De la corruption en protection de l’enfance
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dans Billets d'humeur
Dans un livre publié en 2023, l’avocate Christine Cerrada (1) accusait les associations du secteur socio-éducatif de profiter de la rente de situation que représentent les huit milliards du budget annuel de la protection de l’enfance.
Le monde associatif sans but non lucratif se serait-il transformé en associations lucratives sans but, comme le dénonçait déjà en 1995, Pierre-P. Kaltenbach (2) en Belgique ?
Philippe Toulouse, éducateur spécialisé, fustigeait lui aussi en 2020 une collusion politico-associative à l’origine d’un système de corruption associative mafieuse (salaires élevés, voitures de fonction de luxe, frais de logement privé remboursés etc…) qui valut pour ses anciens dirigeants d’être mis en examen.
On ne peut tout autant s’étonner de la prime de départ (tout à fait légale) du Directeur de l’association Enfance et famille située à Saint Nazaire, dans le cadre d’une fusion avec une autre association du département, en 2017 : 300 000 € !
Il serait sans doute possible de fournir bien d’autres exemples de pratiques peu reluisantes qui profitent non pas aux professionnels de terrain, mais à leur hiérarchie. Le contraste est saisissant entre le cocktail de privilèges que s’arroge parfois une poignée de hauts dirigeants et la réduction drastique des moyens de l’action sociale en général et ceux de la protection de l’enfance en particulier.
Dans le même temps, il existe un nombre incalculable de cadres du secteur qui se démènent au quotidien, souvent en ne comptant pas leurs heures, pour des salaires au montant bien dérisoire en comparaison de celui qu’ils percevraient dans le privé, notamment en regard des responsabilités prises.
Comment expliquer une telle dérive ?
Il y a lieu de penser à une contagion entre le monde associatif et les dérives du secteur privé. L’évolution des dernières années a soumis le travail social à une codification et à une mise en chiffres, en équations, en tableaux, en graphiques, en courbes, afin de pouvoir le comparer à un étalon de mesure générale et à une nomenclature normative. Les acteurs de cette technologisation ont pu reproduire les exigences de leurs confrères du secteur marchand, en revendiquant des rémunérations et indemnités, sans commune mesure ni avec le salaire moyen d’un travailleur social, ni avec ce qu’un cadre supérieur du secteur socio-éducatif percevait il y a encore quelques décennies. Bien sûr, on est bien loin d’un Carlos Tavarez, pdg de Peugeot, recevant chaque jour le salaire annuel moyen d’un salarié de son groupe. Mais, la conviction d’un certain nombre de Conseils d’administration du monde associatif de recruter des gestionnaires talentueux conduit à leur proposer des salaires compétitifs à même d’attirer des valeurs sûres. On retrouve là les mêmes dérives que dans ces entreprises caritatives du « charity business », adoptant les techniques de marketing en vue de collecter dons et soutiens … avec à la clé des dirigeants qu’il faut attirer pour leur sens des affaires, leurs compétences gestionnaires et leur savoir-faire marchand qui n’ont pas grand-chose à voir avec l’éthique initiale des associations qu’ils sont amenés à piloter.
La situation est en train de s’aggraver encore. Le secteur concurrentiel n’est pas indifférent à ce « pognon de dingue » (pour reprendre l’élégante formulation du Président Macron) qui lui échappe encore. L’Etat a commencé à lui en ouvrir l’accès à travers les « Social lmpacts bonds » : proposer à des fonds privés d’investir dans l’action sociale et d’en récupérer les bénéfices qu’ils pourraient en retirer.
Même si l’on ne peut donc affirmer que le secteur socio-éducatif est totalement exempt de corruption, prévarication et autre népotisme, ce qui le menace, c’est bien plutôt sa marchandisation et la logique financière qui en train de la gangréner.
(1) Placements abusifs d’enfants, Christine Cerrada, Éd. Michalon, 2023, 240 p.
(2) « Associations lucratives sans but » Pierre-P. Kaltenbach, Éd. Denoël, 1995 240 p.
(3) « Les invisibles », Philippe Toulouse, , Éd. Max Milo, 2020, (239 p. - 19,90 €)