Pelhouailles les Vignes 2003

Questions d’enfance et d’adolescence & réponses d’adultes

1- Une enfance sans fin

De toutes les espèces animales, l’être humain est peut-être celle qui met le plus de temps à parvenir à maturité.

Quand on voit le poulain se dresser sur ses pattes quelques minutes à peine après sa naissance et se mettre à trottiner, maladroitement d'abord, puis de plus en plus assuré, on mesure la fragilité du petit d'homme.

Paradoxalement, cette faiblesse constitue l’une des forces essentielles de l'espèce humaine. En effet, plus longue sera la maturation, plus grande sera la capacité d'assimilation et d'approfondissement de l'intelligence du petit humain. Moins il a au départ, plus il va acquérir tout au long de son éducation.

Quand on sait que la masse du cerveau à la naissance représente le quart de ses dimensions adultes, on mesure l'importance du rôle de la culture dans l'édification de l'être humain.

Quelle durée va prendre cette longue maturation vers le stade adulte ?

Et à quel moment se termine l'enfance ?

Le schéma des différents âges de l’homme n’a rien d’universel, loin s'en faut !

La première réponse possible est d'ordre physiologique : c'est la puberté. Lorsque l'individu devient capable de se reproduire, de procréer (et donc apparition chez la fille des menstruations, chez le garçon des premières émissions de sperme) on pourrait considérer que l'individu est entré à l’âge adulte.

De fait, de nombreuses civilisations ont établi une correspondance entre puberté et accès au rôle d'Homme (au sens générique du terme). Mais cela n’est pas si simple. Prenons l’exemple de la jeune-fille. Est-elle pubère à l’apparition de la pilosité pubienne ou bien aux premières règles, au développement des seins (parfois 2 à 3 ans avant les premières règles) ou au début de l’ovulation (parfois plusieurs années après le commencement des menstruations) ?                   

Dans les civilisations dites « primitives », l’adolescence n’existe pas en tant que catégorie à part. On distingue simplement les « initiés » des « non-initiés », et ceux qui vivent l’initiation qui permet le passage d’un monde asexué à l’agrégation à un monde sexué.

Rappelons pour mémoire ces cérémonies, véritables rites de passage et d'initiation où symboliquement l'enfant doit mourir pour faire place à l’adulte dans ce qui peut être interprété comme une "seconde" naissance.    

Dans l’antiquité, notamment chez les latins, l ’« adulescens », désigne les 17-30 ans (mais uniquement les garçons, au même âge les filles sont déjà des « épouses » !).Les romains faisaient terminer la juventus à 50 ans ! Un tel découpage ne peut être compris si on ne le relie pas à la « puissance paternelle », ce droit de vie et de mort qu’exerçait le père sur ses enfants durant toute sa vie. Prolonger artificiellement la jeunesse permettait alors de placer l’enfant –y compris devenu adulte- dans une position subalterne. Au XVIème siècle, la société juive situe l’âge des responsabilités non selon une longue tradition, mais en fonction des besoins du moment. Ainsi, entre l’âge de10 ans –considéré comme étant la fin de l’enfance- et de 30 ans –perçu alors comme la pleine maturité- s’étend une longue période de transition qui n’est raccourci que par l’institution matrimoniale.

Dans notre propre civilisation occidentale, on a assisté au cours des 5 derniers siècles à des variations non négligeables de la notion d'enfance.

La société médiévale fait entrer l'enfant dans l'âge de raison, lorsqu'il n'a plus besoin des sollicitudes de sa mère, soit vers 7 ans.

Il faut attendre le XVIII ème siècle pour trouver avec Jean‑Jacques Rousseau les lettres de noblesse de l'enfance enfin décrite comme une période de vie à part entière.  L'adolescence, elle, ne fait son apparition qu'au début du XXèmesiècle. L’émergence de cette nouvelle classe d’âge correspond sans doute aussi à l’explosion démographique que connaît cette époque. Dans la deuxième moitié du XVIIIème siècle la population française ne dépasse pas vingt millions d’âmes (soit le même nombre qu’en 1350 !). Il faut dire que l’espérance de vie atteint alors 28 ans (la moitié des enfants mourant avant 10 ans). Puis la mortalité se met à reculer, l’espérance de vie à croître: si les moins de 19 ans représentaient 42 % de la population en  1740, ils  ne sont plus que 38% en 1850, 33% en 1911 et 29,8% en 1948.

Autre facteur d’assise de l’adolescence: la scolarisation qui va devenir au fil des temps massive. En 1900, c'est moins de 2% d'une classe d'âge qui passe le BAC, la presque totalité de la population entrait alors dans le monde du travail à 13‑14 ans (ce qui était un progrès gigantesque alors par rapport au travail massif des enfants au siècle précédent).

Le prolongement des études et le chômage massif des jeunes au cours des 20 dernières années ont provoqué l'émergence d'une nouvelle classe d'âge: les "jeunes adultes" entre 18 et 25 ans. 25% de cette catégorie vivent encore chez leurs parents. Des institutions ont été créées spécialement pour eux: Missions Locales, P.A.I.O. ... Quant au RMI, ils n'y ont pas droit (sauf s'ils sont déjà parents).

 

On assiste donc bien ici à un accroissement spectaculaire de la période transitoire de l'enfance et singulièrement la phase de l'adolescence. L'accès à un travail, à une autonomie financière et à la fondation d'un couple et d'une famille a été retardé de 5 à 6 ans en l'espace d'une génération.

 

2- Des droits de plus en plus tôt

Si l'âge adulte semble avoir reculé, dans le même temps, le statut à la fois juridique et sociologique de la minorité subissait un processus inverse de rajeunissement. Il y a en fait irruption de plus en plus jeune de l'individu en tant que citoyen.

Dans l'antiquité, la toute‑puissance paternelle donne droit de vie et de mort sur ses enfants pendant toute sa vie. A partir du Vème siècle, le droit de "correction paternelle" se limite à la possibilité de faire enfermer ses enfants et ce jusqu'à leur 30‑35 ans (ce pouvoir, relativisé par l’obligation de saisir au préalable de président du tribunal de grande instance  restera en vigueur jusqu’en… 1935 !).

C'est la révolution de 1789 qui va mettre un terme à la tyrannie paternelle en introduisant la notion de minorité et de majorité. Cette dernière est d'abord fixée à 25 ans. Elle est ramenée à 21 ans en 1806 et à 18 ans en 1974.

Depuis une dizaine d'années, s'est développé à travers la France le mouvement des Conseils Municipaux d'Enfants.

En 1989, l'ONU a adopté la Convention Internationale des Droits de l'Enfant qui entend protéger les droits et intérêts d'une classe d’âge. Des avocats d'enfants se spécialisent dans la défense du public enfantin. Des procès célèbres (aux USA) officialisent des procédures de divorce entre parents et enfants.

Encore, pour paraphraser une célèbre émission télé du début des années 80, on considère aujourd'hui qu’au-delà d'un simple tube digestif, le "bébé est une personne".

Certains psychologues revendiquent la levée de l'anonymat lors de dons de sperme ou d'ovocyte lors des fécondations médicalement assistées au nom du droit de l'embryon à la filiation.

On se trouve donc à la croisée de deux mouvements qui pour apparaître contradictoires n'en sont pas moins concomitants. Il faut de plus en plus d’années pour qu'un individu accède officiellement au statut adulte. Mais l'être humain est perçu de plus en plus tôt comme possédant des droits à part entière et nécessitant une prise en compte particulière.

 

3- Les caractéristiques liées à l’enfance

L’un des défauts les plus courants chez les adultes, c’est bien de plaquer sur l’enfant et l’adolescent la grille d’interprétation qu’il s’applique à eux-mêmes. Bien comprendre les mécanismes spécifiques du petit d’homme permet de mieux décrypter son fonctionnement et donc de lui apporter les réponses adéquates.

La séparation

La séparation fait partie de la logique de l’enfance : elle constitue un élément fondamentalement organisateur du développement et de l’autonomisation de l’individu. Crèche, école, changement de classe, centre aéré etc … l’enfant connaît au cours de sa vie de nombreux moments de départ et d’arrivée qui lui permettent de rencontrer des figures référentes à chaque fois différentes (copains, adultes, lieux familiers). Ce sont des épreuves qui peuvent être vécues d’une manière à la fois douloureuse, mais aussi de façon maturante. Chaque rencontre est l’occasion pour l’enfant de rejouer la socialisation qui passe par sa reconnaissance par l’autre comme sujet singulier mais aussi par l’acceptation de l’autre.  Cette multiplication d’occasions qui l’amènent à rentrer en relation avec diverses personnes l’habitue à devenir disponible à un nouveau contexte et à travailler à faire sa place. Ce sont toutes les manifestations de cet aller-retour entre soi et l’autre que l’on peut vivre en contact avec les enfants. Il faut savoir reconnaître la difficulté à se séparer, travailler tout particulièrement l’accueil et accompagner les difficultés à assumer cette situation.

 

Une socialisation en construction

Dès que l’émergence de l’individu se manifeste, les conflits et les heurts jouent un rôle majeur dans une socialisation qui prend alors la forme d’une agressivité structurante : c’est contre l’autre que l’enfant se construit. Tout adulte est perçu comme parent protecteur dont il s’agit d’attirer l’attention, au besoin en rivalité avec ses pairs.
La coopération qui va progressivement s’établir se heurte toutefois à un certain nombre de particularités qui sont inhérentes à l’enfance et qu’il s’agit de prendre en compte comme des étapes à dépasser pour le sujet :
■      l’égocentrisme : impossibilité de se mettre à la place de l’autre,
■      l’hétéronomie : les règles sont acceptées non parce qu’elles sont comprises, mais parce qu’elles viennent de l’adulte ;
■      instabilité du caractère : tendance à l’impulsivité et à l’emportement, les pulsions dominant l’enfant.
 

L’importance de l’imaginaire et du rêve

L’enfant est animé de pulsions et de forces intérieures qu’il va devoir apprendre à contrôler s’il veut non seulement être admis dans la société, mais aussi accéder au monde adulte. Ce dont il s’agit, c’est donc bien d’une maîtrise de soi : dominer ses tendances agressives et égoïstes constitue un long cheminement. L’imaginaire est là pour établir un pont entre les fantasmes par définitions sans frontière et une réalité qui impose des limites. Il permet à l’enfant d’apprendre à reconnaître sa vie interne et à maîtriser le monde externe. C’est par l’imaginaire que le bébé compense l’angoisse qui l’assaille au moment où sa mère disparaît de son champ de vision. C’est par l’imaginaire que l’enfant se représente les situations auxquels il est confronté, avant de l’être effectivement. D’où l’importance de favoriser le récit, le jeu, le rêve qui sont des moments finalement de travail intense. Un enfant que l’on surprend dans la rêverie n’est pas un individu qui perd son temps mais qui se construit.

L’enfant est un être en pleine évolution. Il faut l’aider à dépasser ses limites tout en en tenant compte pour ne pas lui fixer des objectifs hors d’atteinte.

 

4- Entre sécurité et aventure

Le chemin qui mène à la pleine maturité est long et parsemé d’embûches. S’il est pertinent et nécessaire d’écouter l’enfant, de stimuler ses potentialités et de l’associer le plus possible à son éducation, il revient à l’adulte la responsabilité de le conduire dans une double dynamique d’autonomisation et de construction de bases affectives solides et sécurisantes.

Le petit d’homme est animé en permanence par deux forces contradictoires : celle qui le pousse à rechercher sécurité et protection auprès de celles et de ceux qui s’occupent de lui. Et d’autre part, celle qui l’entraîne à aller affronter le vaste monde. Il n’y peut rien : une curiosité intense l’incite à aller explorer les horizons les plus éloignés. Selon que l’enfant a été encouragé ou pas à quitter le giron parental pour rencontrer l’autre, valorisé dans ses expériences de l’inconnu, validé dans ses découvertes du nouveau, il deviendra un adulte curieux, ouvert et tolérant.

D’où la nécessité pour les parents et les éducateurs d’adopter deux attitudes contiguës  :
■      une continuité suffisante de soins et d’affection qui apporte à l’enfante et au jeune la sécurité et  la constance nécessaire à sa croissance psychique.
■      Une discontinuité suffisante permettant au petit d’homme d’avoir recours aux stratégies lui permettant de préserver la source de satisfaction. C’est là que  se situe l’aire transitionnelle (objets transitionnels, jeu, culture, triangulation…)

Si  la première étape est présente mais pas la seconde, il y a alors risque de pathologie symbiotique : collé à l’adulte, l’enfant est en difficulté pour prendre son autonomie.

Si la seconde est présente, mais pas la première, alors on retrouve une pathologie de type carentiel : l’enfant ne bénéficie pas de la sécurité nécessaire pour s’autoriser à se confronter au monde dans de bonnes conditions.

Je vous propose de résumer ces orientations un peu théoriques en trois attitudes de base.

Première attitude : une affection inconditionnelle. Pour vivre et grandir dans de bonnes conditions, un enfant a besoin de nourriture. Mais cela n’est pas suffisant : rien ne peut remplacer l’affection que sa famille lui porte. « Quoi qu’il se passe, tu es mon enfant et je t’aimerai toujours », voilà ce qu’un enfant a besoin d’entendre. C’est à partir de cette assurance, que l’enfant va oser s’aventurer en terrain miné et ce en pleine sérénité. Etant sûr de ses bases arrières, il peut d’autant plus se permettre d’aller voir de l’autre côté du miroir.

Deuxième attitude indispensable, c’est la confiance qu’on va lui accorder. Il doit recevoir un message sans ambiguïté : « je sais que tu y arriveras. Si tu trébuches, je serai là pour t’aider à te relever. Si tu n’y arrives pas cette fois-ci, ce sera pour la prochaine fois. » Faire confiance ne signifie fermer les yeux et se leurrer, mais intégrer le droit à l’échec, le droit à l’erreur. Comment fait-on pour apprendre au petit enfant à marcher ? Lui retire-t-on ses encouragements au prétexte que cela fait dix fois qu’il chute ? Non, on le rassure et le stimule pour l’amener à progresser. Tout autre attitude risquerait de le bloquer.

Troisième attitude essentielle : développer chez l’enfant une bonne estime de soi : établir un contact valorisant avec l’autre est essentiel quand on veut trouver sa place au sein de la société. Est-on digne d’être aimé ? A-t-on quelque valeur qui justifie qu’on s’intéresse à vous ? Combien de conduites d’échec d’enfants et d’adolescents (et d’adultes) ne sont pas dues à une image négative de soi ? Quand celles et ceux qui vous entourent ne vous renvoient que du négatif, on est porté à ne faire que du négatif.

Affection inconditionnelle, confiance et image positive sont donc trois attitudes essentielles que nous nous devons d’avoir si nous voulons doter l’enfant de l’équipement lui permettant d’ affronter l’âge adulte dans les meilleures conditions.

           

 

5- L’adolescence : les années métamorphoses

Les difficultés de l’adolescence constituent un thème récurrent pour nos sociétés. La question ainsi posée est loin d’être récente.

Rappelez-vous : « Lorsque les pères s’habituent à laisser faire les enfants, lorsque les fils ne tiennent plus compte de leurs paroles, lorsque les maîtres tremblent devant leurs élèves et préfèrent les flatter, lorsque finalement les jeunes méprisent les lois parce qu’ils ne reconnaissent plus au-dessus d’eux l’autorité de rien ni de personne, alors c’est là, en toute beauté et en toute jeunesse, le début de le tyrannie ». N’est-ce pas là un magnifique tableau de notre jeunesse contemporaine que rien ne semble pouvoir arrêter dans son manque de respect et son absence de valeurs ? C’est effectivement ce qu’en pensait Platon au IV ème siècle avant Jésus Christ  auteur de cette citation !

Mais le phénomène qu’il décrit ne date pas de son époque : « Notre monde a atteint un stade critique. Les enfants n’écoutent plus leurs parents. La fin du monde ne peut pas être très loin » se lamente un prêtre égyptien 2000 ans environ avant JC.

En fait aussi vieux que remonte la mémoire humaine, le discours est le même : « Cette jeunesse est pourrie jusqu’au fond du cœur. Les jeunes gens sont malfaisants et paresseux. Ils ne seront jamais comme les jeunes d’autrefois » peut-on lire sur une poterie d’argile babylonienne datant de plus de 3.000 ans !

En fait, depuis des milliers d’années, tout se passe comme si la jeunesse devait poser des problèmes aux aînés et les plus anciens se plaindre des plus jeunes.  La difficulté ne viendrait-elle pas plutôt du côté de l’adulte qui, à peine passé la période de l’adolescence, s’empresse d’oublier bien vite ce qu’il ressentait quelques années auparavant et se met à son tour à fustiger ses cadets ? Il est vrai que ceux qui ont atteint l’âge d’homme se sentent poussés par leurs successeurs et peuvent en ressentir comme une menace.

Que se passe-t-il exactement à cette période de la vie ?

Après s'en être remis pendant plus de 12 ans aux règles parentales qui lui ont apporté sécurité et équilibre, le jeune va essayer de se constituer son code de conduite personnel qui lui permettra d'affronter le vaste monde et de faire des choix sans s'en remettre à l'adulte. J’ai coutume de dire qu’un enfant ne pose pas de question (du moins s’il les pose, ce n’est pas de la même façon que le jeune) et qu’un adulte a trouvé ses réponses (du moins ce qu’il croit être tel). L’adolescent quant à lui  pose des questions mais ne se contente pas des réponses qu’on lui donne. C’est ce qui fait de cette classe d’âge un moment de la vie passionnant fait de remise en cause et de curiosité insatiable. Cela s’apparente à une véritable quête au cours de laquelle tous les dangers menace potentiellement le jeune puisqu’il sort de l’abri familial pour se confronter à l’univers extérieur. Pour ce faire, il va chercher un certain nombre de réalités : des limites d'abord, des modèles d'identification ensuite, des expériences initiatiques encore, des responsabilités enfin.

L’adolescence est le règne de l’entre-deux : ni plus tout à fait enfant, ni encore adulte et pourtant encore enfant et déjà adulte. D’où une ambivalence qui place l’adulte en situation d’insécurité.

 

6- Donner des réponses à la quête de l’adolescent

Les adultes ont parfois du mal à trouver la bonne attitude face aux comportements des adolescents. Ils peuvent avoir à juste raison la conviction que quelle que soit la réponse apportée, celle-ci ne pourra sembler tomber à côté.

Les limites

Jusqu'où peut‑il aller ? C'est la question que se pose l'ado. Pour y répondre, il va expérimenter et être très attiré par la transgression des interdits.

Une telle réaction est tout à fait normale. Pour autant l'adulte ne peut se contenter d'en sourire ou de punir très durement. Le laxisme et la rigidité aboutissent à la même insécurisation et insatisfaction (quoique sous des formes différentes). Il est nécessaire d'imposer un cadre structurant : face à un passage à l’acte, l’adulte doit intervenir non en le stigmatisant comme une manifestation "pathologique" mais comme réponse à la transgression d'une règle et comme pose d'une limite. Si l'adulte ne réagissait pas, non seulement, les jeunes recommenceraient, mais iraient sans doute un peu plus loin.

La réponse doit être faite à la fois de compréhension et tolérance au symptôme de la crise d'adolescence et à la fois de rappel à la règle et à la loi grâce à une délimitation des repères.

L'adulte doit permettre l'accompagnement dans l'apprentissage de la marge de manœuvre : ce qui est possible de faire et ce qui ne l'est pas, ce qui est négociable et ce qui ne l'est pas face à une réalité qui s'impose quelque soit le désir de chacun.

La relation à la règle doit être claire. Cela permet d'éviter que le groupe de jeunes élabore son propre mode de fonctionnement, ce qui dans bien des cas laisse émerger un rapport au droit basé sur la loi du plus fort (cf. les bandes). Pour confirmer cette orientation, il est tout aussi important que la règle soit là aussi pour limiter l'arbitraire de l'adulte. En ce sens la règle marque les devoirs, mais aussi les DROITS de chacun.

                       

Les modèles d'identification

L'enfant depuis sa naissance a été en adoration devant ses parents qu'il a cherché à imiter. Il a été soumis à leur autorité et place sous leur protection.

Il est à présent dans une phase de séparation. Pour que ce processus d'individuation s'accomplisse, il doit au préalable "tuer" (symboliquement) le modèle auquel il s'est identifié jusqu'alors, afin de pouvoir exister en tant qu'individu séparé

C'est contre ces modèles qu'il va s'édifier pour affirmer sa propre personnalité (tout en gardant intacte et toute aussi intense, même si le jeune ne le manifeste pas de la même façon qu'avant l'amour qu'il porte à ses parents).

Le jeune va alors chercher d'autres modèles d'identification susceptibles de l'aider a se construire.

C'est l'époque des idoles, des modes vestimentaires, des goûts musicaux qui peuvent être tout (le plus souvent) sauf identiques à ceux et celles des parents.

L'appartenance à une "tribu», les signes de reconnaissance montrant les mêmes références sont alors des manifestations importantes et significatives: la bande de copains, la mode dans laquelle on s'inscrit comble le vide laissé par le rejet des parents.

Tout en rappelant au jeune le principe de réalité, l'adulte n'a pas à s'inquiéter outre mesure de telles manifestations. Il est au contraire très sain de multiplier les modèles d'identification autour du jeune. Il en va de même pour` les regroupements autour d'activité qui ne se font pas tant en fonction de la nature des activités proposées que des affinités avec celles qui envisagent de s'engager dans cette activité.

                                  

Expériences initiatiques

S'affirmer comme adulte en devenir, c'est se prouver à soi même comme aux autres qu'on n'est plus un enfant.

Quelle meilleure preuve que d'adopter des attitudes spécifiques du monde adulte (cigarette, alcool, drogue) et des conduites à risque (qui prouvent qu'on ne craint pas la mort) ?

Il n'existe plus trop dans nos sociétés de ces cérémonies de transition entre l'enfance et l'âge adulte comme dans la plupart des civilisations traditionnelles. Les jeunes les réinventent à leur manière ("t'es pas cap d'avaler une bouteille d'alcool d'un seul coup", "rapproche‑toi très près du train en marche, si t'es un homme", ...)

La meilleure façon peut-être de limiter ces expériences, ce n'est ni de se contenter de l'interdire (attrait de l'interdit), ou de parler du danger encouru (ce qui peut encourager encore plus), mais peut‑être tout en rappelant ici encore la règle, de proposer des actions permettant de se dépasser, de trouver ses propres limites en lançant des défis et des objectifs suffisamment élevés pour apparaître en apparence inaccessibles.

 

Responsabilisation

C'est en permanence que l'adolescent est confronté aux tentations de ne satisfaire que ses propres impulsions. S'il cède à l'appel du plaisir immédiat et du tout tout de suite, ce n'est pas par mauvaise volonté, c'est surtout parce qu'il n'a pas encore acquis la force d'y résister. L'éducation doit lui permettre de renforcer cette puissance encore balbutiante qu'il a en lui. Pour y arriver, rien ne remplace l'expérience. Il doit pouvoir s'exercer.

Bien sûr, mieux vaut éviter de le mettre en position d'échec. Mais rien ne remplacera le fait qu'il jauge sa capacité à être responsable. C'est pourquoi en toute occasion, il ne faut pas hésiter à le mettre en situation d'avoir à prendre des décisions et faire des choix. L'adulte sera à ses cotes pour l'y aider et surtout reprendre avec lui les difficultés rencontrées pour tirer avec lui les leçons nécessaires.

Ce qui semble essentiel, c’est bien de tenir la position adulte. Ce n’est pas de copinage dont a besoin l’adolescent, mais bien d’une position ferme à partir de laquelle et parfois contre laquelle se construire.

 

7- La famille face aux partenaires

Reynald Brizais, psychosociologue à l’université de Nantes explique dans une thèse tout à fait intéressante la montée puis la chute de la famille dans le rôle central d’éducation.

La famille telle qu’on la connaît aujourd’hui dans sa forme nucléaire a été plébiscitée au XIX ème siècle, à un moment où l’industrie cherchait à stabiliser une main d’œuvre extrêmement mobile et errante.

Afin de fixer l’ouvrier, explique-t-il, on a valorisé la vie en couple, favorisé  la constitution de familles, inventé la notion de domiciliation. Le lieu de résidence a alors été est transformé en foyer autour duquel se sont centrée l’individualisation des conditions de vie et l’éducation des enfants. Le processus d’intégration de ce nouveau modèle mettra un siècle à s’imposer.

Mais, à peine installée, cette première institution de l’enfance a commencé à être remise en cause. Les tâches d’instruction, de soins, de garde et de loisirs ont progressivement été prises en charge par les institutions secondaires de l’enfance : école, PMI, centres aérés, colonies de vacance, clubs sportifs. Ces relais, en se professionnalisation et en se qualifiant, se sont substitués aux compétences initialement attribuées aux familles. Il semble il y avoir toujours quelqu’un qui apparaît mieux placé et plus capable de faire en lieu et place des parents.

S’il ne s’agit pas de remettre en cause les motifs légitimes qui ont concouru à l’émergence de ces dispositifs auxiliaires, leur généralisation n’en ont pas moins abouti à placer sur la touche les aptitudes familiales. La crise de la famille n’est donc pas un hasard. La démission dont on l’accuse est aussi liée à sa relégation de la place de pilier de rugby à la touche voire même au vestiaire. La démission des familles dont on parle facilement, doit donc être comprise comme la dé-mission, c’est à dire la perte des missions qui leur étaient initialement dévolues et que d’autres institutions ont relayé. 

L’institution première de l’enfance qu’est la famille et les institutions secondes que sont l’école, les services éducatifs, les services de soins etc … se renvoient incessamment et réciproquement l’accusation de ne pas accomplir comme il faudrait leurs tâches respectives. Le défi qui se pose dès lors consiste bien à aménager la place de chacun dans une logique non de compétition et d’exclusion mutuelles, mais bien de complémentarité.

Chaque intervenant auprès des adolescents doit avoir un double souci : développer sa propre démarche, sans vouloir singer celle des autres, tout en tentant malgré tout de préserver un minimum de cohérence entre les différentes instances d’intervention.

 

Epilogue : vers la coéducation

Les adultes d’aujourd’hui ont une responsabilité première dans la préparation de ce que seront leurs successeurs de demain. Et ce n’est pas seulement les parents qui sont concernés. La dernière mode consiste à dénoncer leur « démission ». Si démission il y a, c’est bien celle de l’ensemble de la société. Celle de tout adulte abandonnant son rôle de co-éducateur et renonçant face aux enfants et adolescents qu’il côtoie. Le repli sur la sphère individuelle a rendu inconcevable qu’on s’autorise à intervenir auprès d’un mineur au prétexte qu’on n’est pas détenteur de l’autorité parentale. On a perdu le courage de s’adresser à un jeune dont le comportement nous choque. On craint de se faire insulter. Une remarque faite avec compréhension et fermeté peut pourtant être le point de départ d’un dialogue dont nos enfants manquent parfois si cruellement de la part des adultes qui les entourent.

La tâche qui nous revient est bien d’aider le petit d’homme à quitter son état de dépendance pour s'affirmer en tant qu'individu, membre d'une collectivité, conscient de ses règles et trouvant une place en son sein.

Nous devons lui permettre de passer de la nécessité de guidage de l'adulte à la capacité de faire face à des choix et de décider seul de ses orientations. Notre travail consiste donc à nous rendre sinon inutiles du moins à ne plus être indispensables. Cela pourra se réaliser dès lors que la présence de cadres et de repères extérieurs ne sera plus le seul mode de fonctionnement et que l'intériorisation de l'autorité chez le jeune adulte permet un contrôle suffisant de ses pulsions. Il ne sera alors plus esclave de la seule sphère du désir qui guidait jusqu’alors l'essentiel de ses comportements d’enfant. Ce sera dès lors la sphère de la réalité qui dominera chez lui, permettant ainsi aux impératifs du réel de prendre le pas sur les souhaits et aspirations.

 

Jacques Trémintin - Septembre 2003