GREF - 2006 - Synthèses des journées sur l’adoption

GREF - « L’adoption, une aventure familiale » - 18, 19 & 20 mai 2006 La Bourboule

Les journées que nous venons de vivre ne pouvaient pas mieux tomber puisqu’elles surviennent dix mois après le vote de la loi du 4 juillet 2005 qui a proposé un certain nombre de modifications, quant aux modalités de l’adoption dans notre pays.

En outre, elle se sont ouvertes le jour même de l’inauguration de l’Agence Française de l’Adoption, cérémonie programmée longtemps après les dates de ce colloque et qui nous aura privés de la présence des responsables de cette institution, ces derniers ayant privilégié, comme on peut le comprendre, l’invitation ministérielle, à l’engagement qu’ils avaient pris d’être présents à La Bourboule.

Voilà donc un nouveau texte législatif destiné à améliorer l’accès à l’adoption.

Plusieurs fois réformé, ce droit semble être pris entre deux feux.

D’un côté, la montée de la demande d’enfants de la part de familles qui sont  dans un profond et intense désir de procréation et de perpétuation qu’elles veulent à tout prix assouvir, comme nous l’a bien montré le film « Holy Lola ».

De l’autre coté, une société qui peut de moins en moins répondre à cette quête, malgré les promesses imprudentes de certains ministres (qui n’ont pas hésité parfois à promettre le doublement du nombre des adoptions) et les annonces mensongères du législateur faisant croire qu’en aplanissant les procédures administratives, on faciliterait ces mêmes adoptions.

Avant de nous pencher sur les mesures facilitantes adoptées et sur ce qui pourrait permettre de répondre encore mieux à cette demande, il convient de revenir sur les embûches qui s’accumulent.

 

Chronique d’une désillusion annoncée

Marie-Christine Le Boursicot, secrétaire générale du CNAOP ouvrira la réflexion, en rappelant un certain nombre de chiffres. En 1993, l’on comptait 13.000 familles agréées en attente d’un enfant, chiffre auquel venait se rajouter 6.000 agréments supplémentaires chaque année. Seuls 4.000 enfants par an faisaient alors l’objet d’une adoption. Aujourd’hui, les familles en attente sont de 25.000 auxquelles il faut additionner chaque année 8.000 candidats supplémentaires. Le nombre d’enfant adoptés atteint le chiffre de 5.000 par an, se répartissant en 1.000 enfants nationaux et 4.000 enfants étrangers (il y en avait 935 en 1980). Ce nombre n’apparaît guère susceptible de s’accroître à l’avenir, dans des proportions qui permettraient de répondre à toutes les demandes.

 Pour ce qui concerne les enfants d’origine étrangère, les transferts d’enfant d’Etat à Etat sont régis par la convention de La Haye. Ce traité international impose deux contraintes.

La première, c’est que l’adoption internationale ne peut qu’être subsidiaire à l’adoption nationale. Les pays sont invités à trouver des solutions internes. Même si cette incitation est loin encore de porter ses fruits, une nation comme la Chine a pu, pour la première fois en 2005, faire accueillir sur son sol plus d’enfants qu’elle n’en a fait prendre en charge à l’étranger.

Le second impératif fait obligation de soumettre les conditions d’adoption à la loi personnelle de chaque enfant. Notre législation a intégré cette notion, en interdisant l’adoption d’enfants issus d’Algérie et du Maroc. Cette pratique y est en effet prohibée par l’Islam. Seule possibilité offerte aux enfants sans familles : la Kafala. Yves Rabineau, magistrat de liaison auprès de l’ambassade de France au Maroc est venu nous présenter cette procédure en nous précisant son caractère temporaire et provisoire. Un couple s’engage à prendre en charge bénévolement un enfant jusqu’à sa majorité. Qu’elle prenne une forme coutumière et traditionnelle (qui passe alors par la contraction d’un acte notarial entre la famille d’origine et la famille accueillante) ou qu’elle aie une dimension judiciaire, cette mesure n’a d’incidence ni sur la filiation, ni sur l’héritage, ni sur le nom. On est là dans ce qui, dans notre propre législation, pourrait se rapprocher de la tutelle ou de la délégation de l’autorité parentale. Les enfants sous Kafala n’ont pas droit de séjour dans notre pays. Ou plus exactement ils sont soumis aux mêmes obligations que tout autre candidat à l’immigration. D’autant que cette pratique est entachée de quelques abus, ce régime ayant servi à faire venir des mineurs soumis à un esclavage domestique voire même sexuel. Et Martine Gazel, Présidente  d’honneur du « Mouvement pour l’adoption sans frontière », de dénoncer le statut d’exception propre à notre pays qui est le seul en Europe à avoir introduit cette particularité qu’elle considère comme l’irruption d’une règle coranique dans le droit positif français. Cette coutume musulmane remonterait au prophète lui-même qui aurait renié son fils adoptif,  afin de pouvoir épouser la femme de celui-ci, sans être accusé de commettre un inceste (puisque son fils était devenu un étranger à sa famille). Elle nous rappellera que jusqu’à ce que la loi du 6 février 2001 fasse une place de choix aux usages étrangers dans notre législation, les juges français étudiaient avec bienveillance les demandes d’adoption d’enfants sous Kafala. Depuis, certains tribunaux mettent en avant l’intérêt de l’enfant, d’autres se référant aux lois du pays d’origine. Jusque là, se posait la question du type d’adoption le plus approprié (simple ou plénière). Dorénavant, c’est la possibilité même de l’adoption qui est posée. Mais comment agir autrement, sans remettre en cause la Convention de La Haye interrogera Yves Rabineau ? En se prévalant de la Convention internationale des droits de l’enfant qui a aussi été ratifiée par la France et qui est en contradiction avec ces refus d’adoption lui répliquera Marie-Christine Le Boursicot.

Si l’on aborde à présent la question de l’adoption nationale, les perspectives ne sont pas meilleures pour les familles candidates. Annie André-Péchaud, inspectrice de la DDASS du Puy de Dôme est venue nous parler des pupilles placés sous l’autorité des DDASS, qui, malgré les deux vagues de décentralisation, ont gardé cette compétence. Cette population forte de 2.882 mineurs en 2005, comporte les 600 enfants accouchés anonymement, ceux qui sont remis en vue d’adoption, les orphelins de père et mère, enfin les enfants dont les parents ont été condamnés au retrait de leur autorité et ceux qui, au titre de l’article 350 du code civil, ont été déclarés juridiquement abandonnés La politique actuelle de protection de l’enfance vise à privilégier les liens avec la famille d’origine. Elle n’est donc pas susceptible d’augmenter le quota de mineurs adoptables. On peut illustrer cette tendance, en évoquant l’amendement intervenu lors de la loi de 1996, pour modifier l’article 350 du code civil qui donne pouvoir au juge de constater le désinvestissement parental à l’égard de l’enfant et donc de statuer sur une situation d’abandon de fait. La grande détresse de ces parents pouvait servir d’élément modérateur, retardant ainsi la décision de considérer l’enfant comme adoptable. Cette particularité vient d’être supprimée par la loi de 2005, l’objectif étant de rendre plus d’enfants adoptables. L’article 350 est là pour protéger l’enfant, non pour fournir de l’enfant adoptable proteste Marie-Christine le Boursicot. Et effectivement, confirme Annie André-Péchaud, quand il le devient, cela ne signifie pas que l’adoption va se concrétiser. Le projet n’aboutit pas toujours. Il est étudié attentivement par le conseil de famille, seul habilité à décider de son avenir. Un mineur peut vivre très heureux dans sa famille d’accueil, l’hypothèse d’une nouvelle rupture avec un lieu d’accueil où il vit parfois depuis des années n’apparaissant pas obligatoirement pertinente, comme en a témoigné une participante qui a fini par considérer sa famille d’accueil comme ses vrais parents. Mais, il peut tout autant il y avoir une opposition de l’enfant lui-même qui ne désire pas être adopté. Comme l’a rapporté Catherine Sellenet au travers du témoignage de cette petite fille, affirmant deux ans après son adoption que même si ses parents sont gentils avec elle, elle préférerait quand même vivre avec sa couleur, au milieu de ses racines. Mais, si le projet d’adoption n’aboutit pas, c’est aussi parce que l’âge ou l’état de santé de l’enfant ne permettent pas toujours de trouver de famille candidate. Edith et Maurice Labaisse sont venus présenter en la matière l’exception qui confirme la règle. Représentant d’une œuvre d’adoption spécialisée dans l’adoption d’enfants porteurs de handicap mental, ils ont évoqué le douloureux travail d’accompagnement des familles naturelles, ainsi que la préparation des familles adoptantes. Il n’est pas banal de faire sien un enfant qu’on ne souhaitait pas voir naître. De fortes convictions religieuses permettent sans doute de motiver une telle démarche. Peu importe finalement, du moment que des enfants, délaissés pour leur différence, trouvent une famille qui va les aimer et les faire grandir malgré tout.

De fait, le taux de réussite du projet d’adoption est très modeste, si l’on en croit l’étude réalisée sur 1.857 dossiers issus de dix départements, par les démographes Catherine Villeneuve-Gokalp et Isabelle Frachon. Seuls 51% des dossiers se sont concrétisés par l’arrivée d’un enfant. Parmi les facteurs identifiés comme les plus favorables à une telle réussite, ces chercheuses ont repéré un certain nombre de critères tels que le choix d’accepter plusieurs enfants plutôt qu’un seul, ne pas avoir de préférence pour un sexe précis, ni d’exclusivité pour un enfant de nationalité française, avoir déjà eu une première adoption réussie, vivre en couple et avoir déjà élevé un enfant biologique. Autant de conditions qui restreignent encore les probabilités de voir son projet aboutir.

On peut espérer que de plus en plus de nations prennent des mesures pour régler en interne les situations de détresse de leurs enfants. Tout comme on peut croire que les services sociaux de notre pays fassent suffisamment bien leur travail pour éviter la rupture des liens familiaux. Même si ceux-ci doivent l’être quand l’intérêt de l’enfant est en jeu, bien des situations placent les professionnels dans des abîmes d’incertitude et de doute quant à la bonne attitude à adopter.

Cet état des lieux pessimiste pour les familles candidates à l’adoption n’a pas empêché le législateur de prendre des mesures améliorant des procédures vécues par nombre de familles adoptantes comme un parcours du combattant.

 

La nouvelle loi sur l’adoption

C’est à Marie-Christine Boursicot qu’a échu la tâche de décrire les nouvelles dispositions législatives. La nouvelle loi s’est attachée à harmoniser les procédures d’agrément et à les rendre plus concrètes. La réforme précédente, en date de 1996, rendait l’accompagnement de la famille obligatoire jusqu’à la transcription du jugement d’adoption. Dorénavant, cet accompagnement sera possible au-delà. Mais seul le couple adoptant est à même d’en faire la demande. Cela peut répondre à l’exigence du pays d’origine de l’enfant qui parfois pose comme condition le suivi jusqu’à la majorité de ce dernier. Le législateur n’a pas rendu cet accompagnement obligatoire, tant cela pouvait être perçu comme une intrusion dans l’intimité des familles. Il n’a pas non plus rendu obligatoire la formation du couple candidat, comme cela se passe dans nombre de pays. La pièce centrale de la réforme réside dans la création de l’Agence française de l’adoption, constituée en groupement d’intérêt général auquel participe l’Etat, les collectivités publiques et les Oeuvres d’adoption. Cette instance est appelée à remplacer la Mission d’adoption internationale dont la fonction essentielle consistait à transmettre le dossier d’adoption aux pays d’origine. Le rôle de l’AFA a été notablement renforcé : il constitue un véritable opérateur public d’adoption. Jusqu’alors l’adoption internationale passait soit par les Œuvres (38% des dossiers ayant abouti l’ont été par leur intermédiaire, en 2005), soit par démarche individuelle (62%). Le souci de mieux lutter contre le trafic d’enfants et d’offrir aux pays d’origine les meilleures garanties ont amené le législateur à proposer l’AFA comme « troisième voie » pour les pays non signataires de la convention de La Hayes et comme passage obligé en lieu et place de toute démarche individuelle pour tous ceux qui l’ont signée.

On est néanmoins sceptique quant à l’application de la volonté du législateur d’harmoniser les procédures d’agrément quand on connaît les disparités des taux de refus qui varient de 2 à 48% selon les départements ! Dominique Jeanne Rosset, pédopsychiatre à l’ASE de Paris, révèlera le peu de refus de son service (15 sur 800 demandes), ces décisions intervenant dans des situations extrêmes (candidat vivant dans la rue ou en hôpital psychiatrique). Si les travailleurs sociaux sont plus souvent tentés par des avis négatif, le juriste de l’équipe veille au grain, en rappelant régulièrement qu’il faut prouver la dangerosité du candidat. Le nombre de décision du tribunal administratif cassant le refus d’agrément Conseil général de Paris a finalement incité l’ASE de ce département à préférer des phrases restrictives associées à l’avis favorable qui sont tout aussi efficaces pour écarter les familles candidates à l’adoption, présentant des risques.

La disparité ne concerne pas que l’enquête sociale. Elle est aussi caractéristique de l’évaluation psychologique. Stéphane Nadaud, pédopsychiatre et philosophe, rappellera que, selon les départements, les familles candidates peuvent choisir librement le praticien, le choisir sur une liste d’aptitude ou se le voir imposé. Il dénoncera ensuite la fragilité de ces expertises, en démontant les mécanismes de ce qu’il appelle la « popsy », cette dérive truffée de truismes et de banalités qui se réduit trop souvent à un jeu de pouvoir moralisateur. Les psys qui se livrent à cet exercice cherchent à se rendre accessibles et compréhensibles, au besoin en simplifiant ce qui ne peut être que complexe, n’hésitant pas, pour renforcer encore leur crédibilité, à se livrer à quelques formulations hermétiques qui sont d’autant plus obscures qu’elles cherchent à attester de leur sérieux.

Pour autant, certains conseils généraux n’ont pas attendu cette nouvelle configuration juridique pour améliorer leur pratique. Le département du Puy de Dôme, expliquera Martine Labreveux, Directrice du service de l’enfance et de la famille du Puy de Dôme, propose depuis quelques années déjà un suivi au couple qui vient d’accueillir son enfant. Pendant six mois, une puéricultrice, une assistante sociale, ainsi qu’éventuellement le psychologue de l’aide sociale à l’enfance rencontrent la famille. Au-delà des six mois, ils proposent une mise à disposition. Chantal Guillemier et Stéphanie Gonnet respectivement assistante sociale et psychologue chargées des enquêtes d’agrément d’adoption au conseil général du Puy de Dôme, expliqueront leur efforts pour donner cohérence aux enquêtes  et accompagner le couple candidat dans son projet. Car il s’agit bien d’un accompagnement affirmera Joëlle Djikpesse, et non d’une évaluation sur la qualité de bon ou de mauvais parent. Cette assistante sociale travaillant pour l’œuvre « orchidée adoption » décrira la procédure engagée en étroite collaboration avec ses collègues thaïlandaises. Lorsque la famille candidate a été retenue et qu’un enfant a été proposé (il faut pour cela environ trois ans d’attente), un book est adressé à ce dernier comprenant les photos de ses futurs parents, ceux de la famille élargie ainsi que du logement et de l’environnement où il va vivre. Ce n’est finalement pas l’enfant qu’on choisit sur catalogue mais la famille d’adoption qui s’expose ainsi pour rendre la préparation de la séparation et du départ plus facile. Lorsque la famille arrive en Thaïlande, elle prend avec elle l’enfant qu’elle gardera tout au long de son séjour, le temps de  régulariser la procédure de départ. Ces procédures exemplaires n’ont pas permis d’enrayer la régression de notre pays sur la scène internationale, quant à notre classement dans l’adoption d’enfants étrangers.

 

Vers une mutation de notre regard sur l’adoption

En 2004, l’adoption internationale représentait une proportion de 6,8 pour 100.000 habitants, contre 12 pour 100.000 en Espagne ou en Suède. Qu’est ce qui fait que notre voisin ibérique réalise 25.000 adoptions (nationales et internationales confondues) chaque année contre seulement 5.000 dans notre pays ?

Pour Marie-Christine Le Boursicot, ce qui est en cause, c’est l’absence d’un regard positif et bienveillant de notre société.  Des pays comme l’Espagne vont jusqu’à intégrer les enfants adoptés dans leur publicité, montrant ainsi qu’ils sont considérés comme faisant naturellement partie de leur famille.

Jean Vital de Monléon, pédiatre au CHU e Dijon, confirmera ce sentiment, en nous livrant un florilège des réflexions et comportements discriminants auxquels sont confrontés les familles adoptantes et leurs enfants adoptés. Certes, expliquera-t-il, certains facteurs prédisposent à des difficultés d’adoption : des enfants adoptés trop grands, ayant vécu longtemps en institution dans leur pays ou n’ayant pas été bien préparés, des familles adoptantes ayant vécu longtemps sans enfants ou n’ayant pas fait le deuil de l’enfant biologique qu’ils n’ont pu avoir. Mais, s’il est un autre facteur tout aussi invalidant, c’est bien le soupçon de prédispositions négatives qui pèse sur ces enfants dont est porteuse une opinion publique trop souvent malveillante. Et d’affirmer avec force que ces enfants iront bien mieux, dès lors où ils seront acceptés.

Catherine Sellenet, professeur d’université en science de l’éducation, vient de finaliser une enquête qui lui a été demandée par la direction de l’action sociale, sur les difficultés des enfants adoptés. Elle a commencé à dénoncer les chiffres les plus fantaisistes qui circulent sur les prétendus échecs de l’adoption. Elle a rectifié la confusion qui fait passer les 10% du nombre des consultations pédopsychiatriques composées d’enfants adoptés en 10% des enfants adoptés qui seraient en consultation !… On compte en fait une soixantaine d’échecs aboutissant à une remise à l’aide sociale à l’enfance, sur les 5.000 adoptions annuelles. Bien d’autres difficultés surgissent qui ne sont parfois guère spécifiques à la situation d’adoption. Si cette origine particulière ne saurait être écartée systématiquement des causes des problèmes rencontrés, il faut veiller à ce qu’elle ne devienne pas l’explication unique.

Jacques Chomillier responsable  du « mouvement pour l’adoption sans frontière » s’est fait l’écho de cette perception négative et méfiante de l’adoption dans notre pays. Volonté d’augmenter le nombre des adoptions simples, revendication du droit du sang des géniteurs, tentative pour présenter le parrainage comme une alternative...

Concernant justement la place du parrainage, Isabelle Corpart, Maître de conférence en droit à l’université de haute Alsace et Marie-Dominique Vergez, Présidente du comité national du parrainage sont venues en cœur répondre par la négative à l’hypothèse d’une alternative possible, tant ces deux dispositifs sont différents. Là où l’adoption implique un changement radical de filiation, rien de tel avec le parrainage qui se contente d’offrir une aide affective, voire un soutien matériel et qui ne propose en aucun cas une suppléance des parents naturels.

Pour Martine Gross, sociologue et Présidente d’honneur de l’APGL, si malaise il y a face à l’adoption dans notre pays, il vient aussi de la démarche fondamentale de notre société qui s’interdit de penser une filiation légale distincte de l’engendrement. La seule norme qui fasse famille s’appuie sur deux constantes incontournables : des parents de sexe différent et le modèle biparental. Pourtant, la famille a changé depuis quelques décennies, connaissant deux déliaisons fondamentales. La chaîne qui reliait la conjugalité, la procréation et la parentalité a explosé, chacune de ces dimensions pouvant exister de façon autonome, sans être obligatoirement reliée aux deux autres. Il en va de même pour le biologique, le juridique et l’affectif qui n’ont plus vocation à cohabiter ensemble. La famille homoparentale est à la croisée de ces deux triple disjonctions. Si la loi, pas plus que les mentalités, n’arrivent à intégrer ces mutations sociologiques, c’est parce que la confusion perdure entre la nature et la culture, entre la place de géniteur et celle de parent. Pourquoi d’un côté imposer à un homme et à une femme d’être père et mère du simple fait de la rencontre de leur gamètes et de l’autre rendre si difficile d’être parent à ceux qui le désirent sans que ce soit là le produit de leur croisement génétique ? Pour Martine Gross, le sort réservé aux couples gays et lesbiens n’est guère éloigné de celui qui est proposé aux couples adoptants. Là où les parents dits naturels n’ont pas à faire la preuve de leurs capacités de parentalité, il faut le démontrer pour ceux qui veulent l’être autrement que biologiquement. Les pratiques sexuelles des candidats à l’adoption relèvent de leur sphère intime et est donc tout à fait hors sujet dans la procédure d’agrément, lui répondra Dominique-Jeanne Rosset. S’il faut se barricader de soi-même, en cachant des parties entières de sa personnalité par peur de se voir refuser son agrément, comment peut-on ensuite franchir le pas de demander de l’aide en tant que parents adoptifs, si on en a besoin, s’interrogera-t-elle ? Et Martine Gross de regretter que les autres ASE ne fassent pas preuve de la même ouverture d’esprit, révélant au passage ces dix candidats gays dont le seul à obtenir son agrément aura été celui qui aura camouflé son orientation sexuelle.

Jacques Chomilier avait évoqué la difficulté à démontrer qu’il fallait remettre en cause l’adoption plénière. C’était sans compter sur Pierre Verdier, Président de la CADCO. Resté sagement assis, attentif aux débats, il attendait son heure pour avancer ses propositions. Il a commencé par regretter une grande absente lors de ces trois journées : la mère biologique. Il a repris le plaidoyer qu’il prononce régulièrement depuis quelques années sur le rééquilibrage des places respectives des parents biologiques et adoptifs. Se prêtant à rêver, il s’est imaginé les géniteurs participant au processus d’adoption, rencontrant les candidats à celle-ci, renonçant à leurs droits légaux et moraux sur l’enfant, mais conservant le droit d’entretenir un contact avec ce dernier et de connaître son bien-être et son devenir. Il s’agirait donc d’en finir avec l’adoption plénière qui organise la rupture avec les géniteurs et de la remplacer par un mode unique d’adoption cumulant les deux formes actuelles. Utopie ? Certes non affirme-t-il, s’appuyant pour cela sur ce qui se passe aux USA, au Canada ou en Australie.

Que nenni lui répliquera Marie-Christine Le Boursicot. Ce dispositif est en pleine contradiction avec les traités internationaux et les législations nationales des pays d’origine qui toutes, privilégient un mode d’adoption qui rompt la filiation biologique. La richesse de notre pays consiste justement à garder deux formes, ce qui fait l’envie de beaucoup de pays : l’adoption simple de nature complétive qui permet à l’enfant de s’inscrire dans deux filiations parallèles et l’adoption plénière qui s’adresse aux adoptés qui ne peuvent retisser de liens avec leurs géniteurs et qui leur garantit une filiation sécurisée. L’intérêt du maintien de ces deux formes tient justement dans le fait qu’elles s’adressent à des situations distinctes.

Plusieurs réactions d’adultes présents dans la salle, eux-mêmes adoptés, iront dans le même sens, revendiquant le besoin de se construire à partir d’une seule et même filiation. Qu’on permette à chacun de retrouver ses racines est une chose, qu’on donne des droits aux géniteurs qui ont abandonné en est une autre, affirmera l’un d’entre eux. Pierre verdier rappellera de son désir de rééquilibrer la place des familles biologiques et celles des familles adoptantes, mais prendra acte de l’hostilité rencontrée pas ses propositions.

On le répète à l’envi : l’adoption ne consiste pas à donner un enfant à une famille, mais bien le contraire : trouver une famille à un enfant. C’est bien pourquoi elle ne peut être considérée comme réussie que lorsque l’enfant a adopté ses nouveaux parents. Pour y arriver le couple adoptant a besoin de trouver de l’aide quand il en a besoin et de sentir soutenu. Catherine Sellenet s’étonnera que le moindre accident routier impliquant des mineurs provoque l’intervention d’une cellule de crise mettant à disposition des psychologues, et que dans les traumatismes de guerre vécus par certains enfants adoptés ne soient jamais pris en compte. Comme si l’adoption, en tournant la page, déniait toute pertinence à revenir sur le passé vécu. Et s’il  y a bien une dimension qui se retrouve au cœur de l’adoption, c’est celle évoquée par Cécile Delannoy, représentant l’association « Pétales ». Le bébé, nous a-t-elle expliqué, ne s’attache pas au sein de sa mère pour de simples raisons nourricières. Il recherche avant tout une figure d’attachement lui assurant sécurité, stabilité et sécurité. Il y a des enfants abandonnés qui sont passés dans trop de mains successives, pour avoir réussi à vraiment s’attacher. Leur apparente indifférence en est la résultante. Rien n’est perdu pour eux. Il faut simplement déployer la persévérance, la prévisibilité et la constance qui leur permettront enfin de pouvoir investir une confiance en des adultes qui les ont si souvent trahis, respecter leur rythme et accepter d’attendre qu’ils accomplissent le deuil de leur vie antérieure, sans pour autant les réduire à des identités assignées.

Catherine Sellenet a évoqué les débats qui traversent l’adoption. Opposition d’abord entre les partisans du droit aux origines et ceux qui refusent la confusion entre engendrement et filiation. La revendication des familles homoparentales de pouvoir adopter et le reproche qui leu est fait d’exiger un droit à l’enfant. Peut-on imaginer qu’un jour, des familles candidates à l’adoption croisent des mères ayant accouché sous x en recherche de l’enfant qu’elle avait abandonnés ? Ce sera possible dans les maisons de l’adoption telle celle de Marseille qui offre un guichet unique aux usagers concernés par cette situation (agrément, suivi poste adoption, recherche des origines …) Peut-on penser possible que des enfants adoptés devenus adultes parrainent des enfants et adolescents en plein questionnement sur leur statut d’adoptés ? C’est ce que proposent les associations d’adoptés qui commencent à se monter.

Avec autant d’initiatives, de créativité et de potentialités, l’adoption a finalement de beaux jours devant elle !

 

Jacques Trémintin - 20 mai 2006