AMP - Et la tendresse, bordel !

Ce 24 octobre 1996, les AMP des Pays de Loire tenaient en collaboration avec le CREAI,  leur Journée Régionale Annuelle sur un thème « porteur » qui avait vu affluer les demandes d’inscriptions: « la vie affective et sexuelle de la personne dépendante en institution ». Nombre de ces demandes ne purent être honorées, notamment celles issues d’autres corporations: c’est délibérément que la décision avait été prise de privilégier les échanges de travailleurs sociaux considérés depuis trop longtemps comme les « parents pauvres » du secteur médico-social. La qualité des échanges qui eurent lieu au cours de cette journée démontre la pertinence à la fois de ce questionnement et de professionnels placés au plus près du terrain et qui censés être  sous la responsabilité d’un Educateur Spécialisé, n’en montrent pas moins une qualité de travail qui manque avant tout de reconnaissance.

 

Le droit

En matière de sexualité au sein des établissements, le droit ne préexiste pas. Les règles sont construites au cas par cas et au fur et à mesure que les problèmes se posent. La place qui est ainsi laissée à l’arbitraire est plus synonyme de répression que de libération pour l’usager. Ainsi s’exprime d’emblée Gilles Renaud, avocat et Conseiller Technique au CREAI. Deux principes sont à rappeler en permanence: toute personne qui n’est pas juridiquement incapable est juridiquement capable et tout ce qui n’est pas interdit est autorisé. Ainsi, en matière de mariage, la loi prévoit une règle dérogatoire pour les personnes mises sous tutelle ou curatelle. Mais, en matière de relation sexuelle, elle n’intervient pour les adultes qu’au cas où l’un des partenaires n’est pas consentant. On mesure donc à l’aune du droit, l’arbitraire de celles et ceux qui interdisent toute relation affective ou qui imposent une contraception voire une stérilisation parfois même sans que l’usager le sache, ni soit consulté. Y a-t-il légitimité dans ces comportements adoptés pour le bien de la personne ? La loi ne tranche pas sur  la question de qui doit décider. Seule la jurisprudence a-t-elle reconnu il y a une dizaine d’années la possibilité pour une jeune femme sous tutelle de refuser l’IVG que voulait lui imposer sa mère.

Il apparaît plus que nécessaire que cette question soit traitée au sein du lieu d’accueil au travers du projet institutionnel et des règles énoncées clairement et devant s’imposer à tous comme à chacun.

 

L’institution

La sexualité des usagers a continué Madame Coti, Directrice d’un Foyer à Limoges, n’implique pas de bonnes réponses mais seulement des bonnes ou de mauvaises questions. Les relations sexuelles des adultes dépendants peuvent-elles être autorisées ? Dans l’affirmative, quelles limites poser ? Plusieurs options sont possibles.

Première approche, l’interdiction: « toute sexualité est interdite dans l’établissement » lit-on dans certains règlements intérieurs qui rajoutent « les éducateurs doivent avoir le souci d’occuper les résidents au maximum pour qu’ils n’y pensent pas » ! On est là bien loin de la reconnaissance de la personne handicapée comme être humain à part entière, alors-même qu’on peut tout à fait considérer que l’épanouissement affectif est aussi important à l’équilibre personnel que le confort physique ou les soins médicaux.

Seconde réponse possible, la permissivité absolue: aucune limite n’est posée. Chaque usager donne libre court à ses pulsions. On assiste ainsi à des scènes de masturbation en public sans que personne n’intervienne. Où se situe la dignité de l’individu quand on tolère qu’il se comporte en dehors des règles sociales en vigueur ?

Autre solution, l’absence de toute règle institutionnelle, chaque intervenant réagissant à sa façon, en fonction de ses propres convictions. C’est là la porte ouverte à l’arbitraire et à l’incohérence d’une équipe donnant des réponses contradictoires et pouvant être diamétralement opposées selon l’heure et la personne de service.

Il apparaît à nouveau fondamental que l’Institution jalonne cette question essentielle en apportant une réponse qui soit le fruit d’une réflexion globale de l’ensemble du personnel. Plusieurs interrogations pourraient dès lors aider ce cheminement:
- la sexualité ne doit-elle pas être abordée du double point de vue génital et affectif ?
- la génitalité masculine (érection, éjaculation) n’évacue-t-elle pas trop souvent la génitalité féminine qui passe plus inaperçue ?
- dans la relation entre le professionnel et l’usager, quelle place pour la séduction ?
- comment interpréter l’attitude de la famille qui balance le plus souvent entre le déni et le refus de voir (la personne handicapée est conçue comme un être asexué) d’un côté et de l’autre une hyper protection qui amène à donner la pilule avant - même que la personne ait exprimé quoi que ce soit (sexualité considérée comme dangereuse).

Un certain nombre d’éléments incontournables doivent toutefois rester à l’esprit des intervenants: la vie communautaire des usagers n’est pas un choix, mais  une contrainte, le handicap implique un rapprochement des corps ne serait-ce que par les touchers et manipulations quotidiens, enfin les relations entre soignants et soignés relèvent qu’on le veuille ou non d’un rapport de pouvoir.

 

Le désir

Béatrice Luquet, auteur d’un mémoire d’Educatrice Spécialisée sur la question de la sexualité en institution, a apporté le double éclairage d’une recherche et d’une expérience d’une professionnelle de terrain.

Si la mixité s’impose pour les enfants et les personnes âgées, a-t-elle tout d’abord rappelé, les adolescents et les adultes sont en général hébergés en centre monosexué. Plus que la procréation, c’est bien la sexualité des personnes handicapées qui fait peur. Mais, comment est-il possible de prendre en charge le développement éducatif et psychosocial d’un individu si l’on occulte systématiquement la dimension affective et sexuelle qui l’habite (tendresse, besoin d’attachement, ...) au même titre que tout autre être humain. Car il n’y  a de proportionnalité ni directe ni inverse entre les capacités intellectuelles et les besoins sexuels.  La sexualité de la personne handicapée lui appartient, ce qui n’empêche pas, mais bien au contraire, justifie pleinement l’éducation au respect de l’autre: liberté, consentement mutuel et non-violence doivent marquer le cadre de son expression.

La personne handicapée a le droit d’aimer et d’être aimé. Pourtant, trop souvent la famille l’infantilise. Quant aux professionnels, ils vivent encore ces manifestations comme une expression gênante, voire bestiale.

Si le désir est bien au coeur de toute relation humaine, il s’exprime tant chez les travailleurs médico-sociaux que chez l’usager. Plutôt que de tenter de l’ignorer, mieux vaut le reconnaître lucidement tout en posant le tiers de la loi, de la règle en situant la place et le rôle de chacun et en posant les limites du possible et de l’impossible.

 

Le débat

Ces trois interventions ayant permis de poser le cadre de la problématique, le public pu exprimer toute une série de questionnements issus de sa pratique quotidienne du terrain.

Jusqu’où peut-on aller dans les contacts physiques qu’impose le handicap ? La toilette intime peut-elle entraîner l’intervenant dans une infraction relevant de l’attentat à la pudeur ? Où commence et où se termine le maternage ?  Que penser des solutions trouvées aux Pays-Bas d’emploi de call-girls ? Comment réagir face à des adultes handicapés se masturbant en public ? Est-ce souhaitable qu’une mise en couple aboutisse à la création d’une famille ? On repère bien dans ces interrogations, l’incontournable gène qui naît de situations parfois ambiguës. Les usagers ont été habitués dès leur plus jeune âge à une vie de groupe sans grande pudeur. La distinction entre espace public et espace privé n’a pas toujours fait l’objet de pratiques cohérentes. Dès lors, comment s’étonner qu’à l’âge adulte, ils n’acquièrent pas de comportements diamétralement différents. D’autant plus, quand on sait que l’expression corporelle a toujours été valorisée et que pendant des années, on a cherché à les faire s’exprimer au travers de leur corps. Et, là, elle deviendrait tabou sous prétexte qu’elle exprimerait la tendresse ?

En fait, ce qui semble s’imposer, c’est bien l’éducation à ce qui est permis et ce qui ne l’est pas... Bien sûr, toutes les institutions ne se ressemblent pas. Ainsi le Foyer à Double Tarification « Les Reinettes » à Bron en Bretagne, qui reçoit des adultes atteints d’épilepsie, précise dans son règlement: « une unité de vie mixte peut générer des relations affectives privilégiées entre certains bénéficiaires. Celles-ci sont bien sûr acceptées dans le respect de la bienséance et des conduites sociales permises ». D’autres services n’hésitent pas à aménager des lits doubles pour les couples qui se forment. Expériences intéressantes s’il en fut, mais il reste encore du chemin à parcourir, pour faire admettre tant au sein des familles que des professionnels les représentations sur le droit à la sexualité et à l’affection pour les populations handicapées. Et il revient à ce type de rencontre, le mérite de poser les vraies questions au-delà des tabous et des hypocrisies.

 

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°382  ■ 23/01/1997