Je n’ai pas de maison, je suis à la rue

Un ouvrage édité le 20 novembre 2009, jour du vingtième anniversaire de la Convention internationale des droits de l’enfant, décrit le sort réservé à des milliers d’enfants confrontés au mal logement. Compte rendu

« Qu’est-ce qui se trame derrière cette frange épaisse, au fond de ce regard sérieux ? Mille affaires de la plus haute importance : intero de maths à réviser, match de catch à disputer avec le voisin, jeu vidéo à finir. Haut comme trois pommes, timide comme à son âge, malin ô combien, poli comme on n’en fait plus, un brin Pierrot lunaire : voici Jean, douze ans, qu’un petit quelque chose pas si petit que cela différencie de ses pairs préados. « Moi je n’ai pas de maison. »(1) L’histoire de Jean, inimaginable il y a encore vingt ans, est devenue aujourd’hui presque banale. Une mère de famille qui tire le diable par la queue, pour essayer de survivre avec ses deux enfants, avec les faibles ressources qu’elle obtient de son travail de femme de chambre : entre 800 et 1.100 euros par mois. Pas beaucoup, mais suffisant pour se payer un deux pièces aux murs lépreux envahi de moisissures et de souris. Quand le loyer de 500 euros est augmenté, elle ne peut plus faire face. Elle a bien cherché un autre logement. Mais en vain : même un 18 m² coûte 800 euros par mois ! Le 19 septembre 2007, l’huissier intervient, donnant deux heures à la famille pour faire ses bagages. « Moi, j’ai mis quelques jouets dans une boîte à chaussures ; on ne pouvait pas trop se charger, donc j’en ai choisi dix parmi les moins grands et ceux que j’aimais bien. De toute façon je n’en avais pas besoin de beaucoup, je ne suis pas un bébé » raconte Jean qui se rappelle très bien son angoisse d’alors. Il s’est demandé : « si on allait dormir dans la rue ou si quelqu’un allait nous aider » (1).
 

Des enfants par milliers

Le cliché du clochard seul au monde a la peau dure. Même si les séparations conjugales, les conflits passés, les placements ou l’exil ont pu distendre les liens, 97 % des sdf ont une famille avec qui ils restent en contact régulièrement. Et selon une étude parue en 2006, 36% des effectifs hébergés par les CHRS étaient constitués de mineurs. En 2007, à Paris, le SAMU social a logé 6.480 personnes en famille à l’hôtel et 3.138  autres en centre d’urgence. La détresse liée au manque de logements est donc bien loin de ne concerner que les adultes. Nombre d’enfants et d’adolescents sont ainsi ballottés avec leurs parents, au gré  des disponibilités du 115 : hôtels, gymnases, foyers quand ce ne sont pas des squats. On peut imaginer les effets que cette instabilité et cette insécurité permanentes peuvent produire sur leur équilibre et leur évolution. Dominique Vilaine, assistante sociale scolaire au collège Joséphine Baker de Saint Ouen témoigne : « notre collège accueille 615 élèves et j’en suis personnellement 170, dont 22 vivent à l’hôtel et 65 dans des squats ou chez des amis » Et de rapporter ces situations d’enfants qui n’osent pas se plaindre, mais qui somatisent, souffrent de maux de tête, refont pipi au lit : « un gamin de quinze ans me répétait sans cesse qu’il avait mal au dos, alors j’ai fini par faire une visite à son domicile. En fait, il dormait dans une chambre d’hôtel minuscule, dans le même lit que sa mère qui plaçait un traversin entre elle et lui. La nuit, le môme se contorsionnait pour ne pas tomber ni toucher le corps de sa mère, d’où les lombaires ankylosées »(2).
 

Absurdité et incohérence

Cette situation n’est en aucun cas une fatalité. Certes, la situation en France n’est guère reluisante : selon le dernier rapport 2009 de la fondation Abbé Pierre, 350.000 personnes vivent dehors ou dans un centre d’hébergement d’urgence ou d’insertion, 100.000 vivent en camping, 150.000 chez un tiers et plus de 300.000 autres sont logés de manières atypique (hôtel à l’année, constructions provisoires, habitations de fortune …). Le déficit de logements est de l’ordre 800.000 unités. Pour résorber cette situation, il faudrait en construire 4 à 500.000 par an, dont 120.000 logements sociaux. Cette absence de toute possibilité d’offre résidentielle explique la saturation des 300.000 places d’accueil d’urgence où stagnent nombre de personnes qui n’ont rien à y faire, pour autant que puisse se  dégager des logements décents et pérennes. Les politiques sociales ne sont pas inertes face à la détresse des sans logis. Mais, on marche totalement sur la tête. Un ménage hébergé en CHRS coûte à la collectivité 52.254 € par an. A l’hôtel, il revient à 19.122 €. Une location ou une sous-location dans le privé reviendrait à 10.000 €, selon le rapport remis par le député UMP Etienne Pinte au premier ministre, en janvier 2008. A ce jour, les 55 millions d’Euros annuels dépensés par les services sociaux pour loger 4.000 familles dans des chambres d’hôtel pas toujours ni salubres, ni décentes ne servent qu’à engraisser des marchands de sommeil.
 

Quand on veut, on peut

La loi dite du droit opposable au logement (DALO) votée le 5 mars 2007, qui a pu constituer en son temps un espoir, reste une fiction. Fin février 2009, 67.000 demandes avaient été déposées. Un tiers d’entre elles ont été reconnues valides. Seuls 4.300 ménages ont obtenu un toit. Logique quand on sait que rien qu’à Paris 1.000 logements sont disponibles chaque année pour 6.000 dossiers prioritaires. Les sages du Conseil d’Etat ont noté récemment : « sur la période 2002-2005, 28 rapports ont été recensés contenant à eux seuls plus d’un millier de propositions régulièrement recyclées faute d’avoir été toutes mises en œuvre ». Des solutions existent donc. Ce qui manque, c’est la volonté politique. Un gouvernement occupé à préserver les intérêts des plus riches (paquet fiscal), à diminuer les impôts des entreprises (suppression de la taxe fiscale, diminution du taux de la TVA pour les restaurateurs) et à réduire les crédits accordés aux organismes chargés d’accompagner les SDF vers l’insertion ne peut se préoccuper d’une machine à broyer les familles les plus pauvres. Mais, le taux de 44% de communes de l’Ile de France qui préfèrent payer une taxe plutôt que de respecter le quota légal de 20% de logements sociaux imposés par l’article 55 de la loi Solidarité et renouvellement urbain votée le 13 décembre 2000 démontre que le problème ne se limite pas au seul Etat central, mais nous interroge tous. Décidément, parler du mal logement, c’est parler aussi de ceux qui bénéficient de ce qui ne devrait jamais se réduire à une marchandise mais qui constitue l’un des facteurs devant garantir l’équilibre te le bien-être de chacun.
 
 
(1)« Papa, maman, la rue et moi » p.18
(2)« Papa, maman, la rue et moi » p.12
(3)« Droit au logement, droit du logement » rapport du conseil d’Etat, juin 2009
 

Les travailleurs sociaux face aux sans logis

Ces assistantes sociales, ces éducateurs, ces chefs de service qui se penchent sur les dossiers des sans logis, Véronique Mougin et Pascal Bachelet leur rendent hommage. Certains sont investis comme une famille de substitution, d’autres font l’objet de vertes critiques pour leur inefficacité et leur incompétence, leur peu d’écoute et leur action jugée par trop routinière. Dur, dur que d’être au contact de toute la misère du monde et de se sentir impuissants face à des demandes de logement auxquelles on n’a d’autres choix que de répondre par la négative. Alors, certains somatisent (maux de tête, insomnies, déprime…). Difficile de rentrer chez soi, serein et épanoui, après avoir du laisser des familles dans des conditions d’existence sordides ou précaires. D’autres, face aux moyens dérisoires qui sont mis à leur disposition, se protègent et « n’écoutent plus, ou mal, l’être humain démuni assis en face d’eux » (p.110). Il n’en reste pas moins que tout n’est pas figé dans le marbre. Ainsi, de méthodologies d’action encore trop souvent tournées vers l’individu, qui n’utilisent pas suffisamment les réseaux de sociabilité tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des institutions et qui mériteraient d’évoluer. « Pourtant les amis, conjoints et parents sont des atouts pour rebondir » (p.118). Sans compter les modalités d’accueil des centres d’hébergement créés pour accueillir les SDF d’antan et qui ne sont pas toujours conçus pour prendre en charge le nouveau public des couples et de plus en plus souvent des parents accompagnés de leurs enfants. Entre les structures qui n’acceptent pas les conjoints, celles qui admettent les enfants de moins de six ans, celles qui ne les prennent qu’à partir de six ans … conserver dans ces conditions des relations familiales relève du challenge, alors même que le cercle familial joue un rôle structurant et épanouissant. Mais, les droits progressent. Il a fallu attendre 1994 pour que les SDF puissent se faire établir une carte nationale d’identité, 1998 pour qu’ils puissent s’inscrire sur les listes électorales, 2002 pour qu’ils puissent donner leur avis sur leurs modalités d’hébergement. Le droit à une vie affective et familiale leur sera à terme non seulement reconnu, mais mis en œuvre, comme cela a déjà commencé à l’être en maints endroits.

 
Lire Castin Denis - Toit à moi / Castin Denis - Toit à moiPapa, maman, la rue et moi. Quelle vie de famille pour les "sans domicile"?


Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°961■ 18/02/2010