouvons pour vos transferts et vos camps que recommander chaleureusement cette base d’activité  dont la convivialité de l’accueil et la qualité des animations valent vraiment le détour.
Contacts : CAE-Base de plein air 50 Boulevard Felix Giraud 34150 Aniane

 
Jacques Trémintin  - LIEN SOCIAL ■ n°464 ■ 26/11/1998