Adapter les pratiques aux « incasables » c’est d’abord leur faire une place

L’époque est à la sinistrose. Il est vrai que la crise économique avec sa montée du chômage et de la misère, la fin de l’État providence avec l’exigence opposée aux services sociaux d’en faire toujours plus à moyens constants, les attaques récurrentes contre les dispositifs de solidarité régulièrement mis à mal au nom du paradigme néo-libéral … cela fait quand même beaucoup de choses qui peuvent expliquer le pessimisme ambiant. Mais, il est une autre  plainte lancinante qui s’étend dans notre secteur : les jeunes seraient de plus en plus difficiles, les prises en charge de plus en plus complexes, les équipes éducatives de plus en plus souvent mises en échec. On peut effectivement constater l’évolution pas toujours positive du public adolescent que notre modernité, frappée au coin d’un individualisme social envahissant, rend de plus en plus intolérant à la frustration et à la gestion de ses pulsions. Mais comme dans une relation, il faut toujours au minimum être deux, il n’est pas juste de se focaliser uniquement sur l’autre, pour comprendre l’origine d’un problème. S’il est légitime de s’interroger sur ce qu’est devenue la jeunesse d’aujourd’hui, il l’est tout autant de se demander comment nous nous y prenons, pour faire face à ses représentants les plus en difficulté. La question est donc bien de savoir si les « jeunes incasables » le sont du fait de l’explosion de leurs modes de comportement ou bien parce qu’on ne sait pas adapter nos modalités d’intervention à leurs problématiques.
 

L’un et l’autre

La  réponse ne saurait être univoque, tant il est nécessaire d’invoquer à la fois l’un et l’autre de ces deux registres. Si nous ne nous penchons pas dans ce dossier sur la première dimension, cela ne signifie par pour autant que nous la négligeons. Le choix de nous consacrer aux démarches éducatives mises en œuvre pour être réactifs aux problématiques particulières qui émergent ne fait qu’explorer une facette du problème, d’autres dossiers ayant pu ou pouvant à l’avenir compléter l’approche de cette semaine. A la une donc, aujourd’hui, des dispositifs innovants ou déjà anciens qui montrent que le secteur de la protection de l’enfance sait faire face, quand il se donne les moyens. Ces moyens ne relèvent pas forcément d’une débauche financière exorbitante. Il y a aussi un savoir faire quotidien à réhabiliter qui demande de la patience, de la bienveillance et du temps qui pour n’être nullement suffisants n’en sont pas moins nécessaires. Parmi les « recettes » simples utilisées dans les pistes présentées ici, certaines d’entre elles semblent nécessiter une véritable révolution copernicienne impliquant de décentrer l’intervention éducative. La pratique de la Villa Préaut montre l’importance de ne pas partir exclusivement de l’exigence des adultes, mais tout autant de là où en sont les jeunes. L’expérience du ROC, de son côté, explicite l’importance d’une action en partenariat et de la conviction qu’il ne faut pas rester seul, en renonçant au fantasme plus ou moins inconscient d’être l’équipe qui réussira là où tout le monde a échoué.
 
Lire le reportage La Villa Préaut : 30 ans de prise en charge d’incasables

 

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°960 ■ 11/02/2010