FRANCAS - 2003 - Entre autoritarisme et laisser faire

Entre autoritarisme et laisser faire : pour une autorité respectueuse de l’individu

1- L’enfance : un âge à respecter

Les 10-12 ans
La classe d’âge des 10-12 ans appartient à une période de la vie du petit d’homme tout particulièrement négligée.
En effet, si les rayons des bibliothèques ploient sous le nombre de livres consacrés aux petits ou aux adolescents, les « moyens » font l’objet de bien peu d’études. Leur sérénité apparente en a fait le parent pauvre des recherches tant psychologiques que sociologiques.
Pourtant, cette étape de la vie constitue un moment essentiel dans l’acquisition des connaissances et des modalités de socialisation, ainsi que dans la formation de la personnalité.
 
La classification
Dans l’ancienne société, les âges étaient divisés en sept catégories correspondant aux sept planètes alors connues.
De nombreux auteurs contemporains ont tenté, eux aussi, de répondre à déterminer différentes étapes du processus de maturation qui mène l’homme de l’état de nourrisson à celui d’adulte. Ils ont tenté de repérer tel moment fort, telle période en apparence cruciale, telle phase charnière qui marquaient l’apparition et la maîtrise d’un comportement nouveau.
 Mais, ce découpage de l’être humain en stades est toujours un acte arbitraire.
Tout d’abord, parce que les acquisitions ne se font jamais d’une manière complète et définitive. Des régressions sont fréquentes.
Ensuite, parce qu’il y a parfois décalage entre les attitudes adoptés et les aptitudes réelles.
Encore, parce que chaque individu est unique et se développe le plus souvent à son propre rythme en refusant de se laisser si facilement enfermer dans une modélisation qui se voudrait universelle.
 
Relativiser les classifications.
Pour autant, on est sûr d’une chose, c’est que le petit d’homme semble aller de l’avant et partir d’une masse indifférenciée de sensations et d’excitations dans les premières semaines de sa vie pour atteindre à un certain moment la pleine maturité de ses capacités et finir par entrer de nombreuses années plus tard dans une période de décroissance progressive de ses facultés.
Ce que nous allons dire des 10 -12 ans, nous ne présentons pas ce qui doit se passer pour être normal, au risque de faire passer celle ou celui qui ne correspondrait pas aux critères exposés pour quelqu’un d’inadapté.
Non, nous allons décrire ce qui se déroule à partir de l’étude moyenne de cette population menée par des chercheurs et des spécialistes de l’enfance.
L’être humain possède bien heureusement, une richesse intérieure, une capacité d’adaptation et des potentialités fantastiques qui lui permettent d’innover et de s’épanouir en se moquant parfois bien des prédictions théoriques et des présentations abstraites.
 
La « période de latence » de Freud.
Ces quelques précautions prises, nous allons pouvoir nous appuyer sur les modèles élaborés par un certain nombre de théoriciens.
En tout bien, tout honneur, nous allons commencer par Sigmund Freud. On lui doit tout particulièrement la conviction que les 10 -12 ans vivraient encore dans une période paisible et sereine. Pour faire simple, on rappellera que le père de la psychanalyse a bâti sa théorie à partir de la manifestation et du mode d’expression du désir et du plaisir sexuels, ce qu’il appelle l’énergie libidinale.
Ainsi, les cinq premières années de l’existence de l’être humain sont l’occasion de diverses épreuves dont les modalités d’intégration ou non vont jouer un rôle dans l’assimilation de cette énergie libidinale dans la toute petite enfance que vont surgir les névroses et psychoses qui constituent les difficultés ultérieures de l’âge adulte.
Cette phase essentielle s’arrête, pour lui, à 5/6 ans.
La période qui suit et qui s’étend entre 7 et 12 ans est au contraire marquée par un endormissement relatif de l’énergie libidinale qui est compensée (sublimée) par des investissements en matière de socialisation, d’apprentissage et de curiosité intellectuelle : l’enfant intègre les interdits et adopte les comportements culturellement demandés. Il consacre l’essentiel de son énergie aux apprentissages scolaires et s’ouvre de plus en plus au monde.
Freud nomme cette époque de la vie de l’enfant la « période de latence ».
Les pulsions sexuelles sont engourdies, mais restent prêtes à se réveiller. Elles le feront avec  parfois beaucoup de violence à l’adolescence.
 
Le stade des « opérations concrètes » de Piaget.
Cette conviction d’une longue période consacrée à l’acquisition de la pleine capacité intellectuelle a été renforcée par les travaux d’un psychologue suisse qui a travaillé toute sa vie sur la façon dont la connaissance et le sens moral viennent à l’enfant : Jean Piaget.
Lui aussi, a découpé l’être humain en plusieurs stades et sous-stades.
Pour faire simple, là encore, on retiendra la distinction qu’il fait d’abord de ce qu’il nomme le stade sensori-moteur entre 0 et 2 ans au cours duquel, l’intelligence se développe à partir des activités motrices et sensitives du bébé.
Puis vient le stade des opérations concrètes qui privilégie les actions concrètes et matérielles et qui nous intéresse tout particulièrement, puisqu’il s’étend de 2 à 12 ans.
 Au-delà des 12 ans, s’ouvre le stade hypotético-déductif qui privilégie le maniement des hypothèses et des raisonnements détachés de la réalité concrète et immédiate et l’accès à l’abstraction.
Entre l’époque où l’enfant découvre le monde en le touchant, en le portant à sa bouche, en utilisant ses sens et celle où il va pouvoir tenir des raisonnements abstraits, on trouve la période des 10-12 ans.
Ainsi, par exemple, entre sept et douze ans, c’est progressivement que l’enfant acquière les notions de conservation de quantité, de poids et de volume.
Vers  sept ou huit ans, il réagit positivement à l’expérience de transvasement d’un liquide. Jusqu’alors, la même quantité d’eau qui était transvasée d’un récipient large (type verre à whisky) dans un récipient étroit (type flûte à champagne) lui donnait l’impression qu’il y en avait plus dans le second. Dorénavant, il comprend que c’est la même quantité.
Vers neuf-dix ans, il comprend que le poids d’une même masse de matière ne change pas selon la forme adoptée. La même portion de pâte à modeler, qu’elle soit roulée en boule ou aplatie en galette pèse le même poids, ça y est, il l’a compris.
Mais il faut attendre onze ou douze ans pour que l’enfant arrive à dissocier le poids du volume. C’est donc à la fin de cette période de l’enfance, que la fameuse devinette pourra être élucidée : « qu’est-ce qui pèse le plus lourd, un kilo de plumes ou un kilo de plomb ? » Jusque là, la densité supérieure de l’un par rapport à l’autre fera fréquemment se tromper l’enfant.
 
La vision du monde des 7-12 ans
Jusqu’à six sept ans, l’enfant est très marqué par une conception réaliste du monde. Il n’a pas accès à l’abstraction. C’est petit à petit, en grandissant, qu’il va admettre que le monde ne se limite pas à ce qui est perceptible directement par les organes de ses sens.
Progressivement, il va aussi renoncer à l’animisme qui jusqu’alors lui faisait attribuer une conscience aux objets : « s’il pleut, c’est que les nuages font pipi » affirmait-il avec grand sérieux quand il était plus petit.
Il ne va pas se mettre à modifier son rapport au monde brutalement.
L’enfant a cru jusqu’alors à des liens systématiques entre des événements contigus qui le concernaient de près. Par exemple, il se mettait très en colère peu de temps avant qu’un orage gronde et se pensait responsable du fracas du tonnerre.
C’est le mécanisme de la transduction qu’on retrouve à l’œuvre, parce exemple dans les situations de divorce parental, au cours desquelles, l’enfant se croit parfois responsable de la séparation « parce que j’ai été méchant ».
Là aussi, cette vision s’estompe et il lui apparaît que le rapprochement de deux phénomènes proches dans le temps ne sont pas forcément reliés ni dans leur cause, ni dans leur nature.
Subsiste néanmoins une conception finaliste qui tente de trouver un sens et une raison d’être à toute chose. Tout phénomène doit pour lui trouver une explication, d’où sa grande curiosité à tenter d’en percer le secret.
 
Les enfants sont-ils trop rêveurs ?
S’il est fréquent de parler de la septième année, comme étant l’âge de raison, l’enfant a néanmoins du temps devant lui avant d’acquérir la pleine capacité d’appréhension de la réalité.
C’est là une évolution logique qui ne peut être précipitée. Dans notre monde tourné vers la compétitivité et l’efficacité, il semble ne plus il y avoir de place pour la rêverie, considérée comme contre productive et inutile.
C’est, pourtant, là un élément essentiel de la construction de la personnalité de l’enfant.
Celui-ci est, en effet, animé de pulsions et de forces intérieures qu’il va devoir apprendre à contrôler s’il veut non seulement être admis dans la société, mais aussi accéder au monde adulte.
Ce dont il s’agit, c’est donc bien d’une maîtrise de soi : dominer ses tendances agressives et égoïstes constitue un long cheminement.
L’imaginaire est là pour établir un pont entre les fantasmes par définitions sans frontière et une réalité qui impose des limites. Il permet à l’enfant d’apprendre à reconnaître sa vie interne et à maîtriser le monde externe.
C’est par l’imaginaire que l’enfant se représente les situations auxquels il est confronté, avant de l’être effectivement.
Un enfant que l’on surprend dans la rêverie n’est pas un sujet qui perd son temps mais qui se construit.
Le jeu intervient tout particulièrement comme support de projection et de socialisation de l’enfant. Il permet de contrôler son agressivité, de se confronter à autrui et constitue un moyen pratique de compromis entre son désir et la réalité.
 
 
Tout ce développement est là pour rappeler ce qui au premier abord peut sembler une évidence mais qui mérite d’être rappelé : on ne peut considérer sur un pied d’égalité un sujet psychiquement construit (l’adulte) et un autre sujet qui ne l’est pas (l’enfant).
 
 

2- La crise de l’autorité

Une autorité en crise 
L’autorité de l’adulte a-t-elle encore une quelconque légitimité ?
A-t-il encore le droit de punir l’enfant, sans tomber sous l’accusation de maltraitance ?
 Le bouleversement des valeurs qu’a connu notre société ces dernières décennies sème le doute et l’incertitude.
Les notions d’ordre et de discipline qui étaient tombées en désuétude reprennent de la vigueur.
A entendre nombre de commentateurs contemporains, l’origine de la plupart des maux que connaît notre société serait à rechercher du côté de cette crise de l’autorité et du laxisme qui minent les relations sociales, au premier rang desquelles on trouve les rapports entre les adultes et les enfants.
 
La contestation de l’autoritarisme.
« Il est interdit d’interdire » proclamait un célèbre slogan de Mai 1968. Le mouvement de fond qui a permis, depuis une trentaine d’années, à notre société de connaître une formidable libération de ses modes de vie semble être aujourd’hui chargé de tous les défauts.
Pour comprendre ce qui se passe, peut-être faut-il arrêter de se focaliser sur cette petite portion de temps et prendre un peu plus de recul.  « Lorsque les pères s’habituent à laisser faire les enfants, lorsque les fils ne tiennent plus compte de leurs paroles, lorsque les maîtres tremblent devant leurs élèves et préfèrent les flatter, lorsque finalement les jeunes méprisent les lois parce qu’ils ne se reconnaissent plus au-dessus d’eux l’autorité de rien et de personne, alors, c’est là en toute beauté et en toute jeunesse le début de la tyrannie. »
Cette citation très connue aurait pu trouver une place de choix dans les récentes campagnes électorales, tant elle semble d’actualité. Elle offre, en effet, une perspective fort saisissante d’une question centrale de notre époque : la remise en cause par la jeunesse de l’autorité des parents, de celle des enseignants ainsi que de la société au travers de ses lois.
Cette citation a pour auteur Platon, philosophe mort en 348 avant Jésus Christ.
Cela prouve que ce qui pourrait au premier abord apparaître comme une question essentiellement contemporaine a semble-t-il existé de tous temps.
Ce n’est donc pas d’aujourd’hui que se pose la crise de l’autorité.
La mythologie biblique raconte comment le premier couple humain aurait défié l’autorité de Dieu, subissant du fait de sa désobéissance un terrible châtiment (Adam et Eve auraient été bannis du paradis après qu’ils aient transgressé l’interdiction de croquer la pomme de la connaissance).
Sigmund Freud, auteur laïque et athée, présentait quant à lui, la révolte contre le père comme fondatrice du début de l’humanité (dans la horde primitive, les enfants auraient tué leur géniteur).
 
Définition de l’autorité.
Dans un livre récent, Gérard Mendel a fort bien posé cette notion dans sa dynamique historique.
Cherchant tout d’abord à la définir, il souligne son sens polysémique : les signifiés et référents qui y ont été attachés, au cours des siècles, sont en effet, nombreux.
On a évoqué tour à tour la compétence, le savoir-faire, l’expérience, la force de caractère, la capacité à inspirer le respect et l’admiration, le prestige etc...
 Un consensus, toutefois, a pu s’établir autour de la définition suivante : l’autorité serait cette possibilité d’obtenir une obéissance volontaire sans pour cela que ne soient nécessaires ni la contrainte physique, ni l’arme de la conviction.
Cela exclut  donc toute menace, toute pression provoquant une crainte.
L’emprise, l’aura, l’influence, le charisme exercés sur l’autre qu’induisent l’autorité, doivent exister en tant que tel et s’imposer naturellement sans autre artifice.
Mais pour que cela fonctionne, il ne faut pas plus d’argumentation Toute approche basée sur une relation d’égalité exclurait une  autorité qui ne se conçoit que comme un ascendant qui n’a rien de réciproque : le respect dû à son titulaire, la soumission à ses exigences en sont les conditions.
On s’inscrit ici délibérément dans le registre de la dissymétrie.
Longtemps, l’éducation de l’enfant s’est faite dans une dynamique de domination de la communauté dont rend bien compte le modèle familial en vigueur en Inde.
Au cours de ses quatre premières années, le petit d’homme y vit, en effet, dans une relation fusionnelle avec sa mère, partageant constamment son intimité physique et accédant tardivement au sevrage. Puis, à quatre ans, il est brutalement plongé dans un monde masculin où disparaissent la protection et le maternage dont il a profité jusque là.
C’est justement ce surinvestissement accumulé qui va provoquer sa sujétion intense à l’autorité d’une communauté qui, toute sa vie, lui apparaîtra la matrice de son identité et la condition de sa simple survie. 
Le sujet adulte est d’autant plus soumis à l’autorité de sa communauté qu’il s’est trouvé brutalement isolé, séparé d’elle aux moments cruciaux de son enfance. 
L’autorité est préservée tant que l’individu s’astreint au mode de fonctionnement du groupe.
 Elle entre en crise dès lors que le sujet se met à émerger de la gangue communautaire.
 
Une remise en cause ancienne.
Si la sujétion constitue bien son axe principal, l’espace démocratique ne pourrait donc être qu’un facteur de sa fragilisation.
Et pour Gérard Mendel, cela ne date pas d’hier.
Cela a, en fait, commencé cinq siècles avant JC, quand Socrate a revendiqué pour l’individu le droit au libre examen critique de tous les aspects de sa vie et de la société, préconisant le progrès moral par l’exercice de la raison et non plus seulement par l’obéissance à la tradition. Il sera condamné à mort, pour avoir essayé de pervertir la jeunesse, d’affaiblir la communauté, de ruiner l’autorité et de détruire la famille.
 Cela a continué par l’instauration de la République romaine qui, trois siècles durant, a institutionnalisé le jeu et l’expression entre les différentes forces de la société : il n’y avait plus une seule et unique voix, celle du patriarche ou du souverain, mais de multiples intérêts qui pouvaient s’exprimer contradictoirement.
C’est ensuite saint Augustin (354-430) qui introduisit l’idée d’un rapport conflictuel intérieur à l’individu, celui-ci devant faire face au démon qui l’habite. L’autorité qui s’imposait jusqu’alors de l’extérieur (la communauté) apparaissait dorénavant comme surgissant du plus profond du sujet. L’émergence de l’individu au cœur de la théologie s’explique historiquement par les bouleversements que connaît alors un empire romain menacé par les barbares. La communauté devenue incapable d’empêcher la destruction qui menace perd de sa toute puissance. D’où la conviction d’un combat à mener au sein de chaque individu.
Dernier coup de boutoir, la philosophie des lumières qui remet en cause l’idée de valeurs éternelles longtemps considérées comme le fondement de l’autorité. Les concepts qui sont alors mis en avant, ce sont la vérification par la confrontation avec la réalité ou encore l’utilisation des sens. On retrouve là les prémisses de notre modernité : justifier, prouver, démontrer etc... toutes choses qui sonnent le glas d’une autorité s’appuyant jusqu’alors sur le pouvoir, la légitimité et la force d’une communauté qui s’imposait par elle-même.
Thomas Hobbes (1588-1679) suit, en remettant en cause une autorité paternelle à laquelle il dénie toute apparence de naturel.
Puis vient John Locke (1632-1704), qui ne reconnaît aux parents le pouvoir de décider à la place de leur enfant que pour lui permettre de devenir un être libre.
 Enfin, Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) revendiquera la nécessité de respecter l’enfant, en le traitant  comme une fin en soi, et non pas comme un simple instrument au service du devenir homme.
L’ensemble de ces conceptions ont miné le mode de fonctionnement traditionnel qui soumettait passivement l’individu aux décisions de son groupe d’appartenance.
Dans l’ancienne société, l’éducation consistait surtout en une initiation devant permettre à chacun de trouver sa place dans un ordre conçu comme éternel, dans un cadre immuable. Rien ne devait bouger dans une répartition des rôles et des fonctions considérés comme figés. Le monde moderne a commencé à émerger dès lors que se sont affirmées l’individualité et la capacité de chacun à déterminer sa propre trajectoire.
 
Le processus de délitement de l’autorité traditionnelle s’est avéré progressif et très lent, et n’est pas encore achevé : petit à petit, la prégnance du groupe s’est estompée pour faire place au sujet.
 
 

3- Vers une synthèse de l’ancien et du moderne

L’enfant d’aujourd’hui.
Aujourd’hui, l’enfant est considéré très tôt comme membre de la communauté bénéficiant d’une place d’égalité, mais encore inapte à en utiliser toutes les attributions.
Ce n’est plus l’être inférieur, le sous-adulte qu’il fallait à tout prix faire grandir le plus vite possible ou encore ce sujet qu’on considéra longtemps comme incapable d’avoir son propre point de vue. Il est largement admis aujourd’hui qu’il lui faut vivre son âge d’enfant, qu’on doit lui demander son avis en fonction de son degré de maturité et qu’il doit prendre une part toujours grandissante dans l’organisation de sa vie et de son avenir.
Les méthodes éducatives traditionnelles basées sur l’obéissance et la soumission ont été remplacées par la logique contractuelle et libérale qui valorise la négociation, le dialogue, la recherche d’adhésion, la non imposition. La démocratie familiale a remplacé l’autoritarisme paternel.
 C’est là un progrès essentiel à condition de se rappeler qu’accepter qu’on n’aura jamais tout est essentiel pour l’éducation de l’enfant. Lui  permettre d’expérimenter le manque, le vide et la frustration, c’est les préparer à affronter ces dures réalités, sans s’effondrer.
A force de ne plus vouloir le contrarier, on risque de le condamner à ne plus pouvoir trouver les ressources nécessaires en lui, pour y faire face.
 
Quelle alternative ?
Entre l’autoritarisme qui relevait plus du dressage des animaux dont on attend qu’ils se soumettent à leur maître, et qui mène au conformisme, au ressentiment et au désir de vengeance et la permissivité qui, si elle a élargi le champ d’exploration de l’enfant et développé ses capacités de prise d’initiative, l’a aussi transformé en enfant roi, en difficulté pour gérer ses frustrations, et prendre en compte l’autre, y a-t-il place pour une troisième voie ?
On peut néanmoins sortir de cette alternative en développant le modèle de l’autorité éducative qui vise à former des citoyens aptes à comprendre comment eux-mêmes et les autres fonctionnent et à agir en être libre et responsable.
 On doit commencer par apprendre à se connaître. C’est par exemple, identifier ses perceptions  ou savoir reconnaître son état intérieur (écouter ses émotions et de l’aider à les nommer (ce qui ne signifie pas les approuver ou les encourager).
Deuxième axe sur lequel travailler : apprendre à respecter autrui. Se joue là la responsabilité de l’adulte qui se doit de proposer un cadre adapté, de fixer des règles qui soient explicites et hiérarchisées. Il doit aussi les faire respecter en appliquant au besoin des sanctions qui visent non le transgresseur mais l’acte commis.
 Enfin, troisième axe : apprendre à coopérer. Il est plus fréquent de valoriser la compétition et l’excellence individuelle. Pour autant, tout un champ s’ouvre à l’éducateur pour inciter et favoriser cette coopération, que ce soit dans la gestion des conflits (la médiation propose alors une solution gagnant/gagnant), dans les jeux (certains d’entre eux se basent sur la capacité à s’entraider), dans l’apprentissage (pédagogie de l’échange des savoirs)  ou la prise de décision.
 
Vers une autorité respectueuse de l’individu.
Au terme de notre cheminement, il apparaît donc que l’autorité ancienne fondée sur la soumission de l’enfant et du jeune à la communauté adulte est en pleine faillite.
Ce qui s’est installé au cours des deux derniers siècles, c’est une nouvelle acception faisant largement la place à l’individu tout en l’invitant à accepter un contrat qui le lie à son groupe d’appartenance.
On sort de la fausse alternative entre autoritarisme et laisser-faire, pour entrer dans une logique de responsabilisation du sujet qui accepte d’une manière éclairée la relation de dépendance à l’égard d’un tiers qui peut lui apporter quelque chose.
Pour autant, cette version moderne de l’autorité est bien loin de s’être généralisée. Il faudra du temps pour la voir progresser.
S’opposent encore une revendication peu crédible de régression vers un modèle autoritariste dépassé et un individualisme effréné qui touche à l’égoïsme et au mépris de l’autre.
Reste ce troisième terme que nous avons présenté.
 
Les éducateurs que sont les parents, les enseignants et les animateurs ont la responsabilité de choisir dans quelle voie orienter les générations qui feront le monde de demain.
 
Jacques Trémintin - Février 2003