Le service social: un maillon central de la défense

Loin d’être accessoire, l’action sociale est incontournable pour atténuer les contraintes professionnelles particulières liées au monde militaire. Démonstration.
 
Le ministère de la défense n’est pas rancunier. Avoir été éreinté par Lien Social dans un article publié en 20071 ne l’a pas empêché d’accepter le principe d’un nouveau reportage. Délai de prescription dépassé ou forme d’élégance ? Peu importe : lorsque la « grande muette » accepte de s’ouvrir sur le fonctionnement de son service social, il donne à voir un dispositif peu connu, mais qui mérite de l’être.
 

Le cérémonial des AS

Comme à la fin de chacun de leurs journées d’étude bisannuelles, elles présentent leurs travaux aux autorités militaires et civils de leur service et de leur direction. Pour l’occasion, elles ont toutes revêtu leur uniforme. « Ce sont nos tenues », rectifient-elles : tailleur uni bleu marine et chemisier blanc. Le seul homme au sein du groupe de professionnelles a endossé un costume du même ton, assorti à une très belle cravate. Elles se présentent ainsi à chaque cérémonie officielle, lorsqu’elles représentent le service en interne ou à l’extérieur du ministère, lorsqu’elles soutiennent les familles endeuillées suite à un décès sur un théâtre d’opération ou lorsqu’elles sont conviées à une passation de commandement… Pas de doute, nous sommes bien chez les militaires. Mais, pour être conformes aux exigences d’un cérémonial qui s’adapte aux évolutions vestimentaires et climatiques, les assistantes sociales du service de l’action sociale du ministère de la défense (MINDEF) sont très loin d’être réduites à la discipline qui règne traditionnellement au sein de l’armée. Elles ne confondent jamais le protocole propre aux forces armées qu’elles respectent volontiers, avec une soumission qui les transformerait en simples exécutantes des ordres hiérarchiques. Elles savent porter très haut l’idée qu’elles se font de leur fonction, n’hésitant pas à dire ce qu’elles pensent et défendent les valeurs de leur profession. Et cela convient tout à fait à cette armée qui reconnaît, depuis longtemps, l’utilité de ses assistantes sociales. « L’institution a fait le choix de tout mettre en oeuvre, afin de permettre au militaires que l’on envoie en OPEX (opération extérieure) d’avoir l’esprit serein, quant aux problèmes qu’ils peuvent laisser derrière eux », explique Monique Michel, Conseillère pour l'action sociale de la défense.
 

Une détresse palpable

Car, l’appartenance au ministère de la Défense ne protège nullement des soucis du quotidien ou des accidents de la vie. Les usagers s’adressant au service social des armées, que l’on nomme ici des « ressortissants », ne sont pas confrontés à des problématiques forcément différentes de celles du reste de la société. C’est Monsieur Mourinez* hospitalisé pour son addiction à l’alcool et un épisode dépressif, hébergé à sa sortie pendant quelques jours dans un cercle du ministère et sans domicile. C’est Madame Foulnier* qui cherche à obtenir une aide financière, afin de régler les nombreux impayés qui se sont accumulés. C’est la demande de la famille Garlon* pour changer de logement, afin de quitter son T5, trop humide pour ses deux plus jeunes enfants atteints d’un handicap moteur cérébral. C’est monsieur Roussiel* contraint de solliciter une affectation à terre, afin de soutenir son épouse atteinte depuis plusieurs années d’une pathologie qui ne lui permet  plus de faire face au quotidien familial. Ce sont ces conflits conjugaux récurrents entre monsieur Gauture* et sa femme, lui atteint d’une grave maladie l’obligeant à des soins lourds et des interventions chirurgicales très mutilantes, elle suivie par un psychiatre pour dépression. Ce sont ces dettes accumulées liées à l’addiction au jeu, contraignant madame Leroule* à quitter son logement : ses effets personnels sont entreposés dans son véhicule qui est  immobilisé sur le parking du cercle. Le périmètre d’action des assistantes sociales est donc des plus large.
 

Une action sociale bienveillante

Elles accompagnent les problématiques professionnelles, personnelles et familiales des ressortissants, mais aussi leurs familles. Les moyens mis à leur disposition permettent la mise en œuvre d’un précieux accompagnement qui ferait rêver n’importe quelle assistante sociale de secteur. Si le service social de la défense n’a pas vocation à se substituer au droit commun, sa complémentarité s’exerce dans de multiples domaines et représente un réel soutien grâce, notamment, à des prestations destinées à compenser les suggestions professionnelles. Il peut délivrer des secours financiers en urgence, instruire des demandes de prêts personnels (libres d'intérêts), organiser et financer l’intervention d’une aide-ménagère permettant le maintien à domicile d'une personne âgée, malade ou handicapée,  faire attribuer une allocation de garde d'enfants en horaires atypiques ou encore des bourses facilitant la poursuite d’études supérieures pour les enfants des familles aux revenus modestes. Le service social des armées est très investi dans une dynamique de soutien à la vie professionnelle, notamment face aux contraintes liées à la mobilité propre à la carrière militaire et aux restructurations. Les mutations et les restructurations ouvrent droit à des indemnités diverses en fonction de la situation, des actions de cohésion permettant d’éviter l’isolement, en favorisant tant la socialisation que les liens de solidarité lors de l’installation de la famille dans les nouveaux lieux d’affectation. L'aide aux vacances et aux loisirs n’est pas oubliée, puisque vingt cinq établissements familiaux et soixante huit centres de vacances de jeunes répartis offrent des destinations sur tout le territoire.
 

Un exemple à suivre ?

Intervenant dans la proximité au plus près des ressortissants et de leurs familles, présentes dans tous les régiments, bases aériennes, ports et régions de gendarmerie, les professionnelles du service social de la défense disposent de réels moyens facilitant leurs interventions. D’autant qu’elles disposent d’institutions spécifiques au ministère de la défense qu’elles peuvent solliciter tels les hôpitaux militaires, les services de psychiatrie, les psychologues, ainsi que les cercles-mess militaires assurant aux quatre coins du territoire des prestations d’hébergement et de restauration ouverts à l’ensemble des militaires et des civils de la défense et qui peuvent toujours être sollicités. « Aucun ressortissant ne dort à la rue. Il y a toujours une solution, en cas d’urgence » explique Régine Ibanez, conseillère technique du Pôle ministériel d'action sociale de Toulon. Sans oublier les maisons d’enfants à caractère social offrant des places d’internat éducatif. Pour idyllique que puisse paraître ce dispositif, il n’est considéré par les professionnelles ni comme relevant de privilèges susceptibles d’être réduits parce que potentiellement indus ou illégitimes, ni comme une variable d’ajustement des économies budgétaires à réaliser, mais comme les conditions nécessaires à l’accomplissement des missions auprès des ressortissants et de leur famille et au bien-être au travail. Il devrait plutôt être présenté comme un modèle idéal à atteindre par les autres services de polyvalence de secteur de l’action sociale de notre pays.
 

(1)  « L’honneur retrouvé d’une assistante sociale » n°828 du 15 février 2007

* noms fictifs

 
Le chiffre
644  assistantes et conseillères techniques de service sociale interviennent auprès de  271.000  personnels civils et militaires de la défense et de leurs familles, en polyvalence de catégorie (« polyvalence », car tous les types des problèmes sociaux ; « de catégorie », car elles ne sont compétentes que pour les militaires en activité ou en retraite et leur famille)
 
 
L’origine du service social des armées
Le service social des armées naît le 12 mars 1940, à l’initiative du Lieutenant-colonel Grévy qui témoigne de son ambition première orientée entièrement vers le bien être des militaires mobilisés dans la seconde guerre mondiale : « Il fallait leur ôter leurs angoisses trop compréhensibles,  car si on pouvait leur demander le sacrifice de leur vie, il  était juste de leur assurer que leur famille ne serait pas abandonnée. Il était nécessaire qu'ils sentissent la  réalité de cette assurance, et qu'une personne à qui ils pussent parler et exposer leurs peines se substituât à eux pour défendre ceux qu'ils laissaient à l'arrière (…) Le seul but recherché par moi pour l’apaisement de leurs soucis familiaux et qu'en dehors de moi, ce service s'occuperait de trouver du travail aux leurs, de regrouper les membres de leur famille évacués d'Alsace, de faire soigner les malades, surveiller la naissance de leurs enfants, etc … »
 
 
La bise
Le protocole fait partie du quotidien militaire. Les règles conventionnelles qui sont strictement appliquées constituent autant un rite de reconnaissance autour d’une mission collective, qu’un hommage à des symboles destinés tant à structurer un idéal commun, qu’à renforcer une tradition visant à perpétuer une cohésion de groupe. Pour autant, il arrive qu’un grain de sable se glisse dans les plus solennelles des cérémonies. A preuve cette anecdote vécue par une assistante sociale, au début de sa carrière. Conviée au passage en revue de marins par l’amiral, elle voit l’officier supérieur interroger une à une les nouvelles recrues figées dans un garde à vous impeccable, leur prodiguant conseils et encouragements. Sans doute intimidée, l’une d’entre elles peine à parler à voix haute. L’amiral se penche alors vers l’homme du rang pour mieux l’entendre. Le jeune homme quelque peu troublé, sans doute habitué à ce geste d’affection à l’égard de son grand-père, claque la bise à l’amiral. L’histoire ne dit pas s’il fut placé aux arrêts de rigueur.
 
 
Le scénario le plus désastreux
L’armée tient à son service social et n’envisage pas de réduire ses moyens. Les assistantes sociales en ont bien conscience. Cela ne les empêche pas d’illustrer par une saynète présentée à leur hiérarchie, le service social dont elles ne veulent à aucun prix.
 
La scène se déroule dans un avenir incertain. Un ressortissant se présente devant le bureau de l’assistante sociale. Son poste a été supprimé. Elle est remplacée par un standard centralisé. Sur la porte est disposé un interphone. Un gros bouton rouge doit être enclenché. Ce que fait le ressortissant.
« Bonjour : énoncez votre problème 
-- Euhhh, en fait j’ai un problème financier… mais ça ne va pas non plus très bien dans mon couple… et puis j’ai des ennuis avec mes enfants »
-- Je n’ai pas compris votre problème : si vous avez des difficultés financières, tapez 1 ; si vous subissez un harcèlement au travail, tapez 2 ; si vous avez un problème dans votre couple tapez 3, si vous avez un problème de logement, tapez 4, si vous avez un problème psychologique tapez 5 ; si vous avez un problème d’une autre nature, tapez 6
-- euhhh, je tape 6
-- je vous mets en communication
(musique d’attente)
-- Bonjour : énoncez votre problème 
(silence stupéfait)
--Vous avez dépassé le temps de réponse : veuillez nous recontacter ultérieurement !
 
 
Le secret professionnel aussi à l’armée
La confidentialité des échanges entre un ressortissant et son assistante sociale ne souffre d’aucune exception autre que celles prévues par la loi. Un commandant d’un bateau en mer téléphone à l’assistante sociale pour lui demander de préparer le rapatriement d’un marin : sa femme a perdu leur bébé. La professionnelle rend visite à la mère, pour la soutenir. C’est une jeune femme très étonnée qui la reçoit : elle n’a jamais été enceinte. Sans lui apporter plus de précisions, l’assistante sociale propose au commandant d’évoquer à nouveau avec le marin la nécessité de son rapatriement. Finalement, celui-ci restera en mer. Là comme ailleurs, le secret professionnel est essentiel à la relation de confiance et indispensable à la préservation des intérêts de chacun.

Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1186 ■ 26/05/2016