Où en est la ré-architecture de nos diplômes?

La montagne va-t-elle accoucher d’une souris ? Chronologie d’un scénario à la kafka.

En janvier 2013, le Comité interministériel de lutte contre l'exclusion lançait un plan pluri annuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale. L’une des mesures programmées consistait à organiser des « Etats généraux du travail social » destinés à mettre en adéquation la réponse publique avec les demandes des usagers. Le ministère des affaires sociales confia alors à un cabinet d’audit une évaluation portant sur la réingénierie des diplômes en travail social. Au mois de décembre 2013, le cabinet Geste et Louis Dubouchet Consultant rend son travail. Parmi les propositions qu’il recueille, on trouve le passage des diplômes actuels au niveau 2, un tronc commun entre les formations d’éducateur spécialisé, d’assistant de service social, d’éducateur de jeunes enfants et de conseillère en économie sociale et familiale, un rapprochement des formations supérieures, des stages plus nombreux et mieux rémunérés. Mais, le cabinet va émettre des préconisations allant bien plus loin, puisqu’il suggère alors le remplacement des quatorze diplômes déjà existants (1) par quatre diplômes génériques, un par niveau : cadres, dirigeant (niveau 1), intervenant socio-éducatif (niveau 2), assistant technique (niveau 4) et assistant, aide ou accompagnateur (niveau 5). Le 20 décembre 2013, la Commission professionnelle consultative du travail social et de l’intervention sociale (CPC) désigne un groupe de travail composé de trente de ses membres pour réfléchir sur le cadre éventuel d’une nouvelle architecture des diplômes en travail social. La CPC est bien là dans son rôle, en tant qu’instance de consultation créée en 2002, placée auprès du ministère des affaires sociales, afin de formuler des avis sur la création l’actualisation et la suppression des diplômes en travail social. Le 10 avril 2014, une pétition est lancée « travail social – participons à l’avenir de nos métiers ». Elle marque le début d’une mobilisation des associations professionnelles, des syndicats, des professionnels, des étudiants contre une réforme qui semble se concocter dans le dos du secteur du travail social. La CPC se voit reprocher de travailler dans l’entre soi. Si cet commission est composée de représentants qualifiés institutionnels et de personnes ressources, elle reste bien éloignée tant du terrain que de la réalité des professionnels et des préoccupations rencontrées au quotidien. En juillet 2014, la CPC est chargée par le ministère de piloter l’un des cinq groupes de travail intitulé « métiers et complémentarité » constitué dans le cadre de la préparation des « États généraux du travail social » (2). Le 9 octobre, la CPC auditionne les associations professionnelles (seules l’ANAS et France ESF sont présentes). La perspective d’un travailleur social unique est présentée. Aux questions posées portant sur une meilleure adéquation aux besoins des usagers et sur une plus grande mobilité que pourrait favoriser cette nouvelle configuration, aucune réponse n’est apportée. Le 15 décembre 2014, la CPC valide un projet de refonte des formations qui ré architecture les quatorze diplômes d’État du travail social en un diplôme unique de travail social par niveau. Ainsi, par exemple, l’assistant de service social deviendrait « travailleur social spécialisé en accompagnement social », l’éducateur spécialisé « travailleur social spécialisé en accompagnement éducatif ». Quatre syndicats sur cinq représentés ont refusé de voter ce projet. Une première manifestation nationale de protestation se tient 12 décembre 2014. Elle est suivie d’une seconde le 22 janvier 2015. La mobilisation s’amplifie. Elle se concrétise par des rencontres dans plusieurs écoles qui expriment toutes l’inquiétude que fait peser sur l’avenir des professions, le projet de réforme. Le 18 février, les cinq groupes de travail chargés de préparer les « Etats généraux du travail social » remettent leur rapport. Quelques heures auparavant, Ségolène Neuville, secrétaire d’Etat en charge des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion prenait position devant des étudiants de l’ETSUP : « j’ai aussi entendu parler des inquiétudes sur un des rapports qui nous sera remis ce soir sur la refonte des diplômes avec un tronc commun et des spécialités à chacune des qualifications. Je veux vous dire de façon très claire ce sont des propositions qui pour moi vont trop loin et même si je partage la préoccupation de départ, et ce n’est donc pas un projet du gouvernement.» Le 23 mars, le premier ministre confiait à Brigitte Bourguignon députée socialiste du Pas de Calais une lettre de mission avec pour objectif de conduire une concertation sur l’évolution du travail social en général et la réforme des diplômes en particulier. Sa mission devra rendre ses conclusions au mois de juin. La députée a commencé à auditionner tout azimut. Le 16 avril, elle était présente à l’assemblée plénière du CSTS. Interpellée par la CGT qui a dénoncé les conclusions déjà écrites ou déjà programmées d’une mission qui ne serait là que pour la forme, ce qui a provoqué une réaction indignée de Brigitte Bourguignon affirmant que « rien n’était écrit d’avance ». Le 17 avril, le collectif Avenir Educs organisait à Lille, avec le Collectif formateurs inter-écoles Nord Pas de Calais un débat public, en présence des sociologues Michel Autès et Michel Chauvière. La mobilisation ne faiblit pas. Cet article ne pourra sans doute pas être vraiment terminé, tant que le débat qui agite le milieu de l’action sociale produira régulièrement de nouvelles péripéties. Au lecteur de prolonger cette chronologie, avec les prochains épisodes qui ne manqueront pas de survenir, après la mise sous presse de ce numéro de Lien Social.

(1) Les quatorze diplôme concernés sont : le Diplôme d’état d’assistant familial (51.900) titulaires), l’Aide à domicile (56.630), le Diplôme d’état d’aide médico psychologique (56.300), le Diplôme d’état de moniteur éducateur (33.400), le Diplôme d’état de technicienne en intervention sociale et familiale (8.000), le Diplôme d’état d’assistant de service social (48.400), le Diplôme d’état de conseillère en économie sociale et familiale (15.600), le Diplôme d’état d’éducateur de jeunes enfants (19.300), le Diplôme d’état d’éducateur spécialisé (70.900), le Diplôme d’état d’éducateur technique spécialisé (4.800), ainsi que quatre diplômes supérieurs (CAFERUIS, DEMF, DEIS, CAFDES).
(2) les cinq groupes de travail constitués, pour préparer les états généraux du travail social sont : « coordination des acteurs », « place des usagers », « développement social et travail social collectif », « formation initiale et formation continue », « métiers et complémentarité »

 

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°1164 ■ 28/05/2015