Solidaire du chocolat - Saint Nazaire/Progreso

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Le dimanche 11 mars était donné le coup d’envoi de la seconde édition de la Solidaire du chocolat. Une course transatlantique de plus ? Pas tout à fait, tant le partage est au coeur de cette aventure peu ordinaire. Explications.
Une solitaire à la voile, une association d’aide aux SDF et des élèves de CM2. Quoi de plus improbable que d’imaginer une rencontre entre ces trois univers si dissemblables ? C’est pourtant ce qu’a permis la seconde édition de la « Solidaire du Chocolat », à la fois défi sportif et vent de solidarité soufflant tant sur la France que sur le Mexique. Cette illustration parmi tant d’autres de toutes les manifestations générées par cet évènement maritime, musical et festif est à la fois symbolique et représentatif de l’état d’esprit et des valeurs véhiculées par les organisateurs.

Une transat citoyenne

Ouverte exclusivement aux monocoques de 40 pieds (12,19 m), cette course transatlantique de 5 000 milles (9 260 km) entre Saint Nazaire et Progreso dans le Yucatan, permet aux deux coureurs de chacun des vingt bateaux engagés, de suivre les traces des premiers navires affrétés, au 19ème siècle, pour le commerce du cacao. Les organisateurs ont voulu donner à cet évènement sportif, une connotation très singulière : articuler cette course au large marquée par une intense compétition maritime avec des valeurs d’échange et de partage. Chaque équipage présent, par ailleurs soutenu par ses propres partenaires et sponsors, porte aussi les couleurs d’une association caritative d’envergure locale, nationale ou internationale, impliquée dans les domaines social, solidaire ou environnemental. Cette association va bénéficier d’une dotation de 25.000 € attribuée par des parrains qui peuvent être aussi bien des grands groupes (comme Vinci ou Système U), que des PME locales qui n’avaient encore jamais fait de mécénat et qui, parfois, se sont regroupés pour rassembler la somme demandée. Outre les retombées médiatiques potentielles de leur engagement, la possibilité de déduire 15.000 euros de leurs impôts aide l’effort financier attendu. Ainsi, la première édition de la Solidaire du chocolat qui s’est tenu en 2007, permit, avec 24 duos au départ, de lever plus de 500.000 euros pour le tissu associatif, au premier rang duquel on trouve aussi bien des associations intervenant à l’échelle internationale comme Action contre la faim, Les pompiers de l’urgence ou Mécénat chirurgie cardiaque, que des associations locales agissant dans le secteur de l’insertion comme ANEF-FERRER 44, le chantier d’insertion L’homme debout ou Toit à moi. Mais, la Solidaire du chocolat est aussi l’occasion d’actions de coopération en direction du pays d’arrivée de la transat. A l’exemple de l’Institut Professionnel de Formation Adaptée de Saint-Nazaire qui a construit, avec onze jeunes âgés de 18 à 25 ans, un bateau de pêche traditionnel en bois, qui sera remis au Mexique. L’occasion à la fois d’une formation en charpenterie de marine et d’un formidable acte de solidarité.

Reloger des SDF

« Toit à moi » qui vient d’être citée parmi les bénéficiaires, le lecteur de Lien Social la connaît déjà, pour avoir lu dans nos colonnes le reportage qui lui a été consacré, en février 2010 (LS n°961). Cette association, créée le 1er janvier 2007, s’est donnée pour objectif de devenir propriétaire de studios qu’elle met ensuite à disposition de personnes sans domicile fixe, qu’elle accompagne socialement pour leur permettre de se réinsérer dans le parc de logement de droit commun. Son financement est intégralement assuré par des parrainages de particuliers qui versent mensuellement entre 15 et 20 euros, du mécénat d’entreprise permettant de financer les postes salariés. Du premier T1-bis acheté en octobre 2008, on est passé en janvier 2012 au quatrième logement acquis par l’association. Ce sont 300 parrains qui versent mensuellement leur contribution. Un reportage de quelques minutes passé dans le journal d’antenne 2, le 17 février a été l’occasion de près de 300 prises de contact, se concrétisant par l’engagement de 120 nouveaux parrains. « Toit à moi » s’est fort bien intégré au réseau des associations d’insertion de la région nantaise. Lorsqu’un appartement est libéré par un locataire pour qui une solution pérenne a été trouvée, la candidature de la personne qui va le remplacer fait l’objet d’une validation par une commission composée pour moitié de membres de l’association et de travailleurs sociaux partenaires. Face à la forte demande et au renfort de nouveaux financements, le cap est mis, dès à présent, sur l’achat de deux autres logements. Les plus critiques pourront interroger l’intervention du citoyen dans la solidarité aux plus démunis, évoquant comme effet pervers le risque d’un encouragement au désengagement de l’État. La disproportion des contributions respectives d’une petite association comme « Toit à moi » et des budgets sociaux dédiés à l’insertion, on peut estimer que le premières sont à des années lumière de pouvoir jamais concurrencer les seconds. On est plutôt là, dans une complémentarité d’autant plus pertinente qu’elle implique directement les citoyens dans un acte de solidarité concret et non plus seulement délégué à l’État.

Une classe citoyenne

Tournons-nous, à présent, vers la classe de CM2 de Nicole Hénouille. Professeur des écoles au groupe primaire Ferdinand Buisson de Saint Nazaire, cette enseignante tient à ouvrir ses élèves sur la société où ils vivent, en leur faisant découvrir ses différents acteurs. Elle a toujours considéré que son travail ne pouvait se limiter à seulement les instruire, mais aussi à les préparer à devenir de futurs citoyens. Ainsi, a-t-elle déjà participé à la préparation du parlement des enfants, cette opération qui envoie, chaque année, 577 délégués juniors au Palais Bourbon, pour prendre le temps d’une journée la place des députés et voter entre trois propositions de lois. Tous ses projets ne sont pas aussi spectaculaires. Mais, chaque rentrée scolaire est l’occasion de concevoir de nouvelles initiatives : faire venir les parents des élèves pour qu’ils présentent leur métier, inviter la grand-mère d’un enfant pour parler de ses souvenirs de la deuxième guerre mondiale, accueillir dans le cadre de la semaine du handicap des personnes atteintes de déficiences auditives pour initier les élèves à la langue des signes ou aménager dans la forêt voisine un parcours tactile adapté aux promeneurs souffrant de troubles de la vision. Aussi, quand la mairie de Saint Nazaire proposa aux classes primaires de la commune, dans le cadre de la Solidaire du chocolat, une correspondance avec une école mexicaine, Nicole Hénouille n’hésita pas un seul instant à se porter volontaire. Quant à la course elle-même, elle y intéressa ses élèves, en leur proposant de recevoir Denis Catin, le fondateur de Toit à moi, dont les couleurs étaient portées par l’un des bateaux participant (Aquarelle.com) et leurs deux skippers, Yannick Bestaven et Eric Drouglazet. C’est ainsi, que fut organisé un étonnant face à face entre des enfants issus de milieux plutôt aisés et un acteur engagé dans la lutte contre l’exclusion des plus fragiles et des plus pauvres de nos concitoyens. Les élèves avaient bien préparé cette rencontre, ayant rempli chacun leur fiche de questions. La séance ne sera pas assez longue pour les poser toutes.

Le face à face

Que peut comprendre un enfant de 10 ans de ces personnes vivant dans la rue qu’il aperçoit parfois à la télévision ou qu’il croise en allant en ville, s’interrogera le lecteur sceptique ? Contrairement à ce que l’on peut imaginer, la naïveté et la crédulité de cet âge n’empêchent nullement la perspicacité et la pertinence des propos. Denis Castin reconnaîtra avoir donné là, l’un des entretiens les plus difficiles, depuis qu’il a à faire à des journalistes ou à des partenaires. Aux questions faciles à répondre sur les raisons de la création de son association, son but, sa composition, son financement … ont très vite succédées d’autres interrogations bien plus délicates à renseigner. « Est-ce qu’il y a des sdf qui ne veulent pas habiter dans un logement ? », « comment ça se passe lors de la première rencontre ? », « quand un sdf est malade dans la rue, mais que vous n’avez plus de place, vous le laissez à la rue ? », « quand un sdf rentre dans l’appartement, comment il fait ensuite pour se nourrir ? », « quel est le budget pour la Solidaire du chocolat ? » etc… Il faudra toute la pédagogie de Denis Castin pour tenter de faire comprendre à ces enfants attentifs et exigeants les difficultés menant à la grande exclusion et le temps nécessaire pour en sortir, qui passe parfois par le refus de quitter immédiatement la rue. Il racontera les multiples attitudes dont il aura été témoin lors des entretiens avec les personnes candidates, depuis la prostration jusqu’au débit de paroles qui dénotent tant l’accablement que la peur des questions. Il confiera sa frustration de ne pas pouvoir répondre à toutes les demandes présentées, devant ainsi laisser des personnes à la rue et son combat pour accroître la capacité d’accueil de « Toit à moi ». Il expliquera le fonctionnement du RSA qui permet aux personnes logées de pouvoir se nourrir. Mais, il ne pourra s’empêcher d’évoquer le nombre de sdf que l’on pourrait héberger, avec le budget de la Solidaire, en remarquant toutefois que celui-ci reste infiniment moindre que les sommes fabuleuses dépensées, dans le monde du football.
 

Le brassage

La justesse des réponses apportées n’aura eu d’égale que la pertinence des questions posées. Et, c’est là la magie de ce type de manifestation. « La force de la Solidaire, c’est de rassembler des personnes de tous horizons, peu habituées à se croiser dans la vie, de tout âge et statut social, de nationalités et de cultures différentes : collégiens, lycéens, dirigeants de grandes entreprises, commerçants, élus ou salariés de collectivités, enseignants, bénévoles, bénéficiaires du RSA, skippers, artistes, musiciens, journalistes… » explique Christelle Bervas, en charge du volet solidaire de la Solidaire du chocolat. Ce n’est pas là son moindre atout. « La mer, à l’image de la vie,peut se montrer imprévisible. Les marins le savent bien. À terre aussi, des tempêtes peuvent souffler. Il faut savoir alors faire le dos rond, preuve d’humilité, et se montrer solidaires pour affronter le gros temps, garder le cap, et atteindre la rive » poursuit-elle. Au-delà de ces rencontres qui auront permis aux marins, aux acteurs associatifs et aux enfants de se parler, restera une idée centrale : construire un monde plus solidaire, chacun prenant sa part et sa place dans cette quête, en proposant sous la forme qui lui est propre un engagement riche de sens.

 

www.lasolidaireduchocolat.com
www.toitamoi.net

 

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°1054 ■ 15/03/2012