En plein cœur de la ville
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dans Carte blanche à
Depuis la disparition de Lien Social, nous sommes nombreuses et nombreux à nous sentir orphelins. Les belles plumes qui alimentaient les billets tant de sa version papier que de son site ne devaient pas disparaître. Si rien ne remplacera jamais ce journal écrit par des travailleurs sociaux, retrouvez quelques un(e)s de ses chroniqueurs et chroniqueuses, chaque jeudi, dans la rubrique « carte blanche à …» ».
En plein cœur de la ville…
François Durand, éducateur spécialisé en AEMO (Assistance Educative en Milieu Ouvert), n’est pas très à l’aise aujourd’hui. Il doit aborder la question du placement avec Elyne, douze ans. Le placement, on en parle dans et avec la famille depuis quelque temps et là, ça se précise. Rien n’a encore été demandé officiellement au juge des enfants mais cela ne saurait tarder. A la maison, la situation est intenable pour elle comme pour sa mère. Quoi qu’il en soit, après concertation en équipe, décision a été prise et il convient maintenant de l’acter. Tout d’abord par des mots auprès de l’enfant pour ensuite envoyer la demande au juge. Depuis le début de l’exercice de la mesure, François a pris pour habitude avec Elyne, lorsqu’il s’agit de la voir seule, de lui proposer des sorties dans les différents parcs de la ville. Juste flâner, se poser sur un banc ou s’allonger sur l’herbe pour, tranquillement, deviser. Une activité sans consommation que la gamine apprécie tout particulièrement.
Mais là, aujourd’hui, pas de parcs. François opte pour une balade dans les rues. Il n’a pas d’idée précise de l’endroit où se rendre. Il a bien déterminé à l’avance un secteur, le centre-ville, mais sans réellement définir un parcours. Ainsi, tous deux, côte à côte, partent du haut de cette grande artère qui plonge vers la mer. Ils s’en échappent ensuite en empruntant une ruelle à droite, une autre à gauche. Ils se laissent porter et arrivent sur un plateau, place bien connue des habitants sur laquelle il fait bon venir boire un verre et lieu des petites salles de concert et autres festivités. C’est François qui mène la danse et les endroits visités sont ceux appréciés par l’éducateur. Ils tournent, virent et cette déambulation témoigne de la difficulté pour François d’aborder le sujet qui fâche. Elyne n’est pas dupe du jeu de l’éducateur. Elle a très bien perçu, même s’il ne sait pas où il va, là où il veut en venir. C’est elle qui ouvre le bal.
-Pourquoi tu voulais me voir aujourd’hui ? Tu as quelque chose à me dire ?François ne peut s’empêcher au fond de lui-même de remercier la clairvoyance et la pertinence de cette enfant qui l’accompagne sur le macadam et qui vient de s’arrêter pour le regarder droit dans les yeux. Elle lui facilite grandement la tâche.
-Oui, en effet, j’ai quelque chose à te dire. Quelque chose d’un peu particulier. Bon, en même temps, ce n’est pas complètement nouveau. Le sujet à déjà été évoqué avec ta mère à quelques reprises… et heu… tu vois…bon…Elyne sait. Elle attend juste que le mot soit prononcé pour que l’idée prenne corps et que concrètement elle puisse s’y confronter, que cela vienne trancher dans le flou de sa vie. Ils reprennent la route et François lâche le mot : placement. Les voilà de retour en haut de la grande artère. Sur leur droite, une cathédrale. La cathédrale plantée en plein cœur de la ville.
-On la visite François ?-Oui, si tu veux.
Ils montent les marches, poussent une grande porte et pénètrent dans le sanctuaire. Ils sont aussitôt happés par le silence qui y règne. Ils lèvent la tête, admirent les vitraux et se choisissent un banc. Ils s’assoient et là, pendant plus d’un quart d’heure, ne disent plus rien.