JET ANAS - 2007 - Synthèse de la journée

La journée du 7 juin a commencé par l’intervention de Florence Osty qui a identifié pour nous l’une des sources de la souffrance au travail. Après avoir rappelé que la sociologie a beaucoup travaillé sur les professions, mais pas sur les métiers, elle nous a proposé un cadre d’analyse portant sur ces derniers. Elle a tout d’abord distingué le métier vu par les employeurs de celui vu par les salariés. Les managers sont avant tout intéressés par la gestion des qualifications, la stimulation des responsabilités ainsi que la mobilisation autour des tâches requises par le contrat de travail. Il n’en va pas de même des salariés qui cherchent avant tout au travers du métier qu’ils pratiquent une identité et une compétence. Une identité d’abord, dès lors qu’ils trouvent dans leur travail la possibilité d’exister en tant que sujet et d’agir d’une manière créative. Une compétence ensuite, dès lors que leur activité induit une forme d’art. Un véritable métier ne se limite  pas exclusivement à des savoirs. Il implique la capacité à transformer des expériences nouvelles en savoir-faire et à répondre par l’innovation aux situations fortuites et aléatoires. Plusieurs registres explicatifs permettent de comprendre pourquoi un métier n’apporte pas toujours la satisfaction et l’image positive de soi que l’on pourrait en attendre. Florence Osty a évoqué notamment ces exigences récurrentes de la part des employeurs de toujours plus de flexibilité, plus de réactivité, plus d’adaptabilité qu’ils proposent d’atteindre en échange d’une plus grande marge de manoeuvre.  Cette autonomie sous contrôle prend l’individu au piège de son désir. Car, en accordant une plus grande initiative à ses salariés, l’employeur le rend responsable du respect du coût, de la qualité et du délai. D’où une situation totalement paradoxale : soit le salarié accepte le défi d’une plus grande responsabilisation, source d’un plus grand plaisir, mais avec le risque que cela se retourne contre lui. Soit, il le refuse, préférant s’enfermer dans un rôle étroit et précis, attitude bien plus sécurisante mais qui lui procure une bien plus grande insatisfaction au travail.

Et, ce sont ces changements que sont amenés à accompagner les assistants sociaux du travail. Fort justement, Michèle Cauletin rappellera que la fonction du métier ne se résume pas à la transformation de l’usager. Contrairement à ce que nous incite a faire notre société qui place au niveau de l’excellence la capacité à régler des problèmes, le professionnel reste dans ses attributions quand il assure une présence et une continuité auprès de l’autre, sans forcément chercher à le faire changer. Des épreuves justifient parfois non qu’on les résolve mais qu’on les traverse en ayant à ses côtés une présence seulement bienveillante ajoutera-t-elle.

La fonction d’assistante sociale du travail consiste à tenter de prévenir et de limiter les conséquences individuelles et collectives dues aux évolutions institutionnelles afin de préserver la qualité de vie au travail ont expliqué Marie-Christine Delpeyrou et Françoise Mathieu dans l’atelier n°1. Il s’agit de rechercher des solutions adaptées qui tiennent compte à la fois des besoins et des potentialités de la personne, mais aussi des exigences et des contraintes de l’environnement professionnel et/ou personnel. Ce qui est d’autant moins facile à mener quand l’assistante sociale n’est pas associée aux décisions de changement et agit après qu’il soit intervenu et qu’il ait provoqué difficultés et souffrance.

Eric Le Bont, DRH chez Peugeot Citroën le confirmera : c’est trop souvent quand cela va mal que l’on fait appel à l’assistante sociale de l’entreprise. Pas forcément très représentatifs de ses collègues, il attend du service social du travail un rôle d’alerte et d’expertise en amont des problèmes dans une logique de prévention. Il en va de la légitimité de ce service,explique-t-il, qu’il souhaite voir repositionné au sein du service des ressources humaines. Il en appelle à une meilleure articulation du social et de l’économique, illustrant son propos par l’action volontariste de son entreprise pour le recrutement de personnels porteurs de handicap. Il reconnaîtra la difficulté, après avoir été considéré comme particulièrement bienveillant, de voir sa crédibilité être ébranlée par un subit plan de licenciement portant sur 4.800 postes.

Cette perception ambivalente est aussi le sort réservé aux assistantes sociales du travail qui peuvent tour à tour -comme nous l’a démontré Anne Marie Ricard- être profondément méprisée par la presse et considérée comme d’authentiques anges gardiens. La façon dont elles se vivent dépend à la fois de la manière dont elles perçoivent leur action et de la façon dont elles sont perçues dans l’entreprise.

Charlotte Simon a tenté de définir cette perception au travers d’une enquête par questionnaires et d’entretiens qu’elle a consacrés aux professionnels de ce secteur. Les réponses qu’elle a collectées montrent que les assistantes sociales se voient avant tout comme des expertes sociales à l’interface entre vie personnelle et vie professionnelle, des observatrices en position intermédiaire entre les salariés et l’encadrement, en équilibre entre l’écoute de la hiérarchie et la prise de distance à son égard.  Dans un contexte très éloigné de la culture du social, l’assistante sociale du travail se doit de toujours essayer de persuader, influer et convaincre, en démontrant l’utilité de sa place et de son rôle.

Pourtant, une opportunité a permis ces dernières années de renforcer encore la pertinence de l’action du service social du travail. Sous l’influence du monde anglo-saxon, les entreprises sont sommées tant au niveau mondial qu’européen et nationale d’assumer leurs responsabilités en terme de développement durable. C’est le triptyque RSE qui recouvre les dimensions à la fois économiques, sociales et environnementales que nous a présenté Isabelle Tissier. Le périmètre ainsi tracé est immense, explique-t-elle : maîtrise des risques psychosociaux, politiques en directions des seniors, des personnes porteuses de handicap, l’accompagnement des parcours professionnels, la santé au travail. Par sa dimension d’expertise et son savoir-faire accumulé depuis des années, le service social du travail apparaît particulièrement bien placé pour se saisir de cette question, sauf à ce qu’il laisse d’autres experts s’en emparer.

Mais, cette action, comme beaucoup d’autre ne pourra se réaliser à partir d’un superbe isolement de l’assistante sociale. Tout en appelant à la vigilance face à une notion galvaudée, Dominique Paturel a énoncé dans l’atelier n°5, cinq principes que doit respecter le partenariat pour être validé. Ce sont : l’intérêt mutuel des partenaires (chacun doit y trouver une source d’intérêt), leur égalité (liens non hiérarchiques et horizontaux), leur autonomie (chacun est libre de son engagement), leur coopération (impliquant l’entraide et des échanges signifiants entre eux) et enfin l’évolution du partenariat (qui s’instaure dans une durée donnée).

Dans le début de ses propos, Charlotte Simon a évoqué la profession d’assistante sociale du travail comme étant en questionnement permanent sur son identité et le sens de son action. Cette première journée a confirmé cette dynamique. A consulter les thèmes de la seconde journée, il ne va pas il y avoir de changement radical de cap. Une profession qui est toujours prête à se remettre en cause et à s’interroger tant sur sa raison d’être que sur son devenir, ne saurait tomber ni dans la routine, ni dans le nombrilisme.

 

Jacques Trémintin - 7 juin 2007