La C.I.R.C. L’autogestion au cœur de l’insertion

On les croyait dépassées et ingérables. Et voilà que cinquante ans après 1968, se perpétue l’utopie d’une communauté tournée vers l’insertion de ses membres se prenant entièrement en charge.

Une douzaine de camions aménagés, de camping-cars et de caravanes sur un terrain clôturé de 1.800 m². Non, ce n’est pas une aire pour les gens du voyage, celle-ci se trouvant un peu plus loin. Nous sommes sur le site de la CIRC : la Compagnie itinérante de réinsertion et de culture. L’acronyme de cette association renvoie à trois dimensions : l’itinérance (elle accueille des personnes en situation d’errance), la réinsertion (elle leur propose un accompagnement leur permettant de trouver leur place dans la société) et la culture (elle l’utilise comme support d’activité). Bien des Centres d’hébergement et de réadaptation sociale pourraient se donner pour ambition d’atteindre les mêmes objectifs. Qu’est-ce qui différencie la CIRC et en fait sans doute un lieu unique en son genre ?

 

Un lieu innovant

Ce que cette association a d’original tient, au moins, à trois caractéristiques atypiques. La première d’entre elles s’attache à une réalité plus qu’étonnante : ce lieu où l’on peut se poser un temps ne bénéficie d’aucun financement public. Pour y entrer, il suffit de payer les 15 euros d’adhésion à l’association et les 45 euros de cotisations mensuelles permettant de contribuer aux frais de loyer et de consommation d’eau et d’électricité. Seconde spécificité : il n’y a aucun encadrement direct par un professionnel du social. Pour être admis sur le terrain, il faut avoir au préalable signé le règlement intérieur qui régule le fonctionnement quotidien, interdisant notamment toute consommation de drogue et limitant les prises d’alcool. Mais, il faut aussi se présenter avec un projet individuel. Cela peut aller de la réparation du moteur de son camion, à l’objectif d’accession à un logement, en passant par le renouvellement de ses papiers d’identité ou l’ouverture de ses droits sociaux. Un contrat est alors signé pour trois mois renouvelable trois fois. Au-delà, cela se négocie. Mais, l’association reste vigilante à préserver la dimension temporaire et transitoire de l’accueil. Troisième originalité de la CIRC, c’est son fonctionnement en autogestion. Chaque dimanche, les résidents se réunissent à 17h00 pour gérer leur communauté. Les tâches collectives sont réparties : il faut s’occuper du potager biologique, vider les toilettes, nettoyer le terrain, nourrir les poules. Mais, c’est aussi l’occasion d’aborder les projets à venir et de présenter les candidatures reçues, quand une place est disponible, toute admission d’un nouvel arrivant faisant l’objet d’un vote (cinq départs en moyenne par an).

 

Ouverture sur le monde

Même si l’ambition de l’association est bien de proposer un espace où les personnes en errance peuvent trouver un accueil provisoire, la communauté ainsi constituée n’est pas repliée sur elle-même. L’une des ses spécialités est la récupération de palettes de bois qu’elle réutilise pour construire des toilettes sèches, des composteurs ou des bacs à fleurs revendus ensuite à des particuliers, à des collectivités ou à d’autres associations. Des ateliers sont animés par une dizaine de bénévoles, proposant de la mécanique, du jardinage ou  de la soudure… S’il n’y a pas de travailleur social attitré, la CIRC est en lien étroit avec les associations d’insertion du secteur, qu’elle sollicite comme relais pour aider les résidents à faire face aux problèmes qu’ils rencontrent. Un étroit partenariat a ainsi été tissé avec OPPELIA/La Rose de vents (qui propose une aide aux personnes en situation d’addiction), ANEF-FERRER (qui accompagne socialement dans l’accès au logement), l’APUI (Centre d’hébergement et de réadaptation sociale assurant le suivi social), le Trait d’union (restaurant social), la Mission locale (pour l’orientation des moins de 25 ans), sans oublier le Conseil Départemental, partie prenante dès l’origine du projet. Des contacts ont été pris avec l’équipe Psychiatrie précarité, pour la faire intervenir. La Maraude et la protection civile se rendent régulièrement sur le terrain qui reçoit aussi la visite d’anciens résidents ou de personnes de passage venant se ressourcer, en profitant de l’atmosphère de convivialité et de sérénité qui y règne. La CIRC s’est en outre inscrite dans le réseau des CEMEA « jeune en errance » aux colloques annuels desquels elle participe. Loin d’être isolée, c’est donc au cœur d’un terreau riche de potentialités que l’association déploie son action.

 

Quel avenir ?

L’ambition de la CIRC n’est pas d’accroître son potentiel d’accueil. Les dix résidents installés sur le terrain (qui vont le plus souvent jusqu’à quinze) ont réussi à créer une dynamique positive qui pourrait bien se gâter, s’il devait y avoir un afflux non maîtrisé. Certes, cette expérience a essaimé, une personne accueillie un temps et repartie ensuite vers sa Bourgogne natale, y a acheté un terrain et y a reproduit sur place un clone de l’association. Ce que recherche cette communauté, c’est bien de sécuriser et de pérenniser son existence. Du côté de la mairie de Saint Nazaire, le bail de trois ans n’est pas remis en cause. L’intégration au tissu social, les bonnes relations avec le voisinage et l’engagement dans une démarche d’insertion constituent autant de garanties de sérieux et de pertinence. Restent à trouver d’autres financements que ceux qui se limitent aujourd’hui aux seuls dons ponctuels (qui ont déjà permis d’acquérir un camion permettant le transport des structures associatives) et aux ventes des productions en bois. Deux constructions modulaires de type Algeco ont ainsi été achetées pour la somme symbolique de 30 € pièce. Ils conviendraient tout à fait pour accueillir les ateliers et un bureau. Mais, il faut débourser 2.000 € pour tracter chacun d’entre eux jusqu’au terrain. Deux nouvelles caravanes pourraient aussi être acquises, pour renforcer la seule qui assure l’accueil d’urgence. Mais comment les financer ? Gauthier, l’un des plus anciens résidents, joue un rôle essentiel de médiation dans le quotidien. Il a été pressenti pour devenir travailleur pair. Sa formation et son poste devront être budgétés. Si les moyens attendus sont très loin de se rapprocher des prix de journée du secteur socio-éducatif, un minimum de ressources apparaît indispensable pour faire vivre une association reconnue pour la pertinence d’une action qui occupe une place utile et originale dans le dispositif d’insertion de la région nazairienne.

 

La genèse d’une stabilisation
La création de ce terrain est l’aboutissement d’une longue gestation. Décembre 2010, un groupe de personnes en errance occupe « Le Pilotage », un hôtel désaffecté au cœur de la ville portuaire de Saint Nazaire. Éric Natu, le président de la CIRC participe à cette aventure. Ce squat appelé Le radeau de la sorcière s’inscrit aussitôt dans une dimension culturelle. Si le premier étage est occupé par un noyau stable de résidents, le second est à disposition des personnes de passage. Quant au rez-de-chaussée il est aménagé pour servir de lieu d’échange culturel et musical. Très vite, la municipalité saisit la justice, obtient une expulsion judiciaire et, au mois de mai 2011, le bâtiment est détruit. Qu’à cela ne tienne : un nouveau squat est ouvert dans un hangar industriel de 3.000 m² dépendant de la SNCF. L’insécurité qui y règne contraint, fin 2011, ses occupants à s’éparpiller. Éric Natu achète un camion qu’il aménage et installe sur le terrain de l’école du cirque Michelletty qui propose depuis 2006 des activités aux enfants de l’agglomération. C’est l’occasion d’un échange réciproque : possibilité de brancher le camion et de bénéficier des installations sanitaires contre des coups de main dans l’animation du cirque. Ce n’est pas un hasard si l’association de nommera « compagnie ». Fin 2013, le cirque qui n’a pas vu son agrément être renouvelé quitte Saint Nazaire. Le terrain est occupé par des personnes en errance, en camion. Mais avant même ce départ, Éric Natu crée l’association CIRC et entre en pourparler. Convaincue de la crédibilité de ses interlocuteurs, la municipalité accepte de négocier l’évacuation du terrain qui doit être utilisé dans un projet plus vaste, en échange de la mise à disposition d’une autre parcelle dont elle fixe à 250 € le prix de la location mensuelle. Nous sommes en décembre 2015 : un bail de trois ans est signé. Les résidents font installer l’eau et l’électricité. La nouvelle aventure peut commencer.

 

Du squat à la location légale
Comment avez-vous eu l’idée de ce terrain ?
Eric Natu : Il y avait toute une population vivant en camion aménagé éparpillée sur divers parkings de l’agglomération. L’idée de les regrouper sur un terrain répondait donc à un vrai besoin. Je voulais qu’il y ait un lieu qui ne ressemble pas aux structures d’urgence qui existent, mais où certains ne veulent pas aller.
Caroline Fauvergue : Les foyers d’urgence et les CHRS proposent un accompagnement qui ne convient pas à tout le monde. Il y a des personnes qui ne supportent ni la promiscuité, ni le manquer d’autonomie, encore moins des contraintes horaires trop exigeantes. Il s’agissait donc de proposer ce que l’on peut considérer comme un maillon manquant entre la rue et l’accès au logement, en sachant qu’il ne s’agit pas pour nous de forcer les résidents que nous accueillons à une sédentarisation. Certains choisissent le nomadisme comme un mode de vie. Si c’est la manière dont ils veulent fonctionner, il n’est pas question de le contester. Ils ont, eux aussi, leur, place sur le terrain.
Comment avez-vous négocié avec la mairie qui vous avait fait expulser d’un squat quelques années auparavant ?
Eric Natu : Cela n’a pas été facile de négocier avec la mairie, d’autant que je ne suis pas du genre diplomate, disant ce que je pense, ce qui ne plait pas toujours. Je pense qu’un des éléments décisifs pour la convaincre, ça a été de nous engager à limiter nos accueils à dix-quinze personnes. Cet engagement, nous le respectons depuis deux ans et n’avons pas l’intention de le remettre en cause. Si du côté des élus, il y avait sans doute la crainte d’un trop grande concentration, de notre côté nous voulons préserver la dimension conviviale de notre démarche, ce qui exclut de nous accroître. Quand nous avons signé une convention qui prévoit de payer un loyer, nous avons pris conscience que nous changions de logique, échangeant le principe du squat par une occupation officielle et légale qui constituait une reconnaissance du bien fondé de notre action.
Caroline Fauvergue : En obtenant cette validation, nous avons commencé à prendre une place dans le dispositif de l’action sociale. Nous avons même reçu quelque temps un mineur qui nous a été placé officiellement par l’aide sociale à l’enfance. Ma formation de monitrice éducatrice me permet de servir d’interface avec les partenaires institutionnels. Elle m’a aussi bien été utile pour concevoir une fiche résident où chacun précise quel est son projet. Nous avons fixé des entretiens mensuels, pour faire le point de l’évolution en cours. On n’a fait là que reproduire la méthodologie du projet individualisé que l’on retrouve dans tout le secteur éducatif. Nous avions l’ambition au départ de préserver notre dimension alternative. Mais, nous nous rendons compte, qu’il nous faut faire des concessions aux dispositifs institutionnels. Il ne faudra pas en faire trop, au risque de perdre notre originalité, mais suffisamment pour continuer à exister. Il nous faut trouver des financements pour des besoins primaires, comme obtenir une ligne internet, aménager le terrain ou nous procurer des moyens de transports, car le terrain est isolé et sans autonomie de déplacement il est illusoire de travailler à une réinsertion.
 
Éric Natu est président de l’association CIRC
Caroline Fauvergue est membre du bureau

 

 

Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1222 ■ 08/02/2018