Du placement classique au parcours sur mesure

On connaît depuis quelques années une offensive contre les placements d’enfants jugés préjudiciables aux familles. On se souvient de la mise en accusation d’ATD Quart monde prétendant que les séparations intervenaient surtout en raison de la pauvreté des parents.

Le rapport Naves-Cathala (2000) fit justice de cette affirmation : « aucun des enfants accueillis provisoirement ou placés, dont la mission a examiné la situation, n’a été séparé de “son milieu actuel” du seul fait de la pauvreté de ses parents, même si il est impossible de nier l’importance du facteur “précarité” dans les séparations enfants-parents subies ».

Quant à Ségolène Royal, alors ministre de la famille, annonça en 2001 sa volonté de réduire de 50 % les placements, un groupe de professionnels la moucha avec pertinence : « 50% de placements en moins et/ou 49,9% d’enfants malheureux en plus ! » (Association nationale des professionnels et acteurs de l’action sociale et sanitaire en faveur de l’enfance).

Au premier rang des cibles des adversaires du placement, l’internat éducatif qui n’a jamais eu très bonne presse. Son ancienneté et les vicissitudes qu’il a pu traverser peuvent expliquer cette méfiance. Pour le comprendre, revenons un peu en arrière.

 

Etat des lieux de l’internat

L’abandon d’enfant est resté pendant longtemps, sous l’ancien régime comme après la Révolution française, extrêmement fréquent. Ainsi, au XVIIème siècle, il pouvait aller à Paris, jusqu’à 30% des naissances. L’aide qui pouvait être apportée aux mères et à leurs enfants fut pendant longtemps peu différenciée de l’assistance aux adultes. Les hôpitaux généraux et les hospices créés dès Moyen-Âge, regroupaient indistinctement les enfants avec les vieillards, les indigents, les vagabonds et les infirmes. La mortalité infantile est alors terrifiante parmi ceux qui y trouvent refuge : beaucoup de bébés meurent en quelques mois, du fait du manque cruel d’hygiène et des maladies qui règnent en maître : scarlatine, rougeole, diphtérie et tuberculose font des ravages.

En fait, jusqu’au XVIIIème siècle, aucune loi particulière ne protège l’enfance. La Révolution change la donne. La loi du 27 juin 1793 précise que : « La Nation se charge désormais de l’éducation physique et morale des enfants connus sous le nom d’enfants abandonnés et qui seront désormais indistinctement appelés orphelins ». Un arrêté en date du 20 mars 1797, décide de confier les enfants pauvres ou abandonnés à des nourrices ou à des particuliers, afin qu’ils soient élevés et instruits. Dès que les orphelins atteignent leur 12ème année, le versement des pensions s’arrête. Un décret du 19 janvier 1811 décide qu’au-delà de cet âge, ils  seront placés en apprentissage chez des laboureurs et des artisans (pour les garçons), « chez les ménagères ou couturières ou dans les fabriques ou manufactures » (pour les filles).

Mais, cette option qui a est alors prise de plutôt favoriser l’accueil familial n’a pas empêché la création d’internats. Dès 1888, apparaissent des orphelinats spécialisés dits « correctionnels ou de préservation » qui se chargent de ramener les enfants dans le droit chemin. La loi du 28 juin 1904 « relative à l’éducation des pupilles de l’Assistance publique difficiles ou vicieux » précise que le public concerné est celui des mineurs ne pouvant être confiés à des familles en raison de « leur indiscipline ou de leurs défauts de caractère. » Si celui qu’on désigne alors sous le terme de pupille commet « des actes d’immoralités, de violences ou de cruauté », il sera confié à l’Administration pénitentiaire pour être orienté vers une maison pénitentiaire ou une colonie correctionnelle. Dès le début de la législation sur la protection de l’enfance, l’internat est donc utilisé comme une mesure répressive qui vise les enfants les plus rebelles et le placement familial est privilégié comme lieu de la bonne éducation.

Pourtant, des éducateurs et des médecins, ainsi que des mouvements d’éducation populaire et des pédagogues ont animé des lieux d’accueil bien différents. On peut citer Pestalozzi qui regroupe une cinquantaine d’enfants pauvres et orphelins dans un domaine à Birr. Adepte des principes éducatifs de Rousseau, il fonde le mode relationnel éducateur/enfant sur l’adhésion et la liberté ainsi que sur l’apprentissage de la vie communautaire. Il y aussi les républiques d’enfants conçues comme de micro sociétés, dotées de règles établies en commun et dont l’application repose tant sur les enfants que sur les adultes : la George Junior Republic fondée en 1885 et qui accueille sur 150 hectares les enfants pauvres de New York, la colonie de Gorki créée par Makarenko Russie, en 1919, en pleine guerre civile qui regroupe des enfants vagabonds ou sans familles, ou encore la maison des orphelins créée par Janus Korczack à Varsovie. Il y a enfin ces expériences pédagogiques qui mettent tout particulièrement l’accent sur les libertés individuelles et la confiance dans les potentialités de l’enfant : c’est l’orphelinat du département de la Seine situé à Cempuis qui est réorganisé par Paul Robin de 1880 à 1893, c’est le domaine de La Ruche à Rambouillet qui fonctionnera de 1904 à 1917 ou encore le célèbre collège de Summerhill en Angleterre qui, ouvert en 1961 existe toujours.

Ces expériences très dissemblables ont cheminé côte à côte, donnant aux internats des contenus diversifiés allant du pire au meilleur.

 

Articuler le collectif avec d’autres formes de prises en charge

L’internat a connu depuis la fin de la seconde guerre mondiale une évolution notable. Cette mutation s’est opérée à partir d’un questionnement récurrent : le groupe est-il a priori et par essence, éducatif et socialisant ? La réponse éducative collective avec ses effets pervers (caïdisme, violence, contagion...), à l'inverse de l'effet rééducatif escompté, n'amplifierait-elle pas des problématiques individuelles ? Les réponses à ces interrogations se sont concrétisées au travers de la fermeture des grandes structures regroupant des dizaines, voire des centaines de mineurs. Les structures d’internat ne regroupent plus dans leur majorité qu’entre dix et quinze enfants. Mais c’est surtout à sa marge que les expériences ont commencé à émerger.

 

Dès les années 1950, apparaissent, les premiers « foyers familiaux » qui se distinguent des deux types d’accueil déjà existant : l’accueil collectif et l’accueil familial. Les foyers familiaux sont animés par des ménages et/ou des éducateurs qualifiés et accueillent entre 6 et 10 enfants. Plus tard, à la suite de Deligny, qui dans les années 60 et 70 veut « prouver qu’on peut vivre avec les fous », des structures se créent autour d’une vie communautaire et d’un « vivre avec ». Des personnes accueillent, chez eux, des groupes de personnes en difficultés, sans cadre légal, ni financements, autour de références politiques, philosophiques et nourries par l’antipsychiatrie. L’hétérogénéité des problématiques est alors un principe qui doit permettre d’éviter de recréer des structures « ghettos » comme celles avec lesquelles ils ont voulu rompre. Dans le milieu et la fin des années 70, ces structures se développent dans un mouvement hétéroclite. Le flambeau est repris par d’anciens soixante-huitards. Dans cette lignée, Claude SIGALA crée en 1975 le Coral et il est le premier à employer le terme de « lieu de vie ». A l’époque, les débats les débats idéologiques sont d’autant plus importants qu’aucun cadre légal n’existe. La loi de 1975 relative aux structures sociales et médico-sociales n’évoque même pas ces structures non traditionnelle, qui sont alors pensée comme des lieux d’accueil pour les exclus les « incasables ». Ces micro structures ont longtemps vécu leur non institutionnalisation comme un acte fondateur.

 

Au même moment où commencent à se structurer les lieux de vie, un certain nombre d’expériences originales voient le jour. C’est notamment le cas du Service Educatif en Milieu Ouvert, dans le Calvados. Tout commence avec le relais demandé par les congrégations qui ont historiquement assuré l’accueil des enfants et adolescents en grande difficulté. Ici c’est l’œuvre intitulée La Charité qui prenait en charge des jeunes filles, qui va transmettre le flambeau à la Sauvegarde départementale : l’A.C.S.E.A. . Ce changement institutionnel est l’occasion d’un réaménagement des structures. Le choix qui est alors fait est de créer une structure d’accueil qui réponde aux fragilités des jeunes pris en charge et qui ne sont pas toujours en capacité d’assumer leur autonomie, sans pour autant relever d’une accueil en internat classique. Le concept de base du service qui se met en place est de proposer une intervention au sein de la famille qui puisse se combiner à un moment ou à un autre, avec un hébergement. Cet hébergement peut prendre la forme d’une sollicitation de la famille élargie du jeune, du réseau (foyer de jeunes travailleurs, chambres en ville, internat scolaire...), mais aussi au sein d’une petite maison comportant quelques chambres d’accueil. Lorsque la nécessité apparaît d’une prise de distance entre le (la) jeune et sa famille, un accord est passé entre le mineur, ses parents et le service. Elle est appliquée d’une manière adaptée : ce qui est avant tout recherché, c’est le maintien du cadre de vie (proximité), la réversibilité de l’option (souplesse) et l’utilisation de la fonction hébergement comme un outil à côté de bien d’autres (transformation de l’objectif en moyen). Cette procédure ne s’oppose ni à une mesure de placement, ni à une mesure d’AEMO, mais vient compléter le dispositif proposé aux professionnels. L’urgence est rare. Mais, il peut arriver qu’un gamin débarque à 23h00 : il sera accepté. Dès le lendemain, la situation sera régularisée avec ses parents. Environ, cent nuits sont assurées ainsi, chaque année. Ce n’est pas là un taux d’occupation important. L’hébergement n’est qu’une possibilité et non l’objectif premier et l’hébergement en interne qu’une possibilité à côté d’autres. Se trouvent ainsi mêlés le travail de milieu ouvert et le travail d’internat. Mais attention, l’habilitation de départ ne prévoit pas cette possibilité de placement. C’est bien une ordonnance de milieu ouvert qui est accordée par le magistrat (90% des situations) ou un contrat d’aide éducative administrative qui est signé (les 10% des cas restant). On est là très clairement dans un dispositif pas vraiment reconnu par la loi, qui n’a aucune existence vraiment légale et qui est néanmoins adoubé par le juge des enfants et le conseil général.

 

Dans la décennie qui suivit l’élaboration du SEMO, un département situé à l’autre bout de la France innova à son tour. Dans le Gard, comme ailleurs, le passage brutal d’un enfant de son placement en internat éducatif à sa famille naturelle pose parfois problème. Les équipes éducatives ont souvent exprimé leur souhait d’un retour progressif qui permettrait que les uns et les autres se préparent et s’ajustent à cette nouvelle situation. Certaines maisons d’enfants ont, dès le début des années 80, expérimenté des dispositifs individualisés. Mais cela se faisait au coup par coup, d’une manière un peu bricolée. C’est que la loi était alors relativement rigide. Le juge des enfants a, à sa disposition, deux mesures bien distinctes pour faire face à une problématique de mineur en danger : soit il désigne un service éducatif en lui demandant d’assurer un travail au sein de la famille, soit il confie l’enfant à un tiers (qu’il soit une personne physique ou morale). Mais, rien ne l’autorisait à prendre une mesure de l’entre deux : l’enfant est soit sous la responsabilité de ses parents (et est donc chez eux) soit du service ou de la personne désignée à cet effet (et il n’est pas dans sa famille). Le Service d’Adaptation Progressive en Milieu Naturel (SAPMN) a cette particularité de proposer une solution médiane qui, pour avoir une grande pertinence éducative, n’en était pas moins illégale : autoriser qu’un enfant soit en permanence avec ses parents, alors même qu’il est placé sous la responsabilité d’une maison d’enfant ! Comment cela se passait-il concrètement ? C’est le magistrat qui indique à la famille, dans son cabinet, qu’il confie l’enfant à une maison d’enfants mais que celui-ci vivra au domicile familial. Il précise que cette mesure  donne le pouvoir à la maison d’enfants de suspendre l’hébergement soit à la demande de la famille, soit en cas de danger d’une manière autoritaire. Au départ, l’idée était bien d’aménager une phase de transition entre la période d’hébergement en internat et le retour définitif. L’enfant restait officiellement placé, mais faisait un séjour test prolongé dans sa famille, accompagné par un intervenant qui s’inscrivait dans le « faire avec » ou « le faire faire » et non plus dans le faire à la place des parents. Cette aide durait jusqu’au moment où la cohabitation de l’enfant avec ses parents s’avérant concluante, on pouvait envisager un retour définitif (avec main levée de la mesure de placement). Mais, très vite, les magistrats ont utilisé ce dispositif, pour tenter d’éviter la mesure de placement en internat. Seul département à officialiser cette nouvelle procédure, le Gard a aujourd’hui banalisé le Sapmn comme l’une des mesures du dispositif éducatif aux côtés de l’aide éducative auprès des parents (judiciaire ou administrative), du placement familial, de l’internat éducatif ou du simple accueil de jour (aide aux devoirs, activités du mercredi ...). Le Sapmn ne se confond pas avec une AEMO renforcée qui, quoi qu’intensive, n’autorise pas l’éducateur qui se déplace à domicile à faire autre chose que du soutien et de l’assistance, l’exercice de l’autorité parentale restant intacte. Alors que dans le cadre du Sapmn, l’intervenant peut, à tout moment, être amené à procéder à un retrait autoritaire de l’enfant, s’il constate un danger. L’éducateur d’AEMO confronté à la même situation devra passer par un signalement (y compris en urgence auprès du procureur). Cette mesure nécessite un minimum de compétences des parents. Elle touche ses limites dès que l’intervention du professionnel devient trop intrusive : elle risque alors de placer les parents en porte-à-faux, l’éducateur venant en permanence contester leurs décisions. Il vaut mieux, dans ce cas-là, s’orienter vers un internat classique. L’une des raisons du succès de cette mesure, c’est aussi la large concertation qui a entouré son élaboration et le choix qui a été fait, une fois le cadre posé, de laisser à chacune des douze maisons d’enfants du département qui l’ont toutes adoptée, la liberté d’en définir les modalités d’application.

 

Des pratiques enfin reconnues par la loi

Pendant des décennies, les lieux de vie, le SEMO ou le SAPMN ont fonctionné sans filet juridique.  Malgré la pertinence de leur dynamique, la société a mis bien longtemps à officialiser leur pratique.

La loi de 1975 relative aux structures sociales et médico-sociales n’évoque à aucun moment les structures non traditionnelle.

Il a fallu attendre 1983, pour que l’Etat élabore une première définition légale de ces structures d’accueil, précisant « qu’elles sont nées d’une prise de conscience des limites du travail en institution ». Trois statuts juridiques permettent alors le fonctionnement de ces structures : tiers digne de confiance, assistant maternel, ou établissement spécialisé. Cette circulaire marque le début d’une demande de reconnaissance qui va durer presque 20 ans. Cette période verra se développer nombre d’expériences malheureuses due au manque de cadre et de contrôle de ces structures et de leurs projets.

 

Il faut attendre près de trente ans la loi 2002-2 pour les voir s’inscrire dans un cadre légal. Les structures d’accueil non traditionnelles sont maintenant soumises à un régime d’autorisation, à l’évaluation et au contrôle. Un des permanents au moins doit vivre sur place, l’encadrement minimal doit être de 1 éducateur pour 3 jeunes et l’accueil de 3 à 7 jeunes maximum sous le même toit.  La publication des décrets d’application le 31 Janvier 2004 donne deux ans aux lieux de vie pour se mettre en conformité avec la loi. Le statut d’assistant maternel devrait disparaître au profit de celui de lieu de vie au fil des renouvellement d’agréments.

C’est la loi votée en mars 2007 et qui vient réformer la protection de l’enfance qui a modifié l’article L774-3 du code travail, en créant les statuts d’assistants permanents, et de permanents responsables, en fixant une durée annuelle de travail de 258 jours, permettant aux équipes éducatives des lieux de vie de ne pas respecter les 35 h et les amplitudes horaires légales qu’elles impliquent. Cette étape était indispensable pour pouvoir travailler légalement dans le cadre du « vivre avec »

 

La nouvelle loi a aussi reconnu un certain nombre de pratiques faisant partie depuis quelques temps déjà du quotidien des professionnels, pratiques qui n’étaient pas formellement spécifiées par la loi. Il en va ainsi du séquentiel, forme d’accueil de l’enfant qui alterne souplement séjour en famille et séjour en lieu tiers, selon des modalités collant au plus près de la réalités de chaque situation : « Sont pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance  1) les mineurs qui ne peuvent demeurer provisoirement dans leur milieu de vie habituel » ce à quoi a été rajouté : « et dont la situation requiert un accueil à temps complet ou partiel, modulables selon leurs besoins, en particulier de stabilité affective » (Article 222-5 CAFS). Légalisation aussi de la prise en charge provisoire des jeunes fugueurs, pratique que certains parquets autorisaient déjà pour permettre l’hébergement et l’engagement d’un travail éducatif :  « En cas de danger immédiat ou de suspicion de danger immédiat concernant un mineur ayant abandonné le domicile familial, le service peut, dans le cadre des actions de prévention, pendant une durée maximale de soixante-douze heures, accueillir le mineur, sous réserve d'en informer sans délai les parents, toute autre personne exerçant l'autorité parentale ou le tuteur, ainsi que le procureur de la République. » (article L223-2 CAFS).

 

 

Epilogue

Quels enseignements tirer de cette évolution ?

Nous nous proposons d’en relever trois.

Notre pays semble avoir une culture qui ne se prête pas toujours à l’innovation. Il a fallu plus d’une trentaine d’années pour que des pratiques comme celles des lieux de vie, du SEMO ou du SAPMN soient enfin reconnues par la loi. L’une des explications de cet état de fait relève sans doute de la place prise dans notre pays par un Etat qui, historiquement, a pesé lourdement. La centralisation prégnante supplanta pendant très longtemps les initiatives en provenance de la société civile. Contrairement à ce qui se déroulait dans de nombreux pays à régime fédéral, où le pouvoir central n’intervient que d’une manière subsidiaire par rapport au secteur associatif ou aux instances politiques locales, en France, la toute puissante DDASS, représentante locale du ministère des affaires sociales, régenta pendant des décennies toute l’action sociale. Cette centralisation jacobine eut pour effet de freiner les initiatives locales. Il va falloir du temps sans doute pour sortir de cette tradition et faire émerger une autre culture.

 

Second enseignement, si l’on veut renoncer au fonctionnement traditionnel qui consiste à faire entrer de force l’enfant et sa famille dans des cases pré-établies, il faut cesser de vouloir identifier quel est le dispositif le meilleur. Cette quête est vaine, tant les situations sont à chaque fois uniques et différentes. Cela signifie renoncer à une opposition ou une compétition entre les différente modalités d’intervention. Cela implique tout au contraire de les articuler avec intelligence.  Il apparaît notamment nécessaire de proposer des modalités d’aide et d’accompagnement diversifiées permettant de s’adapter au plus proche de la difficulté constatée. Entre une veille des services de première ligne (soutien à la parentalité, revalorisation des compétences parentales) et l’accueil prenant en charge l’enfant, d’une manière quasiment substitutive, face à des parents présentant une incompétence sévère chronique, il convient d’inventer toute une série de paliers intermédiaires qui puisent répondre à la notion d’individualisation du parcours de l’enfant.

 

Troisième leçon : la diversification des prises en charge nécessitera des efforts contigus en terme de souplesse, de capacité d’adaptation et de réactivité tant en ce qui concerne les moyens que l’action socio-éducative devra se donner qu’en ce qui concerne l’implication des professionnels.

Du côté des financeurs, la place donnée à la répression, à l’enfermement et à la logique sécuritaire est en train de phagocyter tous les moyens financiers de l’action éducative. Comment imaginer dans ces conditions la généralisation d’un service comme le SEMO qui fonctionne avec cinq postes et demi d’éducateurs pour trente prise en charge ? Pourtant, la qualité de la prévention qui en résulte est sans commune mesure en terme de résultats.

Du côté des professionnels, la nécessité de respecter l’amplitude horaire exigée par le code du travail impose de multiplier les intervenants ce qui participe à des minis ruptures insécurisantes qui ne font qu’augmenter les tensions, et les angoisses avec lesquels les jeunes accueillis sont aux prises. « Dans la profession d’éducateur auprès d’enfants placés, les 35 heures constituent la plus grande attaque qui puisse être contre la construction d’un lien structurant » affirme Maurice Berger. Il ne s’agit pas de revenir à la pratique professionnelle pionnière où l’intervenant était taillable et corvéable à merci, mais de réfléchir à une nouvelle alliance qui permette de redonner du sens au travail éducatif et de répondre aux besoins de l’enfant.

 

Jacques Trémintin - Novembre 2007