SPE et les avocats 2 - St Nazaire (44)
Educateur/avocats : Une place pour chacun et chacun à sa place
Rencontre entre les éducateurs de la SPE et les avocats du barreau de St Nazaire
Les uns se placent sur le terrain juridique, les autres sur celui de l’éducation. Doivent-ils s’ignorer, voire même s’affronter ? En se (re)connaissant mieux, ils peuvent apprendre à se respecter et pourquoi pas à être complémentaires.
C’est l’histoire d’une rencontre entre deux corporations qui se connaissent, tout en s’ignorant beaucoup, l’une, l’autre. Leur confrontation ou leur collaboration a le plus souvent lieu dans un prétoire ou dans le bureau du juge des enfants. Cette fois-ci, elle se déroule sur le terrain de l’information et de la compréhension réciproques. Elle concerne des éducateurs d’un côté, et de l’autre, des avocats. Mais, avant d’approfondir l’histoire de cette conjonction originale, il convient de planter le décor en commençant par présenter les acteurs principaux.
La rencontre
D’un côté, on trouve une association qui a pour vocation l’aide à l’enfance en danger, comme on en trouve des dizaines en France. La Société de Protection de l’Enfance (1) est née en février 1943 d’une personnalité issue d’une vieille famille nazairienne, Jeanne Henri. Du fait de l’occupation allemande, de nombreuses naissances illégitimes avaient provoqué un accroissement notable des abandons. Une association est alors créée qui se charge de trouver des familles d’accueil à la campagne, pour ces bébés sans filiation. Cette action perdure après la libération s’étendant aux enfants atteints de tuberculose. L’activité est assurée par des bénévoles jusqu’en 1961, date à laquelle commence progressivement la professionnalisation de l’intervention, avec l’arrivée du premier éducateur spécialisé. « Il ne suffit pas de faire le bien, pour le faire bien » affirme alors le Patronage des enfants délaissés qui se transforme alors en Société de Protection de l’Enfance. L’activité de cette association va très vite se développer en s’adaptant aux besoins : pérennisation du service de placement familial bien sûr, mais aussi création, en 1971, de foyers d’hébergement, en 1981, d’un service de milieu ouvert et, en 1995, d’un point rencontre famille, d’un service d’enquête sociale et d’un service de médiation familiale. L’association emploie 230 collaborateurs (dont la moitié est constituée de familles d’accueil) et a en charge 530 enfants. Avec ses cinquante sept ans d’existence, elle a accumulé une solide expérience. De quoi offrir, en quelque sorte, un panel assez complet des différentes facettes que peut proposer le dispositif de protection de l’enfance, en France.
De l’autre côté, on trouve les avocats du barreau de Saint-Nazaire, qui sous l’impulsion de leur nouveau bâtonnier, ont décidé d’y voir un peu plus clair dans le domaine de l’assistance éducative. La profession est organisée autour d’un certain nombre de spécialisations qui s’obtiennent grâce à des stages proposés par le Centre de formation professionnelle des avocats qui délivre un certificat, permettant ainsi de pouvoir s’afficher comme spécialiste en droit social, droit immobilier, droit du commerce, droit de la famille etc ... Mais de spécialité en droit de la délinquance des mineurs ou droit de l’assistance éducative, point : cela n’existe pas. Aussi, quand les juges d’instruction ou des enfants du tribunal de grande instance demandent au barreau une liste d’avocats habilités à intervenir sur les affaires des mineurs, la réponse est négative, car une telle désignation ne reposant sur rien, elle serait arbitraire. La seule possibilité offerte, c’est de proposer de recenser les avocats qui acceptent d’être commis d’office dans ce genre d’affaire. Conscient de ces lacunes, et en attendant qu’elles soient régulées au niveau national (pourquoi ne pas imaginer une spécialisation dans le droit des mineurs ?), le barreau a donc décidé de proposer à ses membres une journée d’information sur la justice des mineurs.
Nos deux partenaires étaient donc faits pour se rencontrer... et ils se rencontrèrent en ce vendredi 29 septembre 2000.
D’un côté comme de l’autre, la journée devait permettre de faire changer les représentations. Chaque corporation garde ses spécificités : l’avocat travaille à partir de l’examen des faits, du droit des individus, de la religion de la preuve et de l’incontournable exigence du respect du contradictoire. L’éducateur, quant à lui recherche le consensus, la construction d’un projet de vie et revendique la défense des intérêts de l’enfant. Comment se retrouver autour du meilleur service à rendre aux mineurs ? Telle pourrait être la question qui a présidé à cette journée de rencontre.
A la découverte d’un nouveau continent
Le monde des avocats, représenté par huit d’entre eux, était surtout avide de questions de compréhension et d’interrogations sur un mode de fonctionnement qu’ils perçoivent d’une façon très lointaine et pour tout dire assez énigmatique. C’est avec beaucoup d’attention qu’ils ont écouté les différents intervenants sociaux expliquer leur travail : successivement un directeur général et des responsables et professionnels de milieu ouvert, de placement familial, d’hébergement, de lieu d’accueil parents/enfants, de médiation familiale et d’enquête sociale. C’est avec tout autant d’intérêt qu’ils ont visité les lieux où s’exerce une activité dont ils entendent parler leurs clients, mais sans n’avoir jamais pu s’y rendre. Pour autant, ils n’ont pas été avares de questions et d’interrogations.
Ainsi, sur la perspective ouverte aux enfants placés : « le juge des enfants affirme toujours que l’objectif de la mesure d’aide éducative est le retour de l’enfant dans sa famille. Combien y reviennent effectivement ? » La réponse du responsable de placement familial sera précise : sur les 140 enfants que compte le service en famille d’accueil, 38 en sont sortis en 1999, dont 12 du fait de leur majorité, 12 pour un retour chez leurs parents (accompagnés d’une aide éducative en milieu ouvert) et 5 toujours chez leur parents, mais sans cette AEMO. Si ces chiffres ne sont représentatifs ni du fonctionnement de l’ensemble du secteur, ni même d’une moyenne (chaque année apportant ses propres modulations), ils prouvent néanmoins qu’on peut sortir de l’assistance éducative pour retourner dans sa famille !
Autre question pertinente, celle portant sur le moment du placement qui « intervient parfois en catastrophe. » Effectivement, répondront les professionnels, trop souvent, on conçoit le placement comme une sanction ou encore dans l’urgence face à une dégradation de la situation. Les services socio-éducatifs essayent depuis un certain temps déjà de répondre aux besoins d’une manière qui soit la plus souple possible. Tout au long de l’accueil, les retours en familles se font en fonction de chaque cas particulier. On devrait pouvoir assurer un placement à temps partiel sur certaines périodes seulement de la semaine. Ou encore, être en capacité d’ouvrir des unités proposant des formules d’accueil très flexibles susceptibles de s’adapter aux jeunes les plus en difficulté, tels les fugueurs chroniques par exemple. Mais, cela dépend de la politique des financeurs, car de telles facilités d’ajustement ont un coût.
La place de l’avocat
Toute une série de questionnements a ensuite porté sur la reconnaissance du rôle des avocats au sein de l’assistance éducative. Face au juge des enfants, ceux-ci ont, en effet, l’impression d’être la cinquième roue de la charrette. Le magistrat fait traditionnellement confiance aux services socio-éducatifs qu’il a mandatés, ne semblant pas faire suffisamment de place pour le travail de l’avocat : « tout semble se décider avant que je ne commence à parler et à plaider. Je me demande à quoi je sers » lance l’un d’entre eux. Cette situation va à l’encontre du principe du contradictoire : le juge a pu se faire une opinion avant même que les familles ne puissent être défendues de façon vraiment sérieuse par leur conseil. Ce qui n’est pas fait pour arranger la situation, c’est bien le refus du magistrat de délivrer une copie du dossier aux avocats : autant, le juge des affaires familiales leur transmet systématiquement le rapport d’enquête sociale, autant là, la seule possibilité c’est d’aller consulter au greffe, « sur le coin d’une table », quelques jours avant l’audience les rapports des services éducatifs (qui en outre sont souvent transmis très en retard). Ne serait-il pas plus simple que les services socio-éducatifs adressent parallèlement leurs rapports aux avocats, demande l’un d’entre eux ? Les écrits des services socio-éducatifs sont destinés exclusivement aux juges, lui répond-on. Il appartient à ces derniers, d’organiser la communication de ces documents. En outre, ces services ne constituent pas la partie adverse des familles. Ils sont plutôt plus en position d’expertise, rajoute-t-on. Quant à la communication du dossier aux parents, une évolution semble se profiler, qui devrait la faciliter : il est vrai qu’il est aberrant d’affirmer qu’en assistance éducative, les familles peuvent se défendre toutes seules, et en même temps leur refuser l’accès aux rapports !
Les avocats se sentent en état d’inégalité face aux éducateurs, expliqueront-ils ensuite, du fait même que ces derniers connaissent la situation depuis des mois sinon des années, alors qu’eux-mêmes en prennent connaissance après un ou deux rendez-vous, et encore, quand les familles ont pris l’initiative de les contacter. En effet, si la loi rend obligatoire leur présence dans le cas de la procédure pénale (application de l’ordonnance de 1945 sur l’enfance délinquante), ce n’est pas la même chose dans la procédure civile (article 375 sur l’enfance en danger) où ils sont très largement absents. Interrogés à leur tour, sur cette défection, les avocats présents donneront trois raisons. Tout d’abord, pendant des années, l’aide juridictionnelle leur était payée à l’issue de la mission (soit parfois au bout de 16 ans, si la main-levée de la mesure du juge n’intervenait pas avant). La procédure a changé aujourd’hui, mais les habitudes ont été prises de fuir une intervention payée si tardivement. Ensuite, les juges des enfants n’ont pas toujours regardé d’un bon œil l’action des avocats dans ces procédures. Il faut dire que le respect du droit des familles est une démarche récente : on a pensé pendant longtemps agir pour le bien de l’enfant d’une telle façon que cela ne justifiait pas de la présence d’un conseil. Là aussi, les représentations évoluent. Enfin, les services socio-éducatifs eux-mêmes ne sont pas toujours partie prenante de cette démarche comme s’ils ne pensaient pas utile le rôle des avocats. Effectivement reprendra au vol un responsable de service socio-éducatif, « nous devons rester à notre place, si les avocats ont un éclairage juridique à apporter, il ne nous revient pas d’avoir à nous préoccuper de la relation entre eux et les parents. »
Face au droit des usagers
Les parents d’un enfant placé n’en garde pas moins des droits, parmi lesquels, le droit de visite. Un avocat posera la question de la non-observation du calendrier de visites dans la famille naturelle. « Aucun d’entre nous se permet de ne pas respecter la décision judiciaire quant au droit de visite » lui répondra un responsable éducatif. Seule exception : les cas de l’enfant malade ou du parent qui vient chercher son fils ou sa fille en voiture alors qu’il est manifestement en état d’ébriété. Les avocats insisteront sur les libertés prises par certains services en la matière, même s’il n’incrimine pas la SPE. Il arrive parfois, répondra le responsable éducatif, que le magistrat laisse aux services l’appréciation des modalités de visite, alors que cette tâche est de sa prérogative. « En cas de problème, il revient alors aux avocats de saisir le juge pour non présentation d’enfants, ce qui constitue un délit.»
Le droit des usagers a aussi été précisé par le législateur au travers d’obligations faites aux institutions médico-sociales. Ainsi, l’élection d’un conseil d’établissement au rôle consultatif et qui est constitués de représentants élus de quatre collèges : familles, usagers, personnels et conseil d’administration. La SPE applique-t-elle cette loi ? La réponse donnée sera sibylline : « c’est compliqué d’associer des familles déjà en difficulté à l’organisation de l’établissement », ou encore « cela fait 20 ans qu’on s’intéresse à la place des parents : si l’enfant n’est pas relié à eux dans notre travail, il se meure », sans oublier « nous n’avons pas formalisé leur intervention. Mais, la fête des parents que nous proposons chaque année y répond tout aussi bien. ». L’association se défend donc de ne pas appliquer la loi à la lettre, puisqu’elle le fait déjà dans l’esprit ... Avec le désir néanmoins, de se mettre en conformité dans les mois et années à venir. Réaction tout à fait représentative de l’état d’esprit du secteur sur cette question...
Autre droit des usagers, celui des mineurs pris en charge. Selon quelles modalités sont réglées leurs transgressions ? Ici pas de conseils de discipline comme dans les établissements scolaires, ni possibilité d’être défendu face à l’autorité qui sanctionne, par un tiers. Si le degré de gravité le justifie, cela se passe dans le bureau du juge, car ce n’est pas aux éducateurs de rendre la justice. Les jeunes ne doivent pas être soustraits aux conséquences judiciaires de leurs actes. Si ceux-ci sont plus minimes, c’est le bon sens qui l’emporte. Cela relève alors de l’acte éducatif selon le modèle familial : « on agit comme agisse des parents ordinaires ».
A l’espace famille
La visite au service espace famille sera la plus animée de la journée. Cette structure qui regroupe à la fois la médiation familiale, les professionnels chargés des enquêtes sociales, et le lieu de rencontre parents/enfant est peut-être celle qui est la plus chargée pour les avocats de représentations émotionnelles. Ceux-ci apprécieront de se retrouver en face de celles et ceux dont les familles leur parlent avec le plus d’acrimonie. « Les parents vivent, la plupart du temps très mal les rapports sociaux, ils ont toujours quelque chose à critiquer » explique l’un. Et c’est vrai que c’est parfois très violent de voir écrit noir sur blanc un descriptif qui peut être très dérangeant. « Les parents nous disent souvent être surpris de trouver 10 pages de rapport alors qu’ils n’ont été entendus que 30 minutes » Les enquêtrices expliqueront le soin qu’elles apportent à leur travail, faisant attention de consacrer autant de temps aux deux parents et soumettant leur avis à l’équipe, l’écrit final étant relu deux fois (par le chef de service et le directeur) avant transmission. Ce luxe de précautions vient du fait que le document remis au Juge des affaires familiales aura de grande chance d’emporter sa conviction. L’espace rencontre parents/enfants est lui aussi amené à fournir des rapports au magistrat sur la façon dont se déroulent les visites. Les professionnels ont beaucoup de mal à les rédiger : pour soutenir des hypothèses, il faut être en capacité de les étayer. La recherche de la plus stricte neutralité est à relier à l’utilisation qui peut être faite d’un côté comme de l’autre de ce qui est noté, les avocats reconnaissant la facilité avec laquelle il isole telle ou telle partie du texte pour la mettre au service de leur client. Quant à la médiation familiale, elle a été longtemps vécue par eux comme concurrentielle. Aussi apprendront-ils avec étonnement que s’il y a des ordonnances de médiation qui viennent du tribunal, la plupart des couples qui fréquentent ce service, le font à leur propre initiative. L’intervention n’est pas ici sur le terrain du droit, mais sur celui de la souffrance et de l’accompagnement. Il s’agit avant tout de proposer un espace de parole et d’écoute à des personnes engagées dans un conflit, leur proposer de se détacher de ce qui fait nœud pour tenter de trouver des solutions auxquelles elle n’avaient pas pensé auparavant. Il ne s’agit pas de réconcilier, mais d’aller vers un accord. De ce point de vue, l’intervention de la médiation est tout à fait complémentaire de celle des avocats et comme le dira l’un d’entre eux peut même leur permettre de se libérer en partie de cette aide qu’il doivent apporter à des clients qui vivent avant tout très mal la séparation et qui leur prend beaucoup de temps.
La journée se terminera par la volonté affichée de part et d’autre de continuer la collaboration engagée ainsi. Il a semblé important de ne pas en rester là, mais d’approfondir le travail de connaissance réciproque.
L’articulation des métiers juridiques et éducatifs peut finalement fort bien se retrouver sur la restauration de la parole du sujet et la reconnaissance des parents et des enfants comme des citoyens à part entière, dotés de droits qui devront à l’avenir être de plus en plus respectés.
(1) Société de Protection de l’Enfance : 7 rue du Port 44600 St-Nazaire Tél. : 02 40 22 06 03
(2) Ordre des avocats : 39 rue des Halles 44600 Saint-Nazaire tél. : 02 40 66 73 82
Jacques Trémintin – Journal du Droit des Jeunes ■ n°206 ■ juin 2001