L'innovation de l'IME de Blain

Le handicap face à l'intime, l'affectif et la sexualité

Si l'éducation à la sexualité des publics porteurs de handicap n'est plus un tabou, il y a loin de la coupe aux lèvres. Un petit IME a franchi le pas d'une manière particulièrement originale. L'occasion d'aller y voir de plus près.

 

A 17 ans, Laurine atteinte de trisomie 21, rencontre bien des difficultés pour communiquer. Il faut parfois que le professionnel se tenant à ses côtés traduise ses propos. Elle dialogue néanmoins volontiers, expliquant combien elle se sent bien lors des séances du Programme d'accompagnement à la vie intime, affective et sexuelle qui lui sont proposées, depuis deux ans. « J'aime bien entendre les autres parler de leurs émotions. J'ai appris les parties de mon corps », rapporte-t-elle. Subitement, une interrogation surgit, éloignée des questions qui lui sont posées : « Marco est amoureux de moi. Ma sœur a accouché, mais moi, je ne suis pas enceinte ». Puis, Laurine se referme. L'entretien n'a que trop duré. Elle n'a qu'une envie : retourner à l'activité danse interrompue quelques minutes auparavant, pour honorer la rencontre. Bienvenue à l'IME de Blain (1). Le témoignage de Laurianne constitue un condensé des préoccupations de bien des adolescents porteurs de handicap et de l'embarras rencontré par leurs accompagnateurs, pour y répondre. Car, la déficience mentale ne fait pas disparaître les questions intimes, les pulsions sexuelles ou les besoins affectifs. Et que ce soit les professionnels ou les familles, personne n'a spontanément de bonnes réponses à apporter. L'époque n'est pas si éloignée où deux adolescents se tenant tendrement pas la main créait l'émoi.

 

Poussés par la nécessité

« Nous étions confrontés à des troubles du comportement, notamment chez certains jeunes n'ayant pas accès au langage, se manifestant notamment par des masturbations compulsives. Nous comprenions que ces états de tension étaient liés à l'impossibilité de pouvoir vivre et éprouver. Mais nous ne savions comment réagir », témoigne Magalie Batté, éducatrice spécialisée. Depuis le début des années 2000, l'IME de Blain organisait bien deux, puis quatre groupes de parole par an, sans que ceux-ci n'abordent forcément les relations amicales ou amoureuses. Ces séances étaient utiles, mais loin d'être suffisantes. Sans préparation véritable et sans évaluation de ce qui avait été vraiment intégré, le besoin se faisait sentir d'aller plus loin. Apprenant que Réjean Tremblay, sexologue québécois (2) donnait une conférence dans la région, Bernard Gaurier, le Directeur de l'établissement, réussit à le faire intervenir une journée à Blain. Les vingt cinq membres du personnel y participèrent, appréhendant alors les enjeux de santé et de bien-être, mais aussi les implications qu’induit toute éducation à la sexualité qui ne peut que bousculer les représentations et l'intimité de chacun. Cette journée n'avait pas pour ambition d'être seulement de pure information, mais ambitionnait aussi d'être l'amorce d'une possible démarche au sein de l'établissement. Un groupe projet composé de quatre membres de l'IME et de deux conseillers en méthodologie de l'IREPS (3) se constitua dans la foulée. Il se réunira de septembre 2012 à juin 2013.

 

L'importance du cadre

Le projet d'accompagnement à la vie intime, affective et sexuelle (désigné sous l'acronyme de PAVIAS) prend petit à petit forme. Il est revisité par un groupe de pilotage composé de quatre professionnels et de trois parents non impliqués dans sa préparation, puis validé par le directeur général de l'ADAPEI de Loire Atlantique. Depuis le mois de septembre 2013, les séances se déroulent, à raison de quatre groupes de cinq enfants ou adolescents chacun, se réunissant pendant une heure. Si trois d'entre eux s'adressent en priorité aux plus âgés (à partir de 11/12 ans), les plus jeunes ne sont pas oubliés. Mais le thème qui leur est dédié est centré sur la gestion des émotions. La participation est basée sur le volontariat. « C'est le principe de mixité qui a été retenu, tant au niveau des participants que des animateurs. Le face à face entre filles et garçons s'est avéré très intéressant, chacun(e) apprenant à mieux connaître l'autre », précise Nicolas Gardy-Hervé, Aide Médico Psychologique de profession. Il faut dire que la préparation y est pour beaucoup, le cadre thérapeutique proposée garantissant la confidentialité, la bienveillance et d'écoute réciproques : « le rythme que nous suivons est très lent. Nous insistons longuement sur l'attitude de respect que chacun doit adopter envers les autres. Quand les participants sont enfin invités à aborder la question de la sexualité, le groupe se connaît depuis déjà un certain temps et la relation de confiance mutuelle est établie. Pour autant, chacun a le choix de s'exprimer ou non », explique Irène Pineau, la psychologue de l'IME.

 

Trouver les bons supports

Jean-François Mesré, Moniteur éducateur décrit la chronologie du PAVIAS, en insistant sur la progressivité des thèmes traités : « on commence par aborder la question des émotions. Puis, vient la notion d'intimité. Ce n'est qu'ensuite que l'on aborde les étapes de la vie et la connaissance du corps de l'autre. Une fois que le groupe se sent en sécurité avec des animateurs intervenant dans la continuité (si l'un d'entre eux est absent, la séance est annulée), la parole se libère ». Quand s'est posée la question de l'anatomie humaine, il a fallu se confronter aux difficultés de représentation et d’abstraction de certains enfants : les seules planches anatomiques, dessins ou photos ne font pas sens pour eux. « S'en tenir à l'image ou au DVD n'est pas suffisant. Rien ne peut remplacer la manipulation d'un préservatif, d'un soutien-gorge ou d'une protection féminine », commente Jean-François Mesré. Se pose néanmoins le problème des limites à (ne pas) dépasser. « Comment élaborer des outils qui soient à la fois réalistes et respectueux ? Jusqu'où aller ? Les poupées sexuées existent, mais il est très difficile de se les procurer », explique Bernard Gaurier. Et de décrire l'expédition des plus cocasse dans un sex-shop, à la recherche de phallus et de vagin en trois dimensions et le dialogue surréaliste avec le vendeur sur l'objectif pédagogique de la visite !

 

S'adapter en permanence

Les groupes de parole se tiennent une semaine sur deux, afin de permettre aux animateurs de se retrouve la semaine suivante pour reprendre ce qui s'est déroulé la séance précédente : échanger sur ce qui a fonctionné ou non, mesurer le degré d'appropriation des participants, choisir de passer à l'étape suivante ou au contraire de repartir sur le même thème, adapter les outils, sans oublier la reprise par les intervenants de leurs propres ressentis. Mais, ces rencontres en dehors de la présence des participants sont aussi l'occasion d'élaborer de nouveaux outils et d'adapter les anciens. Découpage, collage et plasticage, recherche de documents, réappropriation des supports déjà existants mais qu'il faut modifier en fonction de la façon dont ils ont été reçus, mais aussi du degré d'accessibilité à la compréhension de chacun... Le groupe des cinq animateurs/animatrices est en réflexion permanente, en remise en cause continuelle et en bricolage sans fin, dans un va et vient systématique entre le déroulement du groupe de parole et sa préparation autant que son bilan. Au besoin de formation répondent trois journées par an en présence souvent d'un intervenant extérieur. Et les parents dans tout cela ? Rien n'a été fait, sans leur adhésion, ni leur accord. Consultés depuis le début de l'action, ils y trouvent leur compte, mesurant les progrès de la capacité nouvelle de leurs enfants à nommer leurs émotions et à améliorer leurs capacités relationnelles et affectives, mais aussi l'acquisition de connaissances anatomiques. Ils en sont même devenus à demander conseil, voire même des formations pour eux-mêmes ! Une réunion par an leur est proposée, pour suivre le déroulement et l'évolution du PAVIAS. Cette rencontre est fréquentée avec assiduité. Mais cela n'est pas une originalité : l'IME travaillant par ailleurs beaucoup avec les familles dans tous les domaines de l'éducation de leur enfant.

 

Portée et limites du PAVIAS

« Nous recherchons une parole singulière d'un être qui a la possibilité d'exprimer son ressenti, de trouver du bien-être et du plaisir, en étant reconnu comme expert de son corps et de sa vie », commente Bernard Gaurier, avant de continuer : « ce qui est positif pour l'un ne l'est pas forcément pour l'autre. Nous n'avons pas à fixer les normes de bonne ou de mauvaise sexualité. Pour l'un, ce sera de se tenir par la main et de se faire un bisou. Pour un autre, ce sera d'avoir un rapport sexuel. Au-delà de cette recherche d'équilibre personnel, nous voulons aussi accroître la capacité à reconnaître l'autre, à s'adresser à lui dans le respect et à créer une dynamique d'entraide. Pour atteindre ces objectifs, il faut d'abord une vraie implication de l'ensemble de l'institution, tant au niveau des cadres que des personnels. Ensuite, il faut garder une capacité de remise en cause de ses propres choix identitaires, de ses valeurs sur la sexualité et autres idées reçues. Enfin, il faut du temps de formation et de reprise. Au départ, nous avons fait le choix de moyens constants. C'était une erreur. Cela pèse aujourd'hui sur le taux d'encadrement de l'établissement. » L'éducation à la vie intime, affective et sexuelle relève d'un projet ambitieux demandant un fort investissement. Mais, les conséquences positives à court, moyen et long terme sont sans doute inestimables. Déjà, Bernard Gaurier accompagne depuis un an les services d'hébergement voisins pour adultes porteurs de handicap qui commencent à accueillir les jeunes de son établissement dans l'élaboration d'une charte de type PAVIAS. Une question reste néanmoins sans réponse: comment rendre possible la mutualisation de cette pratique innovante afin qu'elle suscite des émules dans le secteur médico-social ?

 

  1. L'IME de Blain se situe au nord de Nantes. L'établissement dépend de l'ADAPEI de Loire Atlantique, reçoit 42 enfant et adolescents âgés de 6 à 20 ans atteints de troubles du comportement et du langage, dont certains avec autisme. Tel. : 02 40 79 02 65
  2. Instance régionale en éducation et promotion de la santé des Pays de la Loire Tel. : 02 40 79 02 65
  3. Réjean TREMBLAY est sexologue, sociologue, fondateur du Centre international de formation et de recherche en sexualité (CIFRES), responsable du diplôme de sexologie de l'Université Paul Sabatier de Toulouse

 

 

Yoshi, 20 ans, éclate de rire, quand on lui propose d'adopter un pseudonyme. Il choisit le nom d'un personnage de bande dessinée. « Rien ne me dérange. Mode normal » : telle est sa première réponse quand on sollicite son avis sur le PAVIAS qu'il a intégré il y a trois ans. « J'ai appris plein de choses. Mettre des mots sur mes sentiments : joyeux, content, triste, apeuré. Par contre, cela ne m'a pas plu de parler du sentiment amoureux, parce que je préfère rester célibataire. Je suis plutôt gentil avec les autres. Quand j'entends les autres parler de leurs ressentis, cela me donne envie de rester dans ma gentillesse. Mes parents sont au courant de ma participation. Mais, ils ne me posent pas de questions. De toute façon, je ne leur dirais rien, parce que ce qui s'y dit est confidentiel »

 

Nulex, 15 ans, a choisi comme pseudonyme une marque d'extincteur ! Il apprécie, lui aussi, le PAVIAS qu'il suit avec assiduité, depuis trois ans : « C'est intéressant. On peut dire tout ce que l'on ressent en nous. Cela fait du bien de parler de ce qui nous inquiète. Quand il y a quelque chose qui ne m'a pas plu, j'attends la séance pour le dire devant tout le groupe. Mais, cela m'intéresse aussi de parler du sentiment amoureux. Cela m'aide à dire à mon amoureux que je l'aime. Je dis des choses que je n'aurais jamais dit autrement. Mes parents savent que je participe au PAVIAS. Je serais très gêné de parler de tout cela avec eux. »

 

Kevin, 15 ans, lui, n'a pas compris cette histoire de pseudonyme. C'est son accompagnateur qui lui en a choisi un pour lui, n'ayant pas d'homonyme dans l'établissement. Au PAVIAS ? Il ne sait plus depuis combien de temps il y va. Deux ans explique son accompagnateur. « Ça me plaît de retrouver des copains et des copines pour parler des émotions : être content, être en colère … Quand on me tape, je le dis au groupe. Les autres m'expliquent comment je peux faire, pour ne pas taper. Mais cela ne m'empêche pas de taper. Je sais me défendre. Il y a des fois où cela m'embête d'aller au PAVIAS, quand je préfère faire autre chose. Mais j'y vais quand même »

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1187 ■ 09/06/2016