A qui le tour ?

Le scandale de Bettharam fait écho au rapport Sauvé de 2021 faisant état des 330 000 victimes de violences sexuelles au sein de l’église catholique depuis 1950. À  la pédocriminalité que des dizaines de témoignages d’anciens élèves décrivent comme banalisée, se rajoutent ici la violence systémique comme modèle d’éducation et l’humiliation comme relation à l’enfant. Une question se pose toutefois : est-ce propre à l’institution religieuse ?

Du côté des familles ? Malgré une loi votée en 2019 interdisant les violences éducatives, 81% des familles reconnaissaient en avoir fait usage au moins une fois dans l’année.

Du côté des crèches ? Le rapport de l’IGAS publié en 2023 fait état de bébés attachés, brûlés, insultés, humiliés...

Du côté de l’école ? Une enseignante vient d’être condamnée le 14 février à 3 000 euros d’amende pour avoir frappé une élève de 3 ans.

Y a-t-il là un ensauvagement de notre société ou une prise de conscience et une sensibilisation récente des médias et de l’opinion publique ? Difficile de répondre. L’emballement médiatique reste un phénomène énigmatique. Pourquoi a-t-il fallu le livre de Victor Castanet sur les EHPAD en 2022 (« Les Fossoyeurs ») et le suivant en 2024 sur les crèches (« Les ogres ») pour qu’il y ait une réaction, alors que nombre d’enquêtes et de rapports rédigés auparavant n’avaient pas soulevé autant d’émotions ? Mystère.   

Reste néanmoins une réalité entêtante : cette légitimation de la violence éducative ordinaire. Vous savez cette phrase affligeante : « j’en ai pris des claques quand j’étais enfant, je n’en suis pas mort » . Pendant longtemps, ce qui a dominé et ce qui encombre encore un certain nombre d’esprits adultes, c’est la pédagogie noire. Ce concept créé par la pédagogue allemande Katharina Rutschky et popularisé par Alice Miller- qui considère la nature de l’enfant comme mauvaise par essence. Il faut donc lui imposer un redressement et un reconditionnement prétendument salvateurs, en brisant sa volonté par l’obéissance, la soumission et l’assujettissement à la volonté d’un adulte, n’hésitant pas à faire usage de la violence pour y parvenir.

Le féminisme qui prend son essor en 1970 et qui a été relancé par le mouvement « Me too » en 2007 a permis de visibiliser les agressions sexuelles subies par des femmes, des hommes ou des enfants. Bien des milieux de la société ont été éclaboussés : le cinéma, le théâtre, le sport, les médias, la politique, l’université, les médias…  Il est étonnant que les institutions éducatives, sociales et médicosociales soient jusqu’à ce jour épargnées. Quelques rares faits divers en font état.

J’ai côtoyé au début de ma carrière des professionnels encore en activité, formés à la claquothérapie et la pratiquant encore. Ils n’exercent plus. Mais leurs mauvaises habitudes ont laissé, elles aussi, des traces et des souvenirs … qui pourraient resurgir. C’est là un passé qu’il nous faut, nous aussi, assumer. Non dans un registre de défense corporatiste, mais dans une reconnaissance des actes de maltraitance institutionnelle qui ont été largement commis. 

Pour l’heure, rappelons-le, les dénonciations sont rares. Ce qui, une fois de plus, ne signifie absolument pas que des agressions ne se soient pas produites là aussi pendant des années et qu’arrivera peut-être le jour où elles seront rendues publiques de façon ponctuelle ou massive. Mais, s’il ne faut pas abaisser notre seuil de vigilance, il ne faut pas non plus vouloir en trouver partout et à tout prix. Cultiver la circonspection et la prudence est de mise, tout autant que se montrer un observateur attentif en la matière. N’hésitons pas à endosser le rôle de lanceur d’alerte, si nécessaire, sans aucune hésitation, tout en se gardant de toute psychose.