Société Générale 2008

Le secret professionnel de l’assistante de service social

Paradoxe du secret professionnel :
 
►  Interdiction faite par la loi de communiquer quoi que ce soit de leurs suivis à leurs partenaires du champ social. Le code pénal établit dans son article 226-13, les sanctions en cas de violation de ce secret : un an d’emprisonnement et 15.000 euros d’amende.
 
►  Généralisation de cette position est intenable dans un contexte marqué de plus en plus par la dimension inter partenariale, où la transmission d’informations apparaît incontournable. L’attitude des assistants de service social s’apparenterait en quelque sorte au paradoxe : « je veux bien tout connaître de ce que vous-même savez dans cette situation, mais vous ne saurez rien de ce que je sais moi-même »
 
De nombreux secteurs de l’action socio-éducative ont de fait plus ou moins régulé ce problème : les réunions de synthèse de protection de l’enfance, les réunions d’équipe d’établissement d’accueil pour enfants ou pour adultes, les commissions d’admission où il faut présenter un dossier, les instances auprès desquelles solliciter une aide financière etc… Cela fait longtemps que les assistants de service social qui interviennent dans ces contextes particuliers, quoique de plus en plus fréquents, jonglent avec ce qu’ils décident de dire ou de ne pas dire.
D’où l’intérêt d’explorer précisément ce que recouvre ce secret à la fois tant décrié et tant revendiqué.
 

 

1- Les sources du secret professionnel

1-1 Première source : la protection de la vie privée

La notion de vie privée apparaît donc bien comme l’un des fondements de la modernité et de la démocratie.
Elle trouve une protection tant dans le droit internationale que dans le droit national.
La déclaration universelle des droits de l’homme proclamée par l’ONU en 1948 précise dans son article 12 : « Nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes. »
 
Le droit français confirme cette tendance : si l'article 9 du Code civil affirme ainsi que «chacun a droit au respect de sa vie privée », les articles 226-1 et suivants du code pénal punissent de peines pouvant aller jusqu’à « un an d'emprisonnement et 45.000 € d'amende le fait, au moyen d'un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui ». 
Le secret professionnel protège d’abord l’intérêt privé : toute personne a droit à l’intimité, à un espace de vie protégé du regard extérieur. D’où l’obligation de celles et de ceux qui pénètrent dans l’espace privée de ne pas révéler ce dont ils ont eu connaissance.
 

1-2 Seconde source : l’intérêt général.

La société reconnaît à certaines professions une utilité qui justifie qu’elles utilisent le secret professionnel afin de favoriser les confidences qui peuvent leur être faite.
C’est le cas de la médecine, de la profession d’avocat ou encore du service social qui agissent sur des faits personnels et privés des usagers.  Leur travail ne peut s’exercer que dans le cadre d’une relation de confiance, librement consentie, dénouée de tout contrôle et assurant la non divulgation des confidences apprises. 
Le risque de savoir le secret dévoilé aurait comme conséquence immédiate  le refus des usagers de se confier et l’impossibilité d’accomplir ses missions. Ainsi, la garantie du secret professionnel est indispensable à l’exercice de ces professions qui deviennent ainsi un « confident nécessaire ».
 
Le secret professionnel est de ce fait non seulement une obligation légale  et morale, mais aussi la condition indispensable au bon déroulement d’une mission. Il constitue un droit pour l’usager et une obligation pour le professionnel.
 
 

2- Les personnes concernées

Il faut distinguer les personnes qui sont tenues au secret professionnel de part leur état ou leur profession de celles qui le sont du fait de leur mission.
           

2-1 Par profession ou par état

Le secret professionnel naît avec la rédaction du Code pénal en 1810. Il concerne alors les médecins qu’on ne veut plus voir à l’origine d’indiscrétions sur les familles où ils interviennent. Il va progressivement s’étendre aux praticiens et auxiliaires médicaux : les Chirurgiens-dentistes (décret du 27 juillet 1967, art. 5), les infirmiers (Code de la santé publique, art. 481), les Masseurs kinésithérapeutes et pédicures (Code de la santé publique, art. 500), les Orthophonistes (Code de la santé publique, art. L. 504-5), les Audioprothésistes (Code de la santé publique, art. L. 510-6) etc…
 
La logique qui concerne les professions de santé va bientôt gagner toute une série d’autres professions : les assistants sociaux, les avocats, les officiers ministériels (huissiers, notaires), les magistrats, les banquiers, les officiers de police judiciaire … jusqu’aux ministres du culte (prêtres, pasteurs, rabbins) qui y sont tenus par « état ».
 

2-2 Par mission ou par fonction

Bientôt, toute une série de missions vont être impliquées elles aussi par le respect du secret professionnel tels les agents de la sécurité sociale, les personnes travaillant au sein d’établissement accueillant des mineurs, des handicapés, des personnes âgées, les membres de la CNIL, de la CADA (commission d’accès aux documents administratifs), des CLI, des aides médicales, les secrétaires des C.C.A.S., les membres des commissions d’admission à l’aide sociale. Mais aussi les fonctionnaires des trois fonctions publiques soumis au secret professionnel dans les cadres des règles instituées par le code pénal et à une obligation de discrétion professionnelle pour tous les faits, informations ou documents dont ils ont connaissance dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions».
 

2-3 La situation des assistants de service social

Les assistants de service social constituent la seule profession sociale à se voir imposer par la loi l’obligation du secret professionnel. Cette modalité est inscrite à l’article 411-3 du Code de l’Action Sociale et des Familles,  qui stipule : « Les assistants de service social et les étudiants des écoles se préparant à l’exercice de cette profession sont tenus au secret professionnel dans les conditions et sous les réserves énoncées aux articles 226-13 et 226-14 du Code Pénal ».
 
Au cadre législatif correspond le cadre déontologique. Le Code de Déontologie élaboré dès 1945 par l’Association nationale des assistants sociaux consacre deux articles à l’obligation du secret professionnel :
« Art. 3 – De la confidentialité
L’établissement d’une relation professionnelle basée su la confiance, fait de l’Assistant de Service Social un « confident nécessaire » reconnu comme tel par la jurisprudence et la doctrine.
Art. 4 – Du secret professionnel
L’obligation légale de secret s’impose donc à tous les assistants de Service social et étudiants en service social, sauf dérogations prévues par la loi. »
Le secret professionnel est donc constitutif de l’exercice même de cette fonction.
 
 

3- Ce qui peut libérer du secret professionnel

On distingue deux circonstances que l’on peut considérer comme autant d’exceptions à l’obligation du secret professionnel : la situation particulière des professionnels mandatés et la protection d’usagers particulièrement fragiles.
 

3-1 La situation particulière du professionnel mandaté

L’assistant social peut recevoir délégation par le tribunal de grande instance, le juge des enfants le juge des affaires matrimoniales, pour effectuer une enquête, tant au civil (pour décider de l'attribution du lieu de résidence des enfants et du droit de visite à l'issue d'un divorce ou dans le cadre d'une mesure d'assistance éducative) qu’au pénal (lors d'une procédure relative à l'enfance délinquante, mission de délégué à la probation).
Reste que le mandaté  continue à être un technicien tenu par le secret professionnel sur tous les points étrangers à sa mission.
 

3-2 Les restrictions du code pénal

L’article 226-14 précise les conditions dans lesquelles la révélation du secret est autorisée.
C’est le cas d’abord des situations de privations ou de sévices, d'atteintes ou mutilations sexuelles, infligées à un mineur ou à une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique.
 
Une seconde exception a  été introduite à la suite de la tuerie intervenue le 26 mars 2002 au sein du conseil municipal de Nanterre, un déséquilibré ayant tiré sur les conseillers réunis dans la mairie. Elle s’adresse aux professionnels de la santé ou de l'action sociale qui peuvent informer le préfet du caractère dangereux pour elles-mêmes ou pour autrui des personnes qui les consultent et dont ils savent qu'elles détiennent une arme ou qu'elles ont manifesté leur intention d'en acquérir une.
 
 
La troisième qui finira finalement par s’imposer interviendra à l’occasion du vote de la loi sur la prévention de la délinquance en mars 2007 qui affirme dans on article 8 : « Art. L. 121-6-2. - Lorsqu'un professionnel de l'action sociale, définie à l'article L. 116-1, constate que l'aggravation des difficultés sociales, éducatives ou matérielles d'une personne ou d'une famille appelle l'intervention de plusieurs professionnels, il en informe le maire de la commune de résidence et le président du conseil général. L'article 226-13 du code pénal n'est pas applicable aux personnes qui transmettent des informations confidentielles dans les conditions et aux fins prévues au présent alinéa. Lorsque l'efficacité et la continuité de l'action sociale le rendent nécessaire, le maire, saisi dans les conditions prévues au premier alinéa ou par le président du conseil général, ou de sa propre initiative, désigne parmi les professionnels qui interviennent auprès d'une même personne ou d'une même famille un coordonnateur, après accord de l'autorité dont il relève et consultation du président du conseil général. Lorsque les professionnels concernés relèvent tous de l'autorité du président du conseil général, le maire désigne le coordonnateur parmi eux, sur la proposition du président du conseil général. Le coordonnateur est soumis au secret professionnel dans les conditions prévues aux articles 226-13 et 226-14 du code pénal. Par exception à l'article 226-13 du même code, les professionnels qui interviennent auprès d'une même personne ou d'une même famille sont autorisés à partager entre eux des informations à caractère secret, afin d'évaluer leur situation, de déterminer les mesures d'action sociale nécessaires et de les mettre en œuvre. Le coordonnateur a connaissance des informations ainsi transmises. Le partage de ces informations est limité à ce qui est strictement nécessaire à l'accomplissement de la mission d'action sociale. Le professionnel intervenant seul dans les conditions prévues au premier alinéa ou le coordonnateur sont autorisés à révéler au maire et au président du conseil général, ou à leur représentant au sens des articles L. 2122-18 et L. 3221-3 du code général des collectivités territoriales, les informations confidentielles qui sont strictement nécessaires à l'exercice de leurs compétences. Les informations ainsi transmises ne peuvent être communiquées à des tiers sous peine des sanctions prévues à l'article 226-13 du code pénal. »
Comme on le voit, ce texte autorise le partage de l’information entre intervenants sociaux. La question du secret professionnel partagé avait déjà fait l’objet d’un débat parlementaire au moment de la refonte du Code Pénal, en 1992. La crainte d’une fragilisation de ce principe essentiel avait finalement convaincu le législateur de renoncer à ce partage.
 
 

4- La question du partage de l’information

4-1 Le partage avec la hiérarchie

Si le responsable hiérarchique est lui-même tenu au secret professionnel, il peut bénéficier de la révélation d’informations, mais à condition qu’elle soit  justifiée par l'intérêt de l’usager. Il n'y a pas lieu de transmettre toutes les confidences reçues, mais seulement celles nécessaires à l'action entreprise.
Si le responsable hiérarchique n’est pas tenu au secret professionnel, il ne peut prétendre contraindre l’assistante sociale à lui communiquer les informations en sa possession
Un arrêt récent de la Cour de cassation, confirmé par la Cour de renvoi précise quelque peu le statut de l'assistant social du travail.
 
La société Roussel-Uclaf, à la suite de la mutation, dans une de ses filiales, de l'assistante sociale qui occupait les fonctions de chef de service, la remplace par une dactylo de ce même service.
Catherine Rey, assistante sociale de la société, refuse de rendre compte de ses démarches à son nouveau supérieur hiérarchique et de lui faciliter l'accès à son fichier contenant les dossiers sociaux. Madame Rey invoque le secret professionnel qui la lie et auquel n'est pas soumis son chef de service. L'employeur la licencie le 31 octobre 1973, pour attitude injustifiée et vexatoire constitutive de faute grave.
Le litige conduit les parties devant le tribunal d'instance de Noisy-le-Sec qui statue en matière prud'homale et lui donne tort. L'assistante sociale fait appel de cette déci­sion. La Cour d'appel de Paris la confirme. L'intéressée introduit alors un pourvoi en cassation. La cour de cassation casse l'arrêt de la Cour d'appel de Paris et renvoie l'affaire devant la Cour d'appel d'Orléans qui se range à la décision de la Cour de cassation pour donner raison à l'assistante sociale.
 
Les précisions apportées par cette jurisprudence peuvent se résumer ainsi :
—   « l'assistante sociale, soumise à l'autorité de son chef de service, est aussi tenue de ne pas révéler, à celui-ci, les secrets qui lui sont confiés en sa qualité d'assistante sociale » ; elle doit être « sur le plan du secret professionnel concernant ses activités spécifiques, considérée comme complètement indépendante » ;
—   le chef de service qui ne possède pas le diplôme d'assistant social, « n'est pas, par voie de conséquence, tenu au secret professionnel mentionné à l'article 225 du Code de la famille » ;
—   « le supérieur hiérarchique peut demander à l'assistante sociale de rendre compte de son activité à condition que cela n'entraîne pas la violation du secret professionnel. Il ne peut exiger la remise des clés du fichier personnel de l'assistante contenant des renseignements sur les salariés de l'entreprise venus la consulter ».
 

4-2 Le partage entre partenaires

Sans valeur légale, cette pratique est néanmoins courante. Elle pose à l’évidence un problème éthique : comment articuler l’obligation du secret avec la transmission d’informations nécessaire pour mener à bien l’action au bénéfice des personnes aidées ?
Comment concilier les deux ? Telle est la question essentielle.
Plusieurs pistes pour concevoir une réponse.

 
Dans le même sens, le N° 205 de la Revue Française de Service Social (2002) a été consacré au « Partage de l’information ». C. GARCETTE y propose une démarche consistant à se poser 4 questions préalables à tout partage d’information :
1. Quel est l’objet du partage d’information, à quoi va-t-il servir, quel est son objectif ?
2. A qui va être transmise l’information : personnes tenues au secret professionnel ou non, en interne ou en externe ?
3. Que vont devenir les informations ainsi transmises ? Resteront-elles à un stade oral ou vont-elles être utilisées dans un rapport écrit ou informatisé ? Nous n’avons pas la maîtrise  de ce que peut faire l’autre de ce que nous lui disons, alors mieux vaut de s’interroger avant.
4. L’usager est-il d’accord ou au moins au courant de ce que nous allons transmettre de lui ?
 
Le Code de déontologie consacre lui aussi deux articles qui spécifient les devoirs envers les usagers lors des situations de partenariat :
« Art 18 : La situation de l’usager impose souvent la nécessité soit d’une concertation interdisciplinaire, soit de faire appel à un dispositif partenarial mettant en présence des acteurs sociaux diversifiés ou de multiples institutions.  L’assistant de service social limite alors les informations personnalisées qu’il apporte aux seuls éléments qu’il estime strictement indispensables à la poursuite de l’objectif commun.
Art 19 : Dans ces instances, l’assistant de service social veille plus particulièrement à la confidentialité des informations conformément aux droits des usagers. »
 
 

Epilogue

La question du secret professionnel ne saurait se résumer à un simple détail sans importance. Il implique à la fois une vision méthodologique, déontologique et éthique non seulement d’un métier mais aussi de la société.
 
« N’oublions jamais l’époque, pas si lointaine, où les listes nominatives ont servi à l’extermination de populations entières, époque où ceux qui savaient n’ont rien dit, époque où les listes nominatives ont été remplies sans état d’âme par les « obscurs » qui obéissaient sans réfléchir. L’ANAS invite avec toute la force nécessaire chaque travailleur social à son devoir de lutte contre les arbitraires rencontrés au quotidien.  Il n’y a pas de fatalité en la matière, la résistance à ce genre de pratiques est un devoir.  Il appartient aux travailleurs sociaux de  se rapprocher des associations d’usagers, de les informer des pratiques arbitraires qu’ils constatent et de lutter à leurs côtés. » (Erwan TANGUY «  Du bon usage du partage de l’information », dans La Revue Française de Service Social N° 205).
 

Jacques Trémintin – Juin 2008