Assises du non-droit 1

Est-il nécessaire à notre époque de tout faire pour que les jeunes aient accès à leurs droits?

Nombre d’adultes pas forcément mal-intentionnés répliqueront à cette question qu’on ferait mieux de leur apprendre leurs devoirs.

Outre que le terme adéquat est bien « obligation » -devoir utilisé si souvent ayant une connotation avant tout morale- une telle réponse situe bien le malaise dans lequel s’articulent le monde adulte et une certaine jeunesse. Effondrement de l’autorité, disparition de tout respect dû aux plus âgés, adolescents sans limites se croyant tout permis, l’atmosphère de l’époque se prête bien plus à un recadrage des jeunes générations qu’à une extension de leurs droits.

Pourtant, il y a confusion. Par « droits », on entend facilement « libertés ». Alors que la question qui se pose, c’est bien de permettre aux adolescents et jeunes adultes de prendre conscience des règles qui régissent la vie de la cité afin qu’ils les utilisent à partir de leur place, rien que leur place mais toute leur place. Cette découverte des droits et obligations constitue un fantastique outil de socialisation favorisant l’entrée pleine et entière dans la citoyenneté.

Nous avons longuement présenté dans Lien Social n°366 l’expérience des Service du Droit des Jeunes en Belgique. La France a eu ses propres initiatives. L’ADSEA du Nord avait monté un Point-Jeunes dès 1983 à Lille qui s’est transformé en Service Droit des Jeunes (1) en 1990. Cette même année, se crée Thémis à Strasbourg (2). L’un et l’autre ont proposé les 23, 24 et 25 janvier à Lille les 2ème Assises du Non-Droit sur le thème de « l’accès au droit des jeunes en déshérence ».

 

Une jeunesse en déshérence

La notion de déshérence fait référence au langage juridique: « absence d’héritiers pour recueillir une succession qui est en conséquence dévolue à l’Etat » (Petit Robert).

Que peut signifier ce terme appliqué à la jeunesse ?

Maryse Vaillant, psychologue, a commencé par poser l’importance de l’héritage dans l’existence humaine. Tout individu se trouve placé exactement entre la dette et le don, entre ce qu’il a reçu et ce qu’il transmet. Si nous sommes le maillon d’une longue chaîne et que nous héritons pour l’essentiel à notre insu, cela ne signifie nullement que nous soyons obligatoirement passif. Nous pouvons agir en tant que sujet en décidant de trier mais jamais en refusant l’héritage qui nous habite de toute façon.

Cette jeunesse en déshérence continuera Paul Masotta, psychanalyste, ne serait-elle pas celle qui réclamée par personne relèverait de la responsabilité de l’Etat ? Sans ancrage, ni lien familial, sans rattachement géographique et perdus dans le maquis des droits et réglementations, ces jeunes ne s’identifient-ils pas aux « surnuméraires » définis par Robert Castel ? On pense aussi à l’homophonie entre déshérence et errance. On peut aussi rappeler les difficultés des travailleurs sociaux placés face à des jeunes qui n’attendent rien d’eux et ne demandent rien qui puisse correspondre à leur mandat ou à leur attribution.

Et, c’est vrai, expliquera Saïd Bouhamama, sociologue, que cette déshérence se situe dans une période marquée par la déconstruction des anciens modèles, alors même que les nouveaux modèles ne sont pas encore reconstruits. Les difficultés de la jeunesse sont le symbole de ce qui se détruit et de ce qui ne s’est pas encore édifié. L’autorité des anciennes générations n’est plus légitime. Il faut la négocier. Les espaces intergénérationnels ont volé en éclat. Quant à l’avenir,  il est devenu impensable et impensé. Il n’y a plus cette tension féconde entre le présent vécu et l’espoir de changement pour des générations qui se trouvent de fait sans futur. La citoyenneté s’en trouve limitée à une acception adulto-centrique, délégative, nationalitaire, élective (valable uniquement au moment du vote) et surtout individuelle.

Pour Jacques Faget, chercheur au CNRS, la déshérence se manifeste de multiples façons: crise de la jeunesse (s’accompagnant au passage de la juvénilisation de la société), disparition des rites de passage, figure paternelle démissionnaire, etc... Cette réalité aboutit à une détresse individuelle croissante et à une multiplication des incivilités. Toutefois, ce sont bien les effets et non les causes qui sont mis en avant. Si dans les années 70, le processus de socialisation était communément axé sur l’épanouissement de l’individu et dans la décennie suivante sur l’insertion par le professionnel, les années 90 ont vu fleurir la revendication de la structuration de la personnalité par le rappel à la loi. Cet axe relève plus d’une démarche sécuritaire que solidaire, plus du modèle restauratif qu’éducatif. L’individu en souffrance qui passe à l’acte disparait derrière cet acte.

 

Des relais pour l’accès au droit

Le constat est à la fois lucide et inquiétant.

Il rend d’autant plus pertinente l’inscription des adolescents et des jeunes adultes au sein d’une logique d’accès au droit qui leur permette de retrouver une place à part entière. Face à l’absence de perspective, il s’agit de leur montrer qu’ils ont possibilité d’agir comme acteur de leur vie. Le droit ne doit pas être perçu par eux comme un moyen de limiter leur liberté et de réprimer leurs désirs, mais tout au contraire d’y avoir pleinement accès dans la juste proportion de leurs droits et obligations. Cet accès permet donc une pleine entrée dans la vie adulte et la citoyenneté.

De nombreuses associations présentes aux Assisses travaillent activement dans ce sens. Comme pour toute action partant de la base, les modalités d’intervention sont diverses et multiples. Cela va des permanences d’avocats jusqu’aux reconstitutions d’audience d’un Tribunal pour Enfants avec des collégiens en passant par des formations d’adultes au droit des mineurs et des séances de sensibilisation au sein des établissements scolaires (à l’aide de cassettes-vidéo ou d’une exposition comme celle de la Protection Judiciaire de la Jeunesse « 13-18 ans questions de justice »). 

Ces initiatives proviennent de tous les milieux: avocats bien sûr, mais aussi éducateurs, structures d’aide aux victimes ou centres d’information existants qui assurent déjà l’accès au droit des adultes.

Ces nombreuses activités se heurtent toutefois aux limites du bénévolat et aux difficultés du financement. Les subventions accordées le sont parfois pour le démarrage de l’action, l’association étant encouragée à trouver d’autres relais financiers. Une telle situation plonge les promoteurs dans une grande insécurité et incertitude.

L’accès au droit est à double détente: faciliter la socialisation et donc assurer la paix sociale, mais aussi rendre les individus plus autonomes et donc d’autant plus capable de revendiquer et d’agir comme acteur. Les autorités de notre pays devront à coup sur se déterminer quant au soutien à apporter à ces relais qui symbolisent à leur manière les nouveaux modèles d’intervention sociale qui seront appelés dans l’avenir non pas à prendre la suite mais à intervenir de plus en plus aux côtés des structures classiques qui ont montré à la fois leurs capacités mais aussi leurs limites.

 

Jacques Trémintin – Février 1997

 
(1) Service Droit des Jeunes: 1, rue Saint Génois 59800 Lille Tél.: 03-20-51-38-11
(2) Thémis: Maison des Associations 1A place des Orphelins 67000 Strasbourg  Tél.: 03 -88-37-92-61
Thémis: 36 rue Buhler 68100 Mulhouse Tél.: 03-89-59-20-20
 
                       
Themis au scanner
Ouvert à Strasbourg en 1990 et étendu à Mulhouse 4 ans plus tard, l’association Thémis affiche clairement ses intentions: proposer un lieu d’écoute, d’accueil, d’éducation à la loi, mais aussi d’ accompagnement socio-éducatif utilisant le droit comme outil de socialisation et d’insertion. La charge de travail s’est accrue progressivement au cours des années.
Dans le secteur information et défense, les 97 dossiers de 1991 sont passés au nombre de 386 en 1993 et 546 en 1995.
Dans le secteur sensibilisation, information et prévention, 3500 personnes ont été touchées en 1994 et 4.200 l’année suivante.
Le public accueilli s’est équilibré entre mineurs et jeunes majeurs et entre filles et garçons. Par contre les jeunes scolarisés ont augmenté. C’est le bouche à oreille qui permet l’information loin devant les services sociaux ou la mission locale. Les jeunes viennent consulter pour moitié à propos du droit de la famille (droit de visite, violences familiales, assistance éducative, pension alimentaire, ...). Puis viennent le droit du travail, le droit pénal (victime), le droit des étrangers, les prestations sociales, les dettes, le droit scolaire, ...
Thémis s’intéresse aussi à la recherche, à l’évaluation et à la réflexion. Deux groupes de travail ont été montés ces dernières années: l’un se consacre à l’accompagnement des enfants et des jeunes victimes de violences sexuelles, l’autre à l’accès à la nationalité.