Portrait de Pascal Le Rest

Karateka, docteur et éducateur : un itinéraire hors du commun

Les personnalités publiques ont souvent une histoire ordinaire, voire banale, quand d’autres recèlent un parcours atypique. C’est le cas de Pascal Le Rest qui a accepté de s’ouvrir à Lien Social.

Pascal Le Rest. Voilà un nom familier pour les professionnels du secteur. Rien d’étonnant à cela. Le bonhomme est connu à bien des titres. Pour ses diplômes universitaires: DESS en ethnométhodologie et doctorat en ethnologie. Pour la trentaine de livres publiés : il est par ailleurs directeur de collections aux éditions L’Harmattan. Pour sa fonction de chargé de cours dans diverses universités, dont celle de Tours. Pour ses interventions en tant que formateur vacataire à l'ERTS d'Olivet et à l'ETSUP. Pour son rôle de Directeur du cabinet de consultant qu’il a fondé. Pour son emploi de Conseiller Technique en Prévention Spécialisée... Ouf ! Un CV long comme le bras. Mais, qu’est-ce qui fait donc courir ainsi Pascal Le Rest ? Plonger dans son parcours de vie va nous permettre d’essayer de répondre à cette question.

Expert en karaté Shukokaï

Nous sommes au début des années 1970. Pascal Le Rest est âgé d’une dizaine d’années. Il découvre sur le téléviseur noir et blanc familial une série qui va le fasciner : Kung Fu, avec David Carradine. Nous évoquons là un « temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître » ! A la violence gratuite et la démonstration de force, le scénario de cette histoire répond par la sagesse et la recherche d’apaisement. Cette éthique est en tous points opposée à la violence ambiante qui règne alors dans son quartier. Il s’en empare et en fera l’un des engagements majeurs de son existence. Pascal Le Rest est devenu 4ème dan de karaté, élève depuis vingt quatre ans de Maître KAMOHARA, second mondial dans cette discipline. Chaque semaine, il pratique quinze heures d’activité physique et sept heures de combat. En 2013, il a participé à la Coupe du monde de karaté, à Osaka. Il est le deuxième combattant le plus âgé, au niveau international. Mais cette pratique sportive, il ne l’a jamais conçue comme une discipline seulement personnelle. Quand il commence à enseigner les mathématiques, en 1983, il ne tarde pas à utiliser ce support pour canaliser l’agressivité des élèves de son collège. Il anime un atelier d’arts martiaux, plaçant face à face agresseurs et victimes, afin de les faire cheminer dans une relation de respect réciproque. Le succès obtenu incitera la ville de Lucé où est basé l’établissement scolaire, à lui proposer d’organiser des cours de karaté éducatif, dont il est devenu instructeur fédéral, dans le quartier du Vieux Puits. Ce qu’il assurera pendant dix ans.

Docteur en formation d’éducateur

Parallèlement à son travail d’enseignant, Pascal Le Rest poursuit ses études universitaires. En 1996, il décroche son doctorat. Côtoyer les difficultés de ses élèves et des jeunes de quartier fonctionne comme un révélateur : il veut aller plus loin dans cette voie. Il lui manque l’appréhension des techniques éducatives ? Qu’à cela ne tienne : le doctorant décroche la sélection de l’École de formation Psycho-Pédagogique de Paris et intègre en voie directe la seconde année d’éducateur spécialisé. L’année suivante, il passe, en cours d’emploi, à l’École Régionale du Travail Social d'Olivet. Bien sûr, Pascal Le Rest n’a pu s’empêcher de porter un regard d’ethnologue sur les procédures d’intégration des variants fondamentaux de la profession et sur les rites de confortation, notamment dans les moments festifs, de la communauté étudiante. Mais encore aujourd’hui, il mesure l’apport de cette formation riche et éclectique dont il a bénéficié, gardant un souvenir très fort tant des semaines de pratique éducative proposées en escalade, en théâtre ou dans le travail avec des clowns que de son stage dans un Institut pour malvoyants. Il savait déjà qu’il ne pratiquerait pas comme éducateur de terrain, mais il avait envie d’acquérir cette qualification professionnelle. Jamais il ne s’est senti en décalage, même quand il se fit mettre en boite par ses collègues de promotion lui demandant si, après un doctorat et un diplôme d’éducateur, il envisageait de préparer un CAP de cuisinier !

Prévention spécialisée

Dès sa dernière année de formation d’éducateur spécialisé, Pascal Le Rest avait été recruté comme responsable de la prévention, chargé de l’information et de la formation, au Centre d’Informations et de Consultations en Alcoologie et en Toxicomanie de Chartres. Les années qui suivirent furent l’occasion pour lui de devenir Conseiller technique à la prévention spécialisé à l’ADSEA de l’Eure et Loire d’abord, puis de Seine et Marne ensuite, où il travaille encore, aujourd’hui. Cette activité le met en contact régulier avec les équipes de terrain, conduisant des observations sociales, exploitant des données chiffrées et menant des actions de formation. C’est une véritable déclaration d’amour qu’il proclame à l’égard de ce qu’il considère comme « un des plus beaux métiers dans un monde où l’on ne pense qu’au fric » : celui de travailleur social ! « Je suis dans l’action sociale, parce que j’y crois. C’est vrai que, parfois, on est un peu trop dans la plainte. Mais, ce qui est au coeur de ce métier, c’est le don et la générosité qui se traduisent dans la relation à l’autre ». Et, de donner l’exemple d’un adolescent en grande difficulté, qu’il a entraîné dans son dojo, le soutenant et l’accompagnant dans son projet de devenir dessinateur. Cela n’a pas été facile et il a conscience de ce qui s’est joué, de part et d’autre, en terme de relation transférentielle. Mais aujourd’hui, ce jeune est entré chez Disney. Cette destinée particulière n’est pas sans rappeler une autre qu’il connaît particulièrement bien : la sienne. Et ce n’est pas là la moindre des surprises que Pascal Le Rest nous réserve.

S’en sortir, malgré tout

Car, l’enfance n’a pas été, pour lui, un chemin bordée de roses, loin s’en faut. Dans une trilogie qu’il vient de publier (voir La trilogie du jeu de vivre ), il décrit avec une précision impressionnante un parcours fait de ce qu’on désigne aujourd’hui comme de la maltraitance, mais qui était à l’époque totalement banalisé. Le souci de Pascal Le Rest d’agir pour les autres n’est sans doute pas étranger à ce vécu, même s’il affirme ne pas ressentir ce passé comme douloureux. Sa mère qui le frappa régulièrement jusqu’à ce que, préadolescent, il lui rende pour la première fois la claque qu’elle lui administra une fois de trop d’une manière totalement arbitraire ? C’est aussi à elle qu’il doit d’avoir été introduit au monde des mots et des signes. Son père qui lui fit subir tout aussi constamment de monumentales raclées, en considérant que c’est à la dure qu’il fallait éduquer ses enfants ? C’est aussi celui qui l’accompagna dans de mémorables parties de pétanque où réussissant à battre les champions de France, il reprit confiance en lui. Il n’a rien refoulé de ce passé qu’il a décrit très tôt, noircissant plus d’un millier de pages. Il a créé un personnage, Frank Lombard, un autre lui-même, dont la vie s’inspire de sa propre histoire. A travers ce récit, Pascal Le Rest se donne trois objectifs. Rétablir d’abord la réalité d’une époque trop souvent mystifié : les « trente glorieuses » ont été fortement marquées par la domination masculine, le poids de la religion et de la morale. Rappeler, ensuite, la possibilité pour chacun de métaboliser un passé fait de joies et de blessures. « En me prenant comme terrain, j'ai voulu déclencher chez le lecteur le réveil de sensations, d'odeurs, d'événements, enfouis au plus profond de la mémoire et faciliter par un jeu de miroir l’émergence de leur propre passé ». Enfin, affirmer avec force que les épreuves vécues ne condamnent pas à une reproduction inéluctable du cycle infernal des violences subies. On peut passer de la position de victime passive à celle d’acteur de sa vie et se (re)construire. Un beau message d’espoir à retrouver dans ses écrits.

 
Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°1147 ■ 18/09/2014