Loi du Talion

 Carte blanche à la Plume noire

Loi du Talion ; Malik 1


« Alors comme ça on frappe les éducateurs !? » Malik ne l’a ni vue ni entendue venir. La calbote qu’il reçoit sur l’arrière du crâne le fait presque tomber de la chaise sur laquelle il est assis. L’auteur de la calbote, un officier de police. L’éducateur frappé, François Durand. L’altercation s’est passée deux semaines avant la convocation au commissariat. L’adolescent de quatorze ans venait d’arriver sur la MECS (1). Sa première soirée sur la structure. Cinq heures de présence à peine sur les lieux. Il cherchait ses pantoufles. En faisait tout un plat. Se demandait s’il ne les avait pas oubliées chez lui, chez sa mère qui était seule maintenant. Pas évident d’accepter sa nouvelle situation. De s’apercevoir qu’il allait devoir passer l’année et peut-être plus dans cette maison. Dans cette chambre aux murs vides, verdâtres et lézardés.

La nuit venait de pointer le bout de son nez et avec, l’angoisse liée à la peur du noir et de l’inconnu. Malik se focalisait sur ses pantoufles. Celles qu’il portait chez lui. Celles qui l’ancraient dans l’illusion d’une vie familiale sans accrocs. Celles qui lui conféraient assurance et assise. Sans ses pantoufles, il refusait de descendre dans la salle à manger pour passer à table. François s’est contenté de lui expliquer que cela n’était pas grave, qu’il pouvait descendre avec d’autres chaussures, qu’il les trouverait certainement plus tard mais Malik insistait « Non, je veux mes pantoufles, je veux mes pantoufles, elles sont où mes pantoufles ? »

Exaspéré, l’éducateur l’a mimé et imité en forçant le trait pour relever son attitude pour le moins enfantine « Je veux mes pantoufles, je veux mes pantoufles et gnagnagni et gnagnagna… »

L’enfant s’est transformé ; « Je vais t’enculer sale connard. » Le visage et les poings fermés, il s’est approché de ce mauvais clown pour, dans une vitesse fulgurante, lui asséner un crochet du gauche suivi d’une droite reçue en pleine face. François a encaissé avec le plus de calme possible. Les bras levés et les mains ouvertes en signe de reddition, il s’est adressé à l’adolescent d’une voix qui cherchait l’apaisement, « C’est bon Malik, calme toi… calme toi… » Malik s’est alors retourné pour, d’un pas vif, disparaître dans le couloir.

François s’est immédiatement rendu chez le médecin pour qu’un certificat médical soit établi. Le document en poche, il a déposé plainte auprès du commissariat de secteur. Et c’est là, que quinze jours plus tard, sur sa chaise, Malik s’en prend une derrière la cafetière. Ce n’est pas François qui a accompagné Malik au commissariat mais son collègue, Jérôme Cabriole et c’est ce même Jérôme qui raconte l’anecdote devant toute l’équipe pliée de rire et satisfaite par le geste de l’agent assermenté.

Quelques jours plus tard, François et Jérôme reviennent sur l’évènement :

  • Tu en pense quoi de tout ça ?
  • Je ne sais pas trop. Sur le moment j’ai bien ri mais je ne suis pas sûr que ç’ait été de bon goût.
  • Pareil pour moi. D’emblée, le policier a donné raison à l’éducateur. Et tout ça pour au bout du compte se comporter comme le jeune. En frappant.
  • Une bien étrange vision de la justice…
  • Ouais… une drôle de manière de porter la loi…

 

(1) Maison d’Enfants à Caractère Social