C’est l’conseil

A l’Institut de Rééducation des Landettes, à Saint-Nazaire, les professionnels sont confrontés comme dans beaucoup d’établissement de ce type aux comportements difficiles, souvent éclatés, toujours problématiques d’enfants qu’on dit atteints de troubles du caractère et du comportement. Comment arriver à réguler ce déluge d’énergie, de tension et de virulence ? A cette question, l’équipe a répondu par l’un des outils de la pédagogie institutionnelle qui s’appuie sur la parole de l’enfant : le Conseil. Nous sommes allés vivre une séance de cette instance toute nouvelle, puisqu’elle a été mise en place que depuis septembre 1999. Puis, nous avons interrogé son principal initiateur, Jacques Lambert, directeur-adjoint de l’IRP les Landettes et de l’IME Marie Moreau.

Autour de la table, onze enfants et quatre adultes se retrouvent comme chaque matin de 9h00 à 9h30. Le président de séance est aujourd’hui le directeur-adjoint. L’ordre du jour est tout d’abord rappelé : avant-conseil (tout enfant ou tout adulte peut y faire part d’une information qu’il lui tient à cœur de donner) demandes, projets, envies (c’est le moment de formuler ses souhaits et ses désirs), divers (si on a oublié de dire quelque chose), félicitations (si on a à adresser des félicitations à quelqu’un) enfin organisation de la journée.

La séance est officiellement ouverte par son président. « Avez-vous des informations à communiquer ? » Déjà, plusieurs mains se lèvent, mais un enfant se précipite et intervient. Il est aussitôt arrêté : la parole ne lui a pas été accordée. Il devra attendre son tour. Les uns après les autres, les enfants s’expriment. Un intervenant ne peut parler qu’à condition que son prédécesseur ait fini son propos. Le président de séance lui demande d’ailleurs s’il a terminé pour attribuer le tour de parole à quelqu’un d’autre. Un premier enfant relate le film qu’il a vu la veille au soir. Le second aborde la disparition du support à rouleau de papier dans le WC. Le troisième de la synthèse qui a eu lieu la veille à son propos. Mais bientôt, les échanges sont couverts par le chahut de deux garçons qui se disputent. Le président leur demande de cesser. Comme ils continuent, il leur enjoint de changer de place. Mais cela n’est pas suffisant pour l’un des deux qui continue à s’énerver : « tu ne te sens pas capable de rester au Conseil ce matin ? Je te demande de sortir quelques instants pour te calmer » Un adulte se lève alors et accompagne l’enfant. Il est là pour non pour lui faire des reproches, mais pour l’aider à contenir son trop plein d’énergie. Quelques minutes plus tard, il frappe à la porte de la salle : « te sens-tu capable de revenir ? » lui demande calmement le président de séance. Devant l’acquiescement de l’enfant, il l’invite à prendre à nouveau place dans le groupe. Il n’a pas été puni, ni exclu. Il a simplement été invité à se retirer pou s’apaiser, aidé en cela par un éducateur. Mais ce n’est décidément pas son jour. L’enfant au bout de quelques instants pose ostensiblement ses pieds sur la table. Le président le reprend à nouveau lui intimant d’avoir à respecter les règles du Conseil. Il se fait à nouveau reprendre peu de temps après : il a subitement bondi en offrant un superbe doigt d’honneur à son copain de chahut resté de l’autre côté de la table et qui l’a certainement provoqué du regard. Le président lui demande à nouveau de sortir avec un adulte en expliquant : « ce geste inconvenant ne peut être toléré dans le Conseil. Décidément, ce matin, tu n’arrives pas respecter les règles. Tu ne reviendras que lorsque tu seras prêt à les appliquer. » La tension a baissé d’un cran. Le dialogue peut à nouveau reprendre. C’est au tour d’une éducatrice d’intervenir. Mais, elle se fait aussitôt reprendre par un enfant : elle n’a pas attendu son tour. Le président confirme bien que les règles du Conseil sont valables pour les enfants tout comme pour les adultes. Dans la rubrique « demandes », c’est une institutrice qui exprime le souhait qu’on puisse acheter un poisson. Le projet est accepté. Un enfant renchérit en faisant la même demande pour sa classe. Là, il s’agit d’un achat plus conséquent puisqu’il n’y a pas du tout d’aquarium, lui explique le président. Il ne pourra pas se concrétiser immédiatement. Il est important que les adultes expliquent les raisons de leurs décisions et surtout soient capables de faire ce qu’ils disent. Vient le point « divers » de l’ordre du jour. « Quelqu’un a-t-il encore quelque chose à dire ? » C’est au tour d’une petite fille de lever le doigt : l’ambiance s’est calmée. Sécurisée, elle peut se risquer. Très mutique, il faut imposer le silence et lui laisser le temps d’exprimer sa phrase : elle rapporte une activité effectuée la veille en classe. Enfin, on passe aux félicitations. C’est l’occasion pour les adultes de noter un comportement particulièrement intéressant d’un enfant : un tel a réussi à plonger à la piscine alors que cela faisait des semaines qu’il n’y arrivait pas, une telle a bien réussi un exercice à l’école... Mais il est arrivé que cette pratique soit inversée par les enfants qui se sont mis à féliciter les adultes : pour avoir fait un bon repas (le cuisinier), pour avoir réussi une belle tresse sur un enfant (une éducatrice) … Aujourd’hui, c’est au tour d’une éducatrice de féliciter deux enfants à qui elle avait demandé de rester sages et qui ont réussi à respecter leur promesse. Enfin, dernier point de l’ordre du jour : l’organisation de la journée. Très vite un enfant demande la parole et veut savoir qui va remplacer l’intervenant malade. Le président donne alors l’information que tout le monde n’a pas encore eu : effectivement il y a quelqu’un d’absent. Un échange a lieu sur la réorganisation des groupes d’enfants. Puis, le président clôt officiellement la séance. Un temps de récupération est accordé aux enfants : la séance du conseil leur a demandé beaucoup d’énergie et de concentration. Il leur faut récupérer avant de passer en classe où ils vont être à nouveau sollicités.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°512 ■ 16/12/1999