ANAS - Partage de l’information

Face aux nouveaux outils de communication : Portée et limites du  partage de l’information

Action inter-partenariale, co-évaluation, approche interprofessionnelle, démarche pluridisciplinaire... autant de notions très à la mode qui impliquent un partage de l’information, partage de l’information d’autant plus facilité par l’utilisation de plus en plus courante de l’informatique. L’enchaînement est ici trop « évident » pour qu’on ne se pose pas quelques questions...

Nul  ne peut aujourd’hui nier la nécessité de la collaboration entre les intervenants sociaux et du travail en réseau. Si la notion de partenariat est devenue incontournable, ses conséquences le sont tout autant. Ainsi en va-t-il du partage des informations mais aussi de l’arrivée massive de nouveaux outils appelés à faciliter cette démarche, au premier rang desquels on trouve l’informatique. Pour autant, cela n’interdit pas aux professionnels d’avoir à réfléchir à la façon dont il est souhaitable que ces évolutions adviennent. C’était l’objectif que s’était fixée l’ANAS de Loire-Atlantique ce  vendredi 16 mars 2001 mars, en invitant  Christine Garcette, directrice de l’association et Gérard Chevalier, auteur d’un récent ouvrage portant sur la question de l’informatisation (1).

 

Le partage de l’information

Les professionnels sont soumis, commencera Christine Garcette, à deux injonctions paradoxales. La première obligation qui leur est faite, consiste bien dans le respect de  la vie privée qui, aux côtés de notions fondamentales telle la lutte contre toute discrimination ou atteinte à la dignité, constituent l’essence même du travail social. La deuxième contrainte qui est tout aussi incontournable, induit cette obligation à ne pas travailler seul face à l’usager, et donc à entrer en relation avec les autres professionnels qui accompagnent la famille ou l’usager, en ce concertant ou se coordonnant avec eux. Comment faire en sorte que ces deux exigences puissent se combiner et non s’exclure ? Les moyens de communication moderne donne l’illusion qu’on peut tout savoir sur la vie de quelqu’un. La dérive est proche de penser qu’on doit tout savoir. Ce qui complique encore la situation, c’est que la loi, si elle réprime les atteintes à la vie privée, ne donne aucune définition de cette dernière, pas plus d’ailleurs qu’elle n’en précise ni les attributions ni les limites.  Ce qui fait, qu’un même acte ne sera pas vécu de la même façon par chacun. Pour les uns, donner son nom constituera déjà une intrusion dans son intimité. Pour d’autres, étaler ses difficultés devant le premier venu ne posera guère de problème. Par contre, cette même loi fixe des règles très précises quant aux obligations de discrétion qui sont exigées des fonctionnaires et aux contraintes du secret professionnel tel qu’elles s’imposent à celles et de ceux qui y sont tenus. Ce sont, en tout premier lieu, sur ces textes législatifs -premier socle de leur intervention- que les professionnels doivent s’appuyer. Mais, la loi ne prévoit pas tous les moments de la vie dans ses moindres détails. Il subsiste des interstices importants qui sont autant d’espaces où se déploient tant le cadre déontologique que l’éthique. Illustration de cette réalité : l’absence de toute indication réglementaire concernant le secret partagé. Toute une série de facteurs entrent en ligne de compte quand il s’agit de diffuser ou non à ses partenaires des informations dont on a eu connaissance au contact d’un usager ou d’une famille : la transmission a-t-elle un caractère oral ou écrit, ponctuel ou régulier, institué ou informel ? Il apparaît indispensable que le partage de  l’information fasse l’objet de procédures entre les partenaires et les institutions. Ainsi, l’ANAS a-t-elle élaboré, il y a de cela quelques années déjà, quatre questions pertinentes qu’elle propose de se poser quand on est confronté à cette situation. La personne à qui on s’adresse est-elle elle-même tenue au secret professionnel ? Quel est l’objectif de ce partage et quelles informations permettront de l’atteindre ? Que vont devenir ces informations ? L’usager est-il sinon d’accord, du moins au courant de cette communication ? Les réponses apportées à ces questions ont vocation à permettre au travailleur social d’adopter l’attitude qui peut le mieux respecter la vie privée de l’usager. Si les professionnels doivent entrer en communication les uns avec les autres, chacun doit être en mesure d’assumer sa propre place et de prendre ses responsabilités, quitte à rendre des comptes tant devant son employeur que devant la justice. Le nécessaire partenariat pourra alors s’appuyer sur des complémentarités qui seront d’autant plus efficaces qu’elles ne s’identifieront pas à ce qui pourrait relever de la confusion.

 

Le dossier social

Il est un autre aspect du travail social qui illustre, là encore, le vide laissé par la loi quant à l’utilisation des informations concernant les usagers et leur famille : c’est la gestion du dossier social. Ce dossier peut-être défini comme un document administratif individuel de type nominatif, constitué par l’ensemble des écrits achevés et définitifs élaborés pour les besoins de la conduite d’un travail social au bénéfice d’un usager. Mais, il n’existe pas de définition juridique proprement dite. Seule la loi de 1978 définit le droit de chaque citoyen à consulter tout document le concernant. Plusieurs conditions sont néanmoins posées : ce document doit préexister à la demande, il doit être achevé, ne peut être consulté que par la personne concernée, l’administration ayant un mois pour s’exécuter. Le dossier constitué par un service socio-éducatif sur une personne bénéficiant d’un suivi doit donc pouvoir être compulsé par cette dernière. L’employeur peut, de son côté, essayer d’y avoir accès, tout comme la justice, qui peut le saisir. D’où l’importance de choisir avec précision ce qu’on y met. S’y retrouvent le plus souvent des éléments objectifs, mais aussi subjectifs telles les notes personnelles, les hypothèses de travail et autres plans de rapport qui méritent régulièrement d’être purgés. Autre effet de la possibilité pour les usagers de prendre connaissance de ce qu’il y a dans leur dossier : une écriture qui ne pourra qu’être différente. Rendre lisible ce qu’on écrit en évitant le jargon psychologisant, s’en tenir à des faits et à des hypothèses cohérentes, s’abstenir de questionnements qui sont par trop infondés ... pour en arriver à une pratique qui est déjà appliquée par un certain nombre de professionnels : lire aux usagers le rapport que l’on vient de rédiger à propos de leur situation.

 

Le partage de l’information vécue sur le terrain

Les professionnels présents, d’horizon les plus divers (assistantes sociales scolaires, d’entreprise, de secteur, de l’hôpital ...) ont pu évoquer dans plusieurs ateliers leur propre vécu face à ce partage de l’information. Seront évoqués tour à tour la confrontation parfois au manque flagrant de discrétion (à l’image de cet éducateur s’étalant devant un professeur sur la vie d’un élève) ou au contraire à une absence de communication de la part de services éducatifs (justifié par exemple par le désir –qui peut s’entendre- de ne pas stigmatiser un enfant quand celui-ci, bien que bénéficiant d’une aide éducative, n’a pas de difficultés scolaires particulières). Mais aussi, parfois, le flot d’informations qui non seulement submerge le professionnel, mais qui en outre lui parvient non hiérarchisé, mélangeant le plus important et le plus futile, le détail  essentiel et l’anecdote accessoire. La demande d’informations supplémentaire peut aussi jouer un rôle de réassurance pour des intervenants cherchant à comprendre l’échec auquel ils sont confrontés face à un usager, en obtenant des renseignements sur sa vie.  Autre souci mis en avant : le partage de l’information doit toujours être un outil, jamais un but. Il doit être le produit d’un certain nombre de questionnements : en quoi est-il utile et pertinent de communiquer  (réponse qu’il est important d’apporter non une bonne fois pour toutes, mais pour chaque situation qui se présente) ? Où se trouve l’usager (à quel moment intervient-il et quelle place lui aménage-t-on) ?  Enfin, l’attitude face au partage de l’information est aussi une question de valeur philosophique et de conception de société. Le partenariat est toujours difficile car il implique de reconnaître la différence et d’accepter le contradictoire. On ne s’y prête pas forcément spontanément. C’est bien pourtant le regard croisé qui aménage la place de l’usager.

 

Grandeur et décadence de l’informatique

Pour autant, le partage de l’information peut aussi déboucher sur une approche totalisante, sinon totalitaire. Poussée à son comble ne risque-t-on pas de déboucher sur cette image digne  du roman d’Orwell, d’une personne faisant une demande d’HLM, déposant un dossier à la CAF, allant consulter un médecin, adressant un dossier de bourse pour ses enfants, cherchant à obtenir une aide au CCAS pour la cantine etc ... et se trouvant face à des interlocuteurs successifs qui, d’une seule manipulation de clavier d’ordinateur, pourraient avoir accès à un dossier unique retraçant toute sa vie et toutes ses difficultés. Les usagers doivent continuer à bénéficier d’un droit absolu : celui de disposer d’espaces propres qui restent dans l’angle mort de l’observation des services socio-éducatifs. Ces craintes rejoignent les vives résistances qui s’étaient déjà manifesté, dans les années 70, face aux tentatives de systématisation des connaissances des populations cibles (projet GAMIN ou AUDASS). Gérard Chevalier défendra l’informatique en plaidant pour un outil qui, pour lui,  n’est finalement, que ce qu’on veut bien en faire. Depuis un quart de siècles, cette technique s’est développée dans toutes les sphères de la société : la puissance de travail, la rapidité, les capacités de mémoire, la fiabilité et l’universalité de cet instrument s’est imposé au point de le rendre incontournable. De fait, en 1997, on comptabilisait déjà 69 départements qui s’étaient lancés dans un projet d’informatisation de leurs services. Dès lors, affirme-t-il, ce dont il s’agit aujourd’hui n’est plus tant de réfléchir à la pertinence de la démarche que de s’intéresser aux modalités d’application qui sont envisagées. Et l’outil est à l’image des pratiques professionnelles qu’il entend servir : très diversifié. Certes, on peut en limiter l’utilisation à un simple usage bureautique. Mais, il est le plus souvent exploité, grâce à des logiciels spécialisés, dans le sens d’une déconstruction et d’une reconstruction du travail des intervenants. Il les contraint à repérer et à identifier leurs phases de travail et à se discipliner dans l’établissement de règles de classement et de sélection des données, pour les rendre exploitables par la machine, ce qui les rend d’autant plus facilement communicables. La rigueur ainsi cultivée ne concerne pas que la façon de collecter et de traiter les faits, elle se concrétise aussi dans le choix et la formalisation des actes et des conduites d’accompagnement. L’ordinateur en vient même parfois à jouer un rôle de surmoi, instaurant une véritable triangulation, faisant sortir le professionnel d’une dualité toujours problématique avec l’usager. L’informatisation apparaît donc ici comme un support particulièrement adapté à une nouvelle culture de partage de l’information qui serait basée sur un langage commun, des codes partagés et une approche universelle. Reste à savoir, si face à l’efficacité ainsi gagnée, l’unicité et le particularisme de chaque situation n’y perdra pas en pertinence.

L’action des intervenants sociaux s’appuie en permanence sur des paradoxes : nécessité du partage de l’information, mais en même temps protection de la vie privée, nécessité de disposer d’informations, mais en même temps risque d’être submergé par elles, nécessité du partenariat, mais en même temps risque d’appauvrissement représenté par le regard unique issu du consensus. Finalement, cette approche est à l’image de la complexité de la réalité, complexité qu’il ne faudrait pas voir réduire aux seules entrées oui/non, 0/1 auxquelles réduit trop souvent l’informatique.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°573 ■ 19/04/2001

 

(1)    Les services sociaux à l’épreuve de l’informatique »  Gérard Chevalier, ESF, 2000, (145p) voir critique dans la rubrique LIRE du Lien Social n° 568

 

L’accès des familles au dossier d’assistance éducative

L’article 1187 du code de procédure civile ne permet aux familles d’avoir accès au dossier d’assistance éducative qui concerne leur enfant que par l’intermédiaire d’un avocat. Or, sur les 121.172 dossiers ouverts au titre de l’article 375, bien peu bénéficient de cette aide d’un conseil. L’équité de la décision de justice s’en trouve compromise. Le principe du contradictoire n’est pas respecté. La Cour européenne des droits de l’homme a jugé, le 24 février 1995, à l’unanimité, que la non-communication aussi essentiels que les rapports sociaux est « propre à affecter la capacité des parents participants d’influer sur l’issue de l’audience et entraîne une inégalité essentielle et un sérieux désavantage. » Pour mettre en conformité la législation française avec une orientation d’une instance qui lui est supérieure, la ministre de la justice a chargé Jean-Pierre Deschamps, Président du tribunal pour enfants de Marseille,  de conduire un groupe de travail pour réfléchir à une modification des procédures. Le rapport de cette instance rendue public le 19 mars dernier a préconisé toute une série de modifications qui ont tout de suite fait l’objet d’une procédure de rénovation par voie réglementaire qui deviendrait applicable en 2002. L’innovation essentielle consisterait à permettre aux enfants et à leur famille de consulter leurs dossiers, sous réserve que cette communication représente un danger pour le mineur. Un accompagnement de cette consultation assuré par un  professionnel pourrait être proposé par le juge.