Conseil Général 49 - 2008

Schéma départemental conjoint de l’Enfance et de la Famille en Maine et Loire 2005/2010

Bilan d’étape, Angers, 12 juin 2008

1-  Compte-rendu des interventions du matin

Vincenzo Cicchelli, sociologue, a commencé par nous inviter à dépasser les discours sur les prétendues crises de la famille et de l’adolescence dont la France se plaint trop souvent. Ainsi, refuse-t-il d’évoquer les difficultés rencontrées en matière éducative, en terme d’autorité. Il préfère parler de cette responsabilité, que Lévinas définit comme la capacité de répondre de l’autre dont on a la charge. Si on assiste depuis quelques années à une excroissance de cette notion, les parents en représentent le paradigme idéal, tant dans les attributions qui leur reviennent que dans les paradoxes auxquels ils sont confrontés. Etre parent aujourd’hui implique de nouvelles contraintes. Celle d’abord de la mission impartie. Avant 1914, ils devaient procurer des soldats à l’Etat, dans la perspective de la revanche. Dorénavant, ils doivent fournir à la société des consommateurs. Ils sont mis en demeure d’y arriver, leur responsabilité s’étirant à l’infini. Ils sont ainsi comptables de la sécurité, de la  plénitude, de l’épanouissement, du développement psychomoteur, des études, etc … de leurs enfants. Ils ont à répondre des cas de négligence manifeste, leur espace privé faisant alors l’objet d’une intrusion sans réserve. La plus grande vigilance quant aux dysfonctionnements qu’ils peuvent manifester s’accompagne d’une plus grande exigence quant à leur implication. Seconde contrainte, le formatage des modalités d’éducation. La France est un des pays où le pluralisme des formes familiales est le plus important, mais où parallèlement des valeurs communes traversent le  « vivre en famille », bien plus basées sur l’affectif que la morale. Troisième caractéristique, l’évolution des rapports au sein du couple parental : si la responsabilité de la mère est largement identifiée, celle du père fait l’objet d’une plus grande confusion : autrefois, quand il rentrait du travail, il soulevait l’enfant de terre pour le porter à sa hauteur. Aujourd’hui il se met à quatre pattes. La société est passée d’une logique gérontocratique à une dimension juvéniliste.
 
Jean Pascal Assailly, psychologue, prenant le relais, a proposé de déconstruire les fausses idées portant sur les risques vécus par les adolescents et de réévaluer les facteurs effectifs de danger. Pour lui, trois représentations sont à combattre. Tout d’abord, ce n’est pas tant l’âge que le sexe qui confronte aux accidents potentiels. La prévention commence donc par une éducation qui sache se différencier, en fonction du genre (comme, par exemple, modifier les représentations de normalité pour les attitudes agressives des garçons). Il en va de même pour la croyance portant sur l’inexistence de facteurs génétiques et le refus de l’idée voulant que certains comportements soient héritables. La recherche a démontré que les enfants de parents alcoolo dépendants constituent un groupe à risque : il leur faut boire bien plus pour accéder à l’ivresse. Enfin, troisième fausse évidence : ce n’est pas la menace de mort ou de graves blessures, voire un handicap invalidant qui font changer les comportements dangereux des jeunes, mais le sentiment de responsabilité à l’égard d’autrui et notamment à l’égard de leurs proches. Quant aux facteurs effectifs de risque possible, il faut les chercher dans la construction identitaire du jeune. Les enfants qui ont souffert d’une mauvaise relation à leur figure d’attachement sont susceptibles de remplacer leurs émotions par des sensations, fortes de préférences. Tout comme ceux qui n’ont pas été confrontés à la loi symbolique pourront avoir tendance à aller la chercher dans le réel. Comme le montrent ces terrains de fragilité acquis, c’est l’environnement familial qui joue un rôle essentiel. L’attitude des adultes frappe les enfants bien plus que leurs paroles. Ainsi de la banquette arrière de la voiture, véritable fauteuil de cinéma depuis laquelle les enfants observent et enregistrent les comportements de leurs parents qu’ils auront tendance à reproduire.

 

2-  Synthèse des ateliers de l’après-midi

Des ateliers tenus l’après-midi a émergé toute une série de constats et de propositions que nous avons synthétisé ici  travers trois thèmes fédérateurs : la prévention, la protection et la coopération entre professionnels.
 

2-1 La prévention

Ce thème a été décliné dans cinq directions.
La première d’entre elles concerne la nécessité d’intervenir précocement, non comme l’a préconisé le rapport de l’Inserm dans une perspective prédictive, mais pour apporter une aide le plus tôt possible, quand elle se fait sentir. Et pour ce faire, il convient d’analyser qualitativement les statistiques, afin de mieux adapter les moyens à mettre en œuvre.
Deuxième axe : se placer au cœur des problématiques parentales, non seulement aux moments clés, mais tout au long de la croissance de l’enfant, en intervenant notamment avant que la crise ne survienne ; ce qui implique d’aller au-devant des parents (groupes de parole) et des adolescents (espace écoute), au lieu d’attendre qu’ils viennent à nous.
Troisième point à faire l’objet d’échanges nourris, la diversification des lieux d’intervention. La maison de l’adolescent, actuellement en gestation, a fait l’objet d’une attention toute particulière. Il est apparu indispensable de disposer d’un lieu susceptible de s’adresser aux jeunes qui ne disent rien et de faire émerger des non demandes, enfouies ou silencieuses. Cette maison devrait être conçue comme un espace d’écoute permettant aux jeunes d’aborder tous les sujets qui leur posent problème (sexualité, corps, problèmes familiaux, accès à un logement …). Mais, l’élargissement de structures de parole et d’intervention sur Saumur ou Cholet a aussi été évoqué. Sans oublier la piste d’une démarche qui s’inspirerait plus d’une logique territoriale que thématique.
Quatrième axe retenu ici : la posture professionnelle. On ne peut avancer dans l’approche préventive, si l’on ne privilégie pas un comportement de passeur plutôt que de sachant. Les parents ont une compétence et un bon sens qui doivent aussi être valorisés. Deux suggestions et une question ont été faites à ce propos. L’une, sémantique : parler systématiquement de la mère et du père quand on évoque les parents. L’autre,  méthodologique : former des parents relais qui pourraient jouer un rôle de conseillers et d’appui auprès de leurs pairs. La question a porté sur la place des parents dans la désignation de l’interlocuteur privilégié dans les prises en charge multiples.
Cinquième nécessité évoquée: le passage de l’expertise individuelle à l’action collective. Sans remettre en cause le colloque singulier entre le professionnel et l’usage (inspiré de la thérapie psychologique) qui constitue le modèle hérité des cinquante dernières années de l’action sociale, il importe de faire toute sa place au travail communautaire, au travail social de groupe, au développement social local.

 

2-2 La protection

Deux axes ont fait l’objet des réflexions en groupe. Le premier s’est intéressé à la diversification des modes de prise en charge qui privilégient le maintien des liens et évitent la rupture. Il s’agit de trouver des dispositifs intermédiaires entre l’AEMO et le placement, comme l’autorise dorénavant la réforme de la protection de l’enfance intervenue en mars 2007. Mais se pose aussi la question de la continuité de cette prise en charge, au-delà de la majorité pour éviter l’effet couperet, alors qu’à 18 ans, l’effort d’insertion et la nécessité d’accompagnement continuent à s’imposer. Le second axe concerne l’innovation permettant d’élargir les modes d’intervention. Il a été évoqué à titre d’exemple le parrainage ou des lieux pouvant accueillir simultanément parents et enfants.


2-3 La coopération

S’il est bien une question récurrente depuis quelques années, c’est celle du travail partenarial. Vœu pieu ou véritable entreprise, tout dépend des moyens que l’on se donne pour concrétiser cette aspiration. Cette dimension a été abordée sous trois angles. Mieux se connaître entre partenaires tout d’abord (ce qui permet d’éviter la disqualification du travail de l’autre). Les institutions évoluent, les personnels changent : il apparaît important d’actualiser la reconnaissance mutuelle. Les initiatives sont à l’œuvre, mais restent trop souvent dans l’anonymat. D’où la pertinence d’un vrai travail portant sur la circulation de l’information, la question éthique restant toujours d’actualité : sur quoi partage-t-on et avec qui ? L’idée ensuite d’une mise en réseau des professionnels. A pu ainsi être évoqués un  laboratoire d’échange des pratiques autour des adolescents les plus difficiles, mais aussi des réponses institutionnelles croisées, différentes maisons d’enfants à caractère social pouvant être amenées à réfléchir conjointement sur un éventuel accueil partagé et séquentiel dans des situations particulièrement difficiles. Mais, il est tout aussi important de former des adultes relais dans les lieux fréquentés par les jeunes (enseignants, animateurs...). La question du référent enfin : face à l’instabilité du parcours d’un enfant, un fil rouge peut permettre d’assurer un minimum de continuité et de cohérence dans son suivi, à condition que ce suivi se fasse lui aussi dans la continuité.
 
 

3- Commentaires et propositions

Les échanges qui se sont déroulés le 12 juin, pour très riches qu’ils aient pu être ne sont pas aux antipodes des débats et des questionnements qui traversent le secteur de l’action socio-éducative contemporaine.   
On peut définir ici quatre points forts qui pourraient constituer autant d’axes d’un plan d’action départemental.
 

3-1 La prévention

La place prise par la prévention dans les débats est symptomatique d’une prise de conscience importante du paradoxe de la nécessité de créer les conditions pour ne pas avoir à intervenir en protection.
Pourtant, en période de restriction budgétaire, le choix de privilégier la prévention n’est pas toujours facile à réaliser : autant un service peut facilement présenter le bilan annuel des actions qu’il a engagées, pour faire face à la détérioration des situations familiales (par exemple en comptabilisant le nombre de places en MECS ou en familles d’accueil, répondant aux ordonnances judiciaires de placement prises), autant le travail de fourmi permettant d’éviter cette même dégradation est bien moins objectivable.
C’est donc un pari que l’autorité politique doit prendre sur l’avenir, sans avoir la possibilité d’obtenir un résultat à court terme. Pour autant, ce qui remonte des acteurs de terrain est récurrent : c’est tout au long de la vie de l’enfant que les parents doivent pouvoir compter sur une écoute et une aide bienveillantes.
Quelles pistes envisager ? On ne peut demander aux professionnels de la protection de l’enfance d’être partout à la fois. C’est pourquoi il peut sembler intéressant de reprendre une idée qui a émergé le 12 juin : celle d’adultes ressources. On peut imaginer des groupes d’adultes médiateurs qui pourraient être constitués au sein des quartiers, des écoles maternelles et primaires, des collèges et des lycées, des centres aérés, formés pour intervenir en première ligne et servant de balises d’alerte pour interpeller les professionnels intervenant en seconde ligne (assistantes sociales de secteurs ou scolaires, PMI, etc …). Pendant longtemps, il existait des médiateurs spontanés qui jouaient un rôle d’interface naturelle. Ils ont disparu, remplacés par des professionnels, censés prendre le relais. La concrétisation d’une telle orientation provoquerait l’inversion de l’approche traditionnelle qui scinde clairement le monde entre les spécialistes et ceux qui ne le sont pas, ce qui nous amène au deuxième point de ce commentaire.
 

3-2 La posture professionnelle

L’action sociale qui s’est imposée depuis des années dans notre pays a suivi une logique exogène et descendante (issue de notre longue histoire centralisatrice) : de la même façon que les directions institutionnelles ont hérité d’une longue tradition à considérer qu’elles sont les seules à pouvoir donner des impulsions, les initiatives des travailleurs sociaux étant perçues avec plus ou moins de méfiance, ces derniers sont aussi marqués par une approche encore largement imprégnée de la conviction qu’ils sont les seuls capables de savoir ce qui est bon pour les usagers et que rien de pertinent ne peut venir spontanément de ceux-ci.
La journée du 12 juin a été l’occasion d’aborder cette question de posture professionnelle.
A notamment été évoquée la nécessité de se concevoir plus comme passeur que comme sachant. On est là dans la maïeutique socratique consistant à ne pas apporter de réponse directe à la demande, mais de faire émerger chez le sujet sa capacité à y répondre par lui-même. Il s‘agit alors de lui montrer non seulement ce qu’il sait, mais qu’il ne sait pas toujours qu’il sait. Dit autrement, on peut reprendre la démonstration de Saül Karsz qui explique les trois dimensions de l’action sociale : la charité (faire à la place de), la prise en charge (convaincre l’autre de ce qui est bien pour lui) et enfin la prise en compte (considérer l’autre comme le sujet de son projet).
Quelles pistes envisager ? Il semble nécessaire de partir de l’existant, de ce qui se fait déjà au quotidien. Il pourrait être réalisé un état des lieux des pratiques déjà engagées sur le terrain, afin de savoir comment avancer. Cela peut relever de la formation continue :  une action de type colloque largement ouvert aux professionnels de terrain, des stages proposés sur le thème de l’action sociale de groupe ou de développement social local. Ce qui est en jeu ici, c’est bien l’approche des professionnels qui a fait émerger le 12 juin une autre aspiration : le partenariat. Ce sera le point suivant de ce commentaire.

 

3-3 Le partenariat

La collaboration entre professionnels a toujours existé, chacun n’hésitant pas à utiliser son carnet d’adresse pour adresser un usager à un collègue. Même s’il utilise son réseau pour trouver des solutions et des ressources à une problématique, il reste le seul décideur de l’action qu’il a engagée. C’est du « faire avec » qui reste limité au travail individuel, simple juxtaposition d’interventions relevant de la collaboration.
Ce n’est pas du partenariat.
Les propositions formulées lors de la journée du 12 juin vont bien plus loin. Ce qui y a été revendiqué c’est le « faire-ensemble », ce regroupement de professionnels partageant tous le même projet ciblé et qui décident de mettre leur réflexion et leurs efforts en commun pour mieux répondre aux problèmes d’un usager. On se lie pour se compléter, car on est convaincu que la problématique en cause dépasse de loin les capacités d’un seul professionnel.
Pour qu’une telle démarche aboutisse, encore faut-il que les cultures institutionnelles et professionnelles s’y prêtent.
Le pré requis, du côté des institutions, c’est le renoncement à vouloir tout contrôler et l’acceptation de voir les relations horizontales échapper aux subordinations hiérarchiques traditionnelles.
Du côté des intervenants, il semble indispensable d’abandonner la quête de la bonne solution ou de la bonne méthode, chacun cherchant à convaincre l’autre de la validité de son point de vue. Travailler en partenariat implique la renonciation à toute volonté hégémonique ou vision dogmatique visant à imposer une approche dominante, au profit d’une concertation entre les différents angles de compréhension à partir desquels on perçoit l’usager.
Quelles pistes envisager ?  La Loire Atlantique voisine a conçu un dispositif original qui pourrait servir de source d’inspiration : le ROC (réseau d’observation croisé). Toutes les institutions ayant à faire à des adolescents se sont engagés à réserver une place permettant de recevoir un(e) jeune à qui l’on propose une succession de courts séjours. Chacune assure sa part d’observation, contribuant ainsi à une évaluation finale clinique, sociale, familiale et scolaire. Outre la prise en compte à la fois partenariale et pluridisciplinaire de chaque problématique, ce dispositif apporte un regard distancié à des équipes souvent épuisées par des situations devenues ingérables.
Le principe de la mutualisation des compétences peut aller au-delà de la simple observation.
On peut ainsi imaginer une commission constituée de représentants de toutes les institutions concernées et qui s’occuperait sinon de l’admission, du moins de la pré orientation des jeunes les plus en difficulté dans une logique partenariale, évitant ainsi la mise en concurrence des instances sollicitées, fonctionnant dans la logique du « paquet de pointes ».
Certains départements ont aussi expérimenté la possibilité pour un jeune en crise d’être accueilli provisoirement par un partenaire. Une place réservée systématiquement dans un certain nombre de maison d’enfant à caractère social ou de familles d’accueil pourrait y être dédiés, permettant ainsi de disposer d’un lieu de crise et de mise au vert temporaire.
De tels protocoles induisent un profond bouleversement des modes d’action de la protection de l’enfance qui est de toute façon en cours de mutations. Ce sera là le dernier point de ce commentaire.

 

3-4 Diversifier les modes d’intervention

Le principe de la diversification des modalités d’intervention a été validé par la loi de mars 2007, venant réformer le dispositif de protection de l’enfance. Il s’agit de trouver des formes intermédiaires entre la stricte intervention au sein de la famille et la séparation pure et simple. On connaissait l’AEMO avec possibilité d’hébergement (la Sauvegarde du Calvados l’ayant expérimenté dès les années 1970), le placement à domicile (le département du Gard faisant fonctionner le Service d’Adaptation Progressive en Milieu Naturel depuis les années 1980), le placement séquentiel (répartition sur la semaine ou sur le mois entre le séjour en famille et le séjour dans le lieu d’accueil), le plateau technique (l’association Montjoie a élaboré à Tours un établissement  proposant de nombreuses modalités d’accueil, le jeune pouvant circuler à l’intérieur de la même structure, selon son degré de maturation et son évolution). Bien d’autres innovations, peuvent voir le jour.
Quelles pistes envisager ?  En la matière, il convient non de cloner ce qui existe ailleurs, mais de partir des besoins identifiés par les partenaires du département, pour construire des dispositifs originaux qui répondent aux demandes locales. Une large consultation des partenaires permettrait de faire remonter des propositions constructives à mettre en œuvre ensuite collectivement.
 

Epilogue

La journée de 12 juin était destinée à relancer la dynamique entamée en 2005, autour du schéma départemental.
Il est essentiel que le matériau accumulé à cette occasion aboutisse à un plan d’action concret.
Mais, il est tout autant nécessaire que les participants ne soient pas laissés dans l’ignorance de ce qui est élaboré. Un plan d’action nécessite de multiples consultations et préparations, nécessitant un certain temps. Attendre la finalisation pour faire circuler l’information, c’est donner le sentiment qu’il ne se passe rien.
Se fixer des échéances et les rendre largement publiques permet de s’engager officiellement en terme de délais, d’objectif final et intermédiaires et de donner à voir ce que l’on met en œuvre.
 

Jacques Trémintin - Septembre 2008

 
 

Annexes : reportages sur des dispositifs diversifiés

 

1 - Entre AEMO et internat : le SEMO

Il arrive parfois que la situation d’une famille soit trop dégradée pour qu’une simple aide éducative soit suffisante, mais pas assez pour qu’un placement soit nécessaire. Et pourtant le seul choix se situe entre ces deux solutions, au risque d’agir trop fort ... ou pas assez. D’autres solutions sont pourtant possibles. Les SEMO du Calvados les appliquent avec succès depuis 30 ans. Reportage.
 
 
L’action sociale est en pleine mutation. L’intervention des professionnels fait une place toujours plus importante à l’usager en tant que sujet et acteur de sa propre transformation. Parmi les évolutions induites, il y a cette adaptation des dispositifs aux besoins individuels de chacun. La rigidité des structures et des prestations n’a pas encore disparu, loin de là. Trop souvent, les personnes en difficulté doivent coller aux cadres existants et venir remplir une case pré établie. Mais, de plus en plus, décideurs et intervenants en sont convaincus,  l’institution devra s’adapter en répondant au projet individualisé. La réforme de la loi de 1975, intervenue en janvier 2002, en a fait un principe cardinal. Le plus difficile est finalement de passer des intentions aux applications. Des  expériences ont été menées  ces dernières années. Traditionnellement, un enfant est l’objet soit d’un placement en familles d’accueil ou en foyer soit bénéficiaire d’une mesure dite d’AEMO. Mais cela a toujours été soit, l’un soit l’autre. Dans de nombreux cas cette alternative convient bien à la problématique et au degré de dégradation de la situation familiale. Mais il arrive parfois qu’une prise de distance soit nécessaire sur quelques jours seulement ou encore qu’une alternance entre une partie de la semaine à la maison et telle fin d’après-midi ou telle soirée dans une petite structure collective soit pertinente. Le dispositif de protection de l’enfance ne possède pas vraiment d’outils permettant de répondre à une telle démarche. De rares expériences ont été menées dans ce sens. Quelques établissements ont conçu des modalités d’accueil souples qui alternent période d’internat et période de prise en charge au sein des familles  (comme le SAPMN à Nîmes). Et pourtant, il existe au moins une structure qui a fait œuvre d’innovation et où le fonctionnement adopté apporte toute satisfaction. Mais, étonnamment, ce service n’est pas le produit d’une évolution récente. Il peut même être considéré comme précurseur, puisqu’il date d’il y a ...trente ans ! Il a émergé à l’époque de la suprématie des grands internats, alors même qu’on ne concevait la famille que comme un milieu pathogène d’où il fallait à tout prix éloigner l’enfant. Nous sommes donc aller rencontrer les professionnels qui l’animent qui peuvent apparaître, au regard de nos récentes prises de conscience, sinon comme des dinosaures, au moins comme des innovateurs avant l’heure, qui ont eu raison avant tout le monde.


Innovants depuis trente ans !

A l’origine de la création du Service Educatif en Milieu Ouvert, il y a un faisceau de circonstances dont la combinaison a permis l’émergence de cette expérience originale. En tout premier lieu, il y a ce qui s’est passé dans le Calvados, dans les années 70, et qui est similaire à beaucoup d’autres départements. Les congrégations qui ont historiquement assuré l’accueil des enfants et adolescents en grande difficulté, passent alors le relais. Ici c’est l’œuvre intitulée La Charité qui prenait en charge des jeunes filles, qui va transmettre le flambeau à la Sauvegarde départementale : l’A.C.S.E.A. . Ce changement institutionnel est l’occasion d’un réaménagement des structures. Et puis il y a la prise de conscience d’un maillon manquant. Les jeunes qui accèdent à l’autonomie après plusieurs années d’institution, ne sont pas toutes prêtes à réussir à s’intégrer dans leur famille ou leur milieu naturel. Certaines y arrivent très vite. D’autres réussissent grâce à l’accompagnement du service de suite. Mais pour quelques-unes, c’est l’échec et le retour en foyer, vécu par elles et par leurs éducateurs comme une régression. Une nouvelle structure d’accueil serait donc nécessaire. Mais pas dans le style gros internat fermé, mais plutôt un dispositif qui répondrait à l’entre deux dans lequel les jeunes se trouvent : pas tout à fait un foyer, mais pas encore un retour complet en famille. Il y aussi le manque flagrant en matière de diversité géographique. Sur le département, tout est concentré sur Caen. Les jeunes en difficulté y sont tous orientés.  Ce qui commence à poindre, c’est la nécessité de travailler sur la proximité : à l’époque, certains allaient jusqu’à affirmer : « il faut arrêter de déporter les jeunes loin de leur environnement, de leur culture, de leurs familles... » Ces idées, pour banales qu’elles paraissent aujourd’hui, étaient loin d’être partagées alors. Mais, les années 70, c’est aussi l’anti-psychiatrie et la contestation des logiques institutionnelles. Un groupe de jeunes professionnels frais émoulus de l’école d’éducateurs s’empare du projet et tente de synthétiser toutes ses composantes. Son action va être soutenue par le directeur de l’ACSEA et le CREAI. Alain Poussier, Directeur du SEMO et l’un des initiateurs de la démarche le reconnaît : sans ce précieux soutien, il aurait été bien compliqué de résister à l’hostilité ambiante. Ce qui fut mis en place, alors, fonctionne encore aujourd’hui. Le temps semble en avoir validé les principes. 
 

SEMO : mode d’emploi

L’internat classique est le plus souvent le lieu d’une division du travail entre l’éducateur de vie, le service qui s’occupe plus du soin ou de la formation, et celui qui travaille en relation avec la famille. On a même connu de ces établissements (mais ont-ils complètement disparu ?) où l’éducateur avait non seulement l’interdiction d’avoir le moindre contact avec les familles, mais n’avaient même pas accès au dossier de l’enfant. Le concept de base du SEMO est, au contraire, de confier au même professionnel la globalité du suivi du jeune. Le choix qui a été fait est de s’appuyer sur le réseau existant : celui qui est à disposition du citoyen moyen (psys, école, clubs sportifs...) Cela semble banal aujourd’hui. Ca l’était moins il y a trente ans, à une époque ou les grands internats prévoyaient encore tout à l’intérieur de leurs murs : scolarité ou formation professionnelle, activités de loisirs etc ... La continuité s’applique à l’intervention au sein de la famille qui peut être combiné à un moment ou à un autre, avec un hébergement. Cet hébergement est rendu possible soit au sein même du service soit au travers de tout un réseau qui a été construit au cours des années (foyer de jeunes travailleurs, chambres en ville, internat scolaire...) voire même en demandant l’aide de la famille élargie du jeune. Lorsque la nécessité apparaît d’une prise de distance entre le (la) jeune et sa famille, un accord est passé entre le mineur, ses parents et le service. Elle est appliquée d’une manière adaptée : ce qui est avant tout recherché, c’est le maintien du cadre de vie (proximité), la réversibilité de l’option (souplesse) et l’utilisation de la fonction hébergement comme un outil à côté de bien d’autres (transformation de l’objectif en moyen).
Cinq postes et demi d’éducateurs pour trente prise en charge : on est bien là dans du milieu ouvert intensif à la limite du milieu ouvert classique et de l’internat. La durée moyenne de prise en charge est de 18 mois. Sur cinquante jeunes filles accueillies à Lisieux en 2001, deux seulement ont dû être réorientées en internat. Pour les autres, il n’a quasiment pas été nécessaire de prévoir un relais. L’orientation vers ce service correspond à des situations dont l’indication est particulière et très bien identifiée. Elle s’oppose ni à une mesure de placement, ni à une mesure d’AEMO, mais vient compléter le dispositif proposé aux professionnels. Même s’il est toujours tentant pour les partenaires d’utiliser la structure comme un internat classique, l’équipe éducative tient beaucoup à préserver le cadre de leur action.  Les SEMO fonctionnent dans des maisons banalisées. Salon d’accueil, cuisine, chambres et bureaux des éducateurs se répartissent les lieux. Un soin tout particulier est apporté aux meubles, à la décoration, à l’aménagement, aux papiers peints. On constate très peu de dégradations : les jeunes qui viennent ici, sont volontaires. Ils ont là un endroit  où ils peuvent trouver une aide et une écoute. Ils savent qu’en cas de trop grosse tension, un hébergement y est possible. Ils peuvent passer pour prendre un café ou négocier pour être accueillis sur plusieurs nuits (avec toutefois, l’accord des parents). L’urgence est rare. Mais, il peut arriver qu’un gamin débarque à 23h00 : il sera accepté. Dès le lendemain, la situation sera régularisée avec ses parents. Environ, cent nuits sont assurées ainsi, chaque année. Ce n’est pas là un taux d’occupation important. L’hébergement n’est qu’une possibilité et non l’objectif premier et l’hébergement en interne qu’une possibilité à côté d’autres.
 

La dimension institutionnelle

Se trouvent ainsi mêlés le travail de milieu ouvert et le travail d’internat. Mais attention, l’habilitation de départ ne prévoit pas cette possibilité de placement. C’est bien une ordonnance de milieu ouvert qui est accordée par le magistrat (90% des situations) ou un contrat d’aide éducative administrative qui est signé (les 10% des cas restant). On est là très clairement dans un dispositif pas vraiment reconnu par la loi, qui n’a aucune existence vraiment légale et qui est néanmoins adoubé par le juge des enfants et le conseil général ! Et cela dure depuis plus de 30 ans ! Mais, dès qu’on essaie d’inventer quelque chose, on peut facilement se trouver à la limite du dispositif légale existant : les lieux de vie ont attendu la réforme de la loi de 1975, intervenue en 2002, pour obtenir une reconnaissance officielle ! On en est encore, dans bien des endroits, à se confronter à une administration qui n’hésite pas à décompter des prix de journées quand l’enfant est incité à retourner dans sa famille... Les SEMO se sont étendus progressivement sur l’ensemble du département : pour les filles à Caen (1970) et à Lisieux (1975), pour les garçons à Lisieux (1994) et une unité mixte en prévision à Bayeux (2002). Le choix a été fait plutôt d’essaimer que de grossir. Chaque unité ne dépasse pas trente prises en charge. Chaque jeune est plus particulièrement suivi par un ou deux référents éducatifs. Mais tous les dossiers sont systématiquement revus une fois par semaine. Cela permet à tous les intervenants de connaître toutes les situations, ce qui facilite à celui qui est de permanence d’accueil la possibilité de dialoguer avec celle (celui) des jeunes qui se présente. L’accessibilité permanente au service demande de la part de l’équipe une organisation et une disponibilité qui favorisent la souplesse et l’adaptabilité. L’intérêt de l’enfant passe ici avant un certain confort des personnels. Les emplois du temps peuvent parfois être modifiés, en cas de nécessité. Mais ces modifications se font en équipe : elles ne sont pas imposées par la direction qui laisse une grande latitude dans l’organisation. L’équipe de Lisieux que nous avons rencontrée a évoqué l’intérêt que constitue pour elle la possibilité d’intervenir sur la globalité des jeunes. En même temps, elle a bien conscience des risques totalisants qu’induit cette approche : à force d’être omniprésent, on peut se sentir tout puissant. Les garanties prises contre une telle dérive relève d’un partenariat tant à l’intérieur (travail d’équipe) qu’extérieur (relais assuré tant au niveau scolaire, professionnel qu’en matière de santé, de loisirs ...). Signes de bonne santé de cette équipe ? Des mouvements de personnel très rares (la moyenne d’ancienneté se situe entre 15 et 20 ans) et des arrêts de travail peu fréquents. La nouvelle structure qui devrait ouvrir courant 2002 a déjà reçu 30 candidatures...
 
 
L’action socio-éducative ne peut s’appuyer sur un seul modèle. Elle a besoin de disposer de structures qui répondent à différents niveaux de problématiques. Toutes les situations familiales ne conviennent pas à ce qui est proposé par les SEMO. Il ne s’agit donc pas de faire de ce service un archétype transférable en l’état. Il peut surtout inspirer d’autres expérimentations.  Pour autant, si ce type de fonctionnement est aussi profitable aux jeunes pris en charge qu’aux professionnels qui y travaillent, on peut s’étonner que depuis 30 ans, cette expérience soit restée confinée dans le seul Calvados. Alain Poussier rappellera que l’innovation des SEMO n’a pas été simple à son époque, l’idée fondatrice allant à l’encontre des convictions d’alors. Aujourd’hui encore, malgré la pertinence du dispositif dont chacun convient, la souplesse que demande ce type de fonctionnement n’est pas toujours compatible ni avec le cadre légal de la protection de l’enfance, ni avec le code du travail et les conventions collectives. L’amplitude horaire, l’application stricte du temps de travail et des 35 heures ne sont pas ici l’apanage premier. Les horaires de travail sont individualisés. En fait, tout est affaire de solidarité d’équipe face aux coups durs, de confiance réciproque et de transparence. Mais, les personnels savent qu’en échange des efforts qu’ils consentent, ils pourront toujours bénéficier un jour, à leur tour, des facilités qu’ils acceptent pour les autres. Et puis, il y a la reconnaissance du travail accompli. Et c’est tout cela qui fait la différence. Les professionnels y ont trouvé un nouveau sens à leur travail et les usagers accueillis une nouvelle chance de s’en sortir.
 
Contacts : Alain Poussier SEMO  30 rue du général Leclerc 14100 Lisieux Tel : 02 31 31 17 15 Fax : 02 31 31 62 36
 
 

2 - Entre Internat et AEMO : le S.A.P.M.N.

Le dispositif français de protection de l’enfance en danger possède bien des qualités. Pourtant, certaines de ses rigidités obligent parfois les familles et les intervenants sociaux à marcher sur la tête. Ce n’est pas les procédures qui s’adaptent à la complexité des situations, mais les situations qui doivent rentrer de force dans des cases pré établies, au détriment de la nécessaire personnalisation des solutions à adopter.
 
 
Dans une période où il est plus fréquent d’ouvrir le parapluie et de se réfugier dans une frileuse position attentiste que de prendre des risques, des acteurs de la protection de l’enfance d’horizons divers (magistrats, directeurs d’associations, aide sociale à l’enfance) ont su construire un outil aux limites de la légalité, mais qui a l’immense avantage de s’adapter aux besoins des familles.
 

Illégal mais terriblement efficace

Dans le département du Gard, comme ailleurs, le passage brutal d’un enfant de son placement en internat éducatif à sa famille naturelle pose parfois problème. Les équipes éducatives ont souvent exprimé leur souhait d’un retour progressif qui permettrait que les uns et les autres se préparent et s’ajustent à cette nouvelle situation. Certaines maisons d’enfants ont, dès le début des années 80, expérimenté des dispositifs individualisés. Mais cela se faisait au coup par coup, d’une manière un peu bricolée. C’est que la loi est relativement rigide. Le juge des enfants a, à sa disposition, deux mesures bien distinctes pour faire face à une problématique de mineur en danger : soit il désigne un service éducatif en lui demandant d’assurer un travail au sein de la famille, soit il confie l’enfant à un tiers (qu’il soit une personne physique ou morale). Mais, rien ne l’autorise à prendre une mesure de l’entre deux : l’enfant est soit sous la responsabilité de ses parents (et est donc chez eux) soit du service ou de la personne désignée à cet effet (et il n’est pas dans sa famille). Le Service d’Adaptation Progressive en Milieu Naturel (SAPMN) propose une solution médiane qui, pour avoir une grande pertinence éducative, n’en est pas moins illégale : autoriser qu’un enfant soit en permanence avec ses parents, alors même qu’il est placé sous la responsabilité d’une maison d’enfant ! Comment cela se passe-t-il concrètement ? C’est le magistrat qui indique à la famille, dans son cabinet, qu’il confie l’enfant à une maison d’enfants mais que celui-ci vivra au domicile familial. Il précise que cette mesure  donne le pouvoir à la maison d’enfants de suspendre l’hébergement soit à la demande de la famille, soit en cas de danger d’une manière autoritaire. Au départ, l’idée était bien d’aménager une phase de transition entre la période d’hébergement en internat et le retour définitif. L’enfant restait officiellement placé, mais faisait un séjour test prolongé dans sa famille, accompagné par un intervenant qui s’inscrivait dans le « faire avec » ou « le faire faire » et non plus dans le faire à la place des parents. Cette aide durait jusqu’au moment où la cohabitation de l’enfant avec ses parents s’avérant concluante, on pouvait envisager un retour définitif (avec main levée de la mesure de placement). Mais, très vite, les magistrats ont utilisé ce dispositif, pour tenter d’éviter la mesure de placement en internat. Seul département à officialiser cette nouvelle procédure, le Gard a aujourd’hui banalise le Sapmn comme l’une des mesures du dispositif éducatif aux côtés de l’aide éducative auprès des parents (judiciaire ou administrative), du placement familial, de l’internat éducatif ou du simple accueil de jour (aide aux devoirs, activités du mercredi ...).

 

Du côté du Conseil général

Madame Bécue, Directrice du Service Famille Enfance, confirme que ce dispositif a quitté le champ de l’expérience pour devenir une réponse à part entière qui s’articule avec les autres outils disponibles. La démarche est déjà ancienne. Les expérimentations qui s’étaient déroulées tout au long des années 80, ont abouti à une conceptualisation qui a trouvé sa légitimité dans l’élaboration du schéma départemental réalisé en 1990. Progressivement, des lits d’internat (ils sont passés de 422 en 1988 à 323 en 2000) ont été transformés en places de Sapmn (100 en 1988 à 213 en 2000). Début 2000, une charte a été conçue, dans le cadre de la révision du schéma départemental. Elle précise les grands axes de cette procédure. Le Sapmn ne se confond pas avec une AEMO renforcée qui, quoi qu’intensive, n’autorise pas l’éducateur qui se déplace à domicile à faire autre chose que du soutien et de l’assistance, l’exercice de l’autorité parentale restant intacte. Alors que dans le cadre du Sapmn, l’intervenant peut, à tout moment, être amené à procéder à un retrait autoritaire de l’enfant, s’il constate un danger. L’éducateur d’AEMO confronté à la même situation devra passer par un signalement (y compris en urgence auprès du procureur). Cette mesure nécessite un minimum de compétences des parents. Elle touche ses limites dès que l’intervention du professionnel devient trop intrusive : elle risque alors de placer les parents en porte-à-faux, l’éducateur venant en permanence contester leurs décisions. Il vaut mieux, dans ce cas-là, s’orienter vers un internat classique. La charte fixe aussi des détails pratiques comme par exemple le quota de prise en charge (un équivalent temps plein pour  5 ou 6 mineurs suivis), le temps moyen disponible pour l’enfant de 10 heures hebdomadaires (toutes interventions confondues auprès des parents, du jeune ou des partenaires mais aussi des démarches, réunion, écrits professionnels). C’est du ressort de chaque MECS. Le succès qu’a remporté le Sapmn dans le Gard, a souvent été relié à la présence de personnalités de magistrats ou de Directeurs. Et, c’est vrai que la stabilité d’un certain nombre d’acteurs tant au niveau du conseil général que des associations ou du tribunal pour enfant (ainsi que leur envie commune de disposer d’un outil adapté) a permis une évolution sereine qui a pu se dérouler dans le temps dans le temps : cela fait quand même plus de 20 ans que le mouvement a été amorcé. La pérennité du dispositif ne risquerait-elle pas d’être menacé en cas de départ des  personnes qui l’ont tant soutenu ? Les trois juges des enfants à l’origine de cette création ont gagné d’autres cieux. Leurs remplaçantes n’ont pas remis en cause la mesure. Madame Bécue n’imagine pas comment serait possible un retour en arrière, tant la pratique du Sapmn s’est banalisée et est vraiment entrée dans les habitudes. Pour autant, elle reconnaît que du fait de la montée de la frilosité et des hésitations face à la prise de risque à laquelle on assiste, s’il s’agissait aujourd’hui de créer un Sapmn, elle ne sait pas si son administration prendrait cette responsabilité...

L’une des raisons du succès de cette mesure, c’est aussi la large concertation qui a entouré son élaboration et le choix qui a été fait, une fois le cadre posé, de laisser à chacune des douze maisons d’enfants du département qui l’ont toutes adoptée, la liberté d’en définir les modalités d’application.

 

Le choix de la non-spécialisation

L’association Samuel Vincent n’est pas récente puisqu’elle a été créée en 1892. Elle s’est consacré, pendant longtemps, à l’internat scolaire en y incluant deux classes de rattrapage pour enfant souffrant de dyslexie. Au début des années 70, la pension, qui aujourd’hui revient à la mode, commence à disparaître un peu partout. L’association décide alors de se diversifier. Elle recrute un nouveau Directeur, Monsieur Polge qui réorganise les services : une MECS délocalisée en quatre unités, 27 appartements recevant des jeunes majeurs, un collège spécialisé vont ainsi émerger progressivement... A quoi se rajoute une action originale s’il en est : le complément apporté à la protection de l’enfance par des actions tout à fait innovantes dans le champ de la prévention primaire : accueil d’enfants de moins de 6 ans dans un Centre aéré, ludothèque, accompagnement scolaire, gestion d’un centre culturel, lieu de spectacles et d’expositions, mais aussi de rencontres entre 14 associations... Ce dynamisme ne pouvait que favoriser l’adhésion de l’association aux principes du SAPMN. Le choix a été fait ici de ne pas spécialiser une équipe qui ne se consacrerait qu’à cette fonction. Ce sont aussi bien les équipes d’internat que celles d’accueil de jour qui gèrent ces mesures. Les interventions au sein de la famille font l’objet d’un projet écrit qui définit les objectifs fixés : action de soutien à la parentalité, action en direction de l’enfant, participation de celui-ci à des moments collectifs... L’outil qui est proposé est adaptable dans la totalité de ses modalités aux besoins de la famille. Si une situation de tension survient et qu’une prise de distance apparaît nécessaire, un cadre éducatif est contacté (une astreinte permet une disponibilité 24 heure sur 24) qui évalue le danger et apprécie la nécessité du retrait. Un courrier est alors aussitôt rédigé, constatant la dégradation de la situation et informant de la décision d’hébergement et l’endroit où sera accueilli l’enfant. Ce document est apporté immédiatement à la famille. La non-spécialisation permet que ce soit le même référent qui soit présent aux côtés de l’enfant ou du jeune,  au cours de certaines soirées de son séjour en internat.
 

Le choix de la spécialisation

Le foyer Lumière et Joie, quant à lui, a préféré spécialiser une équipe de professionnels qui ne se consacre qu’au Sapmn. Quatre éducateurs (pour 3,25 ETP), une psychologue à mi-temps, un médecin psyhiatre à 1/8ème de temps, sous l’autorité du directeur adjoint ont en charge 17 situations.  Deux réunions de régulation ont lieu chaque semaine. Ce faible nombre de suivis permet une disponibilité des intervenants qui, toutefois, sont attentifs à éviter l’intrusion dans l’intimité des familles. Même s’il arrive que l’enfant ou le jeune soit accueilli sur des temps collectifs de repas, de soutien scolaire ou de sortie (le mercredi ou pendant les vacances), le travail essentiel est tourné vers le soutien à la parentalité. Il s’agit d’éviter de se rendre indispensable et surtout de ne pas entrer en rivalité avec les parents. Là aussi, un contact est toujours possible 24 heures sur 24 par l’intermédiaire des astreintes de cadres assurés dans la maison d’enfant adjacente. En cas de nécessité, l’enfant ou l’adolescent(e) peut toujours y est admis(e). Cet accueil est assuré par l’équipe d’internat, l’éducateur du Sapmn restant présent, que ce soit dans la relation avec la famille ou, par exemple, pour effectuer les trajets pour préserver la scolarisation dans le quartier d’origine. La moyenne de prise en charge d’une telle mesure est de 2 ans. Mais elle peut aller jusqu’à 5 voire 6 ans. La vocation du Sapmn est bien de cheminer vers un retour en famille, sans qu’il y ait besoin d’un relais d’Aemo  (même si cela arrive quand même parfois). Les difficultés familiales auxquelles l’équipe fait face sont le plus souvent liées à des problématiques de maladie mentale, de toxicomanie ou d’alcoolisme. L’habilitation permet de suivre des enfants âgés  de 3 jusqu’à 21 ans. L’un des critères de réussite (ou d’échec) de la mesure de Sapm est l’adhésion de la famille. Perçues parfois avec défiance au départ, il n’est pas rare que les parents investissent la procédure au point de faire eux-mêmes la demande de prise de distance pendant quelques jours, voire même de souhaiter que les enfants plus jeunes bénéficient à leur tour du dispositif.
 
Malgré la qualité de cette mesure qui a montré son efficacité et sa pertinence, le Sapmn ne s’appuie sur aucun texte légal. Aucune famille n’a jamais fait appel d’une décision de justice fixant de telles modalités. Il est fort probable que dans cette hypothèse, le jugement serait invalidé. Il y a donc une vraie prise de risque tant des associations qui se sont engagées dans cette démarche que des magistrats qui l’autorisent, mais le risque est partagé. Le Sapmn a bénéficié d’avis favorable tant du rapport Naves-Cathala que du rapport Roméo. Il a été évoqué lors des Etats généraux de la protection de l’enfance réunis à la Sorbonne le 15 novembre 2001. Mais, toute cette agitation n’a pas abouti au moindre projet de régularisation dans la loi de ce que le quotidien du terrain a démontré comme nécessaire et utile. On peut le regretter, tout en remarquant que ce n’est pas la première fois que l’on constate un tel décalage navrant et peu encourageant pour toutes celles et tous ceux qui se démènent pour innover.
 
 
Contacts :
Association Samuel Vincent : 27 rue Saint Gilles 30000 Nîmes tel. : 04 66 38 84 00
Lumière et Joie : 66 impasse du Château Silhol BP 1457 30017 Nîmes cédex. Tél. : 04 66 02 12 20
Roselyne Becue, Directrice du Service Famille Enfance : 10 rue Vielle Perdix 30000 Nîmes. Tél. : 04 66 76 75 85
 
 

3 - « Accueil & Soutien Parental » : entre AEMO et placement familial

 
Comment travailler en placement familial, en associant vraiment les parents à l’éducation de leur enfant ? Les professionnels mettent en œuvre, chaque jour, des dispositifs pour que cette idée centrale ne reste pas au stade du seul principe théorique inscrit dans le projet de service. Et leur créativité est bien souvent exemplaire. Reportage.
 
Tous les praticiens de la protection de l’enfance les ont rencontrées, ces situations familiales qui ne sont pas suffisamment dégradées pour envisager une séparation complète de l’enfant d’avec ses parents, mais trop problématiques, pour maintenir une présence permanente. Le placement intervient néanmoins, au bout d’un certain temps, quand les circonstances se sont bien détériorées. Et quand, parfois, malgré la prise de distance, le comportement de l’enfant s’aggrave, on en conclue non à l’échec de la solution adoptée, mais au contraire à sa pertinence ! Lien Social s’est ainsi fait l’écho d’expériences qui proposent des solutions intermédiaires entre l’internat et le milieu ouvert, et ce depuis 20 pour le Sapmn du Gard, voire 30 ans pour le Semo du Calvados. Longtemps restées confidentielles, ces pratiques dites « séquentielles » commencent juste à se diffuser un peu partout : elles consistent à aménager les temps de vie au sein de la famille d’origine et les périodes de mise à distance avec souplesse et flexibilité. L’expérience que nous allons présenter aujourd’hui nous vient de l’Ouest de la France, de Saint Nazaire, plus précisément, ville plus connue pour sa construction de paquebots que pour l’innovation de ses services de placement familiaux.
 
 

Genèse d’une mutation

L’émergence de nouvelles méthodes de travail est le plus souvent le produit de l’époque qui les a vu naître. Ainsi, le développement d’attitudes bien plus respectueuses à l’égard du milieu familial est-il directement lié à la fin de l’idéologie qui, longtemps, a stigmatisé les familles, en considérant que les enfants avaient d’autant plus de chance de s’en sortir qu’on les plaçait à la distance de leurs parents, considérés comme pathogènes. Cette évolution fondamentale a été officialisée par bien des textes législatifs, dont le dernier en date, la loi 2002-2 dite de rénovation sociale, accroît notablement les droits des usagers et de leur famille dans la conception et la mise en œuvre de leur prise en charge, notamment en ce qui concerne le respect de l’exercice de l’autorité parentale.
Les professionnels du service d’Accueil Familial de l’association « Enfance & Famille » (2) n’avaient pu que le constater au cours des années : une séparation pouvait avoir des effets très diversifiés selon les situations. Elle permettait souvent de soulager des parents d’une charge à laquelle ils n’arrivaient plus à faire face. Elle donnait aussi fréquemment une bouffée d’oxygène à l’enfant qui pouvait reprendre un développement bien plus serein. Dans certains cas même, elle mettait un terme à la dérive de maltraitance qui s’était avérée profondément destructrice. Mais, il arrivait aussi que cette option provoque un désinvestissement profond chez les parents et un dépérissement de l’enfant qui ne supportait pas la séparation. Jusqu’alors, il n’y avait guère de solution intermédiaire entre le maintien d’une AEMO manifestement insuffisante et le placement familial aux conséquences bien trop brutales. C’est à partir de ce constat, que l’équipe se mit à réfléchir à un nouveau service qui pouvait être proposé. C’est ainsi qu’après de nombreux mois de gestation, s’ouvrit, en décembre 2002, le dispositif appelé « Accueil et soutien parental » (ASP).
 
 

Partir de ce que savent faire les parents …

François est âgé de 7 ans. Enfant plutôt rêveur, parfois malmené par ses deux grands frères eux-mêmes engagés dans une dérive délinquante, il a à plusieurs reprises fait « l’école buissonnière ». Sa maman a un peu de mal à faire face à ses trois garçons qu’elle élève seule. Ce n’est pas qu’elle manque de bonne volonté ou soit complètement dépassée, mais elle n’arrive pas à dire non. Une AEMO judiciaire a été décidée par le magistrat. L’éducateur prend contact avec l’ASP. Reçue par l’équipe, la question qui lui est posée d’emblée, c’est d’abord ce qui fonctionne normalement. Ce n’est que dans un second temps que sont abordées les difficultés rencontrées ou ce dont elle a besoin. Elle exprime alors le désir d’être un peu soulagée à certains moments de la semaine, notamment dans les moments où, travaillant, elle ne peut être présente. Elle demande aussi qu’on l’aide à mieux gérer les réactions de François dont elle craint qu’il ne suive la voie de ses aînés. Un projet est élaboré en commun : une famille d’accueil toute proche recevra l’enfant du mardi soir au jeudi matin et un week-end sur deux. Cette proximité permettra une navette sans déplacements longs et fastidieux et le maintien de l’enfant dans la même école.
Rémi, lui, est âgé de 5 ans. Sa petite taille ne l’empêche ni d’insulter, ni de frapper ses parents qui ne savent plus comment faire. Une première rencontre avec l’équipe de l’ASP a montré le fort degré de résistance à toute séparation de la part de la famille. Il a fallu attendre que celle-ci soit prête. Quelques mois ont passé, la tension ne s’est pas apaisée. La famille, épuisée et enfin décidée, resollicitera le service : un accord pourra alors être trouvé sur la base d’un séjour en famille d’accueil, un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires.
Les deux exemples, présentés ici très brièvement, ont en commun un besoin identifié : celui d’être accompagné pour faire face à des difficultés liées à un processus de dysparentalité. Il y a là nécessité d’une démarche de travail qui ne portera manifestement pas ses fruits dans un délai court. Pour autant, il faut éviter que l’intervention auprès de l’enfant ne soit une source insidieuse d’érosion de la parentalité.  Pour aider sans stigmatiser, il est donc indispensable de s’appuyer sur ce qui fonctionne, plutôt que d’insister sur ce qui fait défaut, sans pour autant l’ignorer ou le banaliser. L’idée est de soutenir et de consolider la ré-appropriation par les parents de leurs responsabilités parentales. « Laisser aux parents toutes les tâches où ils ne se trouvent pas en difficulté, et n’intervenir que pour le strict nécessaire, plutôt que de fonctionner dans le tout ou rien sur le mode - placement de protection ou maintien dans la famille - cela participe de la même préoccupation, valoriser ce qui fonctionne, éviter le désinvestissement des enfants par les parents, leur redonner du souffle. » explique Michel Beaupère, psychologue du service.  Mais, si l’on reprend nos deux exemples, on constate aussi qu’il y a une certaine conscience des difficultés et une demande à être aidé.
 
 

… et de leur engagement volontaire

Le choix de l’ASP est d’inscrire comme condition à l’admission d’un enfant, la nécessaire mobilisation des parents.  Que ce soit le juge des enfants, l’éducateur d’AEMO, l’assistante sociale de secteur, la puéricultrice … qui conseillent et orientent au départ la famille, il n’y a ni contrainte, ni obligation de conclure à un accord. La première rencontre peut tout aussi bien se terminer par un constat de non-intervention que par un projet de travail en commun. Si une décision d’engagement réciproque est prise, un document est rédigé qui en stipule les modalités : il définit les objectifs, les conditions de séjour de l’enfant dans sa famille et en famille d’accueil et précise la répartition des tâches des uns et des autres. Ce qui se passe ensuite est très précis et marque bien le positionnement de chacun et notamment du service d’accueil familial. Le projet d’intervention est adressé en trois exemplaires aux professionnels qui, accompagnant la famille, étaient présents à la rencontre. C’est bien ces derniers qui remettent un exemplaire à la famille et qui en destinent un autre au décideur. Car, c’est bien le service « porteur » qui ira négocier l’application du projet soit avec l’autorité administrative (à même de financer la mesure sous la forme d’un contrat d’accueil provisoire), soit avec le juge des enfants l’un et l’autre pouvant ou non valider la solution esquissée. C’est donc bien toujours dans le bureau de l’attaché de l’aide sociale à l’enfance ou dans le cabinet du juge que les décisions sont prises. Cette initiative demandée aux détenteurs de l’autorité parentale restera une constante tout au long du travail engagé en commun. Car, le point de départ que constitue le projet d’intervention pour être incontournable, n’en est pas pour autant figé. Une évaluation est réalisé systématiquement toutes les six semaines, afin de mesurer ce qui a pu avancer et ce qui reste encore à travailler. Cette procédure est fondatrice d’une relation de confiance : dès le départ et tout au long de l’accueil, les parents sont considérés comme partenaires. Leur parole est tout aussi importante que celle des professionnels qui acceptent non seulement de partager, mais aussi de se laisser enseigner par des interlocuteurs trop souvent cantonnés à une place passive remplie de culpabilité liée au sentiment d’échec. Ce qui renforce encore la position des familles, c’est le maintien des professionnels de la prévention primaire et secondaire qu’ils connaissent bien et qui, dans le placement familial classique ont souvent l’habitude de se retirer. Là, non seulement, ils restent présents, mais ils peuvent apparaître comme partenaires à part entière, étant alors identifiés comme tel dans la rédaction du projet d’intervention.
 
Après deux ans de fonctionnement, on peut toutefois s’interroger sur l’authenticité de la conscience des difficultés et de l’adhésion des familles. N’y a-t-il, malgré tout, pas un chantage latent, dans certains cas, où il pourrait bien plutôt s’agir de transformer la contrainte en un choix raisonné ?  « Depuis la mise en place de l’ASP, en décembre 2002, nous avons eu plus de quarante sollicitations. Nous pensions travailler pour l’essentiel à partir de mesures d’AEMO judiciaires, le magistrat validant la mesure d’accueil. En cette fin 2004, nous constatons que nous intervenons autant en accueil provisoire signé par l’inspecteur de l’ASE. » constate Edouard Reimel, Directeur du service, démontrant que le dispositif s’est affirmé, confirmé et rééquilibré en tant qu’engagement consenti et réfléchi des familles.
Le risque de toute innovation consiste à vouloir s’opposer à l’existant plutôt que de chercher à l’enrichir. Ici, rien de tel : l’Accueil de Soutien Parental vient se rajouter à l’accueil d’urgence, à l’accueil relais et au placement familial spécialisé que le service Enfance Famille propose par ailleurs. Il s’agit d’une nouvelle corde à son arc. Mais convenons-en une corde particulièrement précieuse et pertinente.
 
Accueil Familial 17, boulevard de la Renaissance 44600 Saint Nazaire Tél. : 02 40 22 01 72, Email : pfs@spe.asso.fr, Site : www.spe.asso.fr 
 


4 - Quand une institution s’adapte à l’usager

 
Depuis deux ans, l’unité polyvalente d’action socio-éducative de Tours de l’association Montjoie fait l’expérience d’une adaptation aux conditions du secteur en Indre-et-Loire. La méthode employée ne manque pas d’originalité.
 
Le secteur de la protection de l’enfance bruisse depuis un certain nombre d’années, de discours qui prétendent vouloir répondre au plus près aux besoins des publics qu’il prend en charge. Outil central de cette préoccupation récurrente, le projet individualisé qui permet, théoriquement, de faire coller la démarche institutionnelle à la problématique particulière de l’usager. Mais, trop souvent, ces bonnes intentions se réduisent à une offre de service rigide et limitée. Ce n’est pas le dispositif qui s’adapte à l’enfant, mais l’enfant qui doit entrer de gré ou de force dans des cases préétablies. Familles et services socio-éducatifs ont d’ailleurs tellement de mal à trouver une place disponible, qu’ils remettent parfois à plus tard le souci de vérifier quand il en trouve une, si celle-ci est vraiment en adéquation exacte avec la problématique de l’enfant. Le choix du type d’accueil est alors déterminé surtout à partir de l’existant. Que l’on se rassure : ce n’est, bien entendu, jamais soi qui agit ainsi, mais toujours le collègue (ou le service) d’à côté ! Ce constat un peu pessimiste ne doit pas, pour autant, nous amener à ignorer les innovations qui se pratiquent, le plus souvent à bas bruit, et qui préfigurent des tendances de l’action socio-éducative qui pourraient bien se généraliser dans les prochaines décennies. Le coup de projecteur que nous allons donner aujourd’hui concerne le choix fait par une grosse association d’opter plutôt pour un dispositif diversifié que pour une structure classique d’hébergement : l’Unité polyvalente d’action socio-éducative (Upase), créée par l’association Montjoie à Tours et qui a commencé à fonctionner en septembre 2002.
 

Naissance d’un plateau technique

Nous sommes en 2001, le conseil général d’Indre-et-Loire lance un appel à projet auquel va se joindre la protection judiciaire de la jeunesse. Il s’agit de remplacer la Bazoge, un établissement qui avait fermé depuis un certain temps, suite à des difficultés internes. Mais les 32 places d’hébergement que l’on cherchait ainsi à rétablir, n’avaient pas vocation à reprendre le profil exact de la maison d’enfant à caractère social disparue qui n’accueillait que des filles. Toute proposition innovante était d’autant bienvenue que cette commande était accompagnée de considérations quant à la difficulté d’accueil de populations particulièrement déstructurées. Comme souvent dans ce type d’appel d’offres, le public visé était plutôt celui qui ne trouvait aucune place ailleurs, les structures déjà existantes ayant atteint les limites de leur possibilité d’intégration. L’association Montjoie formula alors ses propositions. Elle avait la possibilité de répondre à la demande, en suivant un schéma classique. Elle fit d’ailleurs visiter aux prescripteurs d’Indre-et-Loire la maison d’enfants qu’elle venait de créer à Saint-Calais dans la Sarthe et qui répondait tout particulièrement aux exigences architecturales que la loi de 2002 imposait (chambres individuelles équipées de sanitaires particuliers). Finalement, son choix fut tout autre : celui de proposer un autre dispositif basé sur le principe de l’éclatement. L’idée était de présenter des modalités d’hébergement diversifiées qui soient en mesure de s’adapter non seulement à la problématique de l’enfant à son entrée, mais qui soient en outre susceptibles de suivre son évolution ultérieure. La proposition de Montjoie fut retenue. C’est un véritable plateau technique qui s’est ainsi progressivement mis en place. On y trouve d’abord un hébergement collectif plutôt classique qui relève d’une logique contenante. Ce foyer offre douze places à des jeunes sans projet ou dont le projet est si fragile qu’ils ont besoin d’un intense travail de socialisation. Autre unité, aux objectifs proches, trois lieux de vie s’inscrivant dans une dynamique de rupture et de mise à distance : l’un propose un élevage pédagogique, l’autre la restauration et la vente de vieux meubles, le troisième des aides à la personne et des petits travaux ménagers. On est dans le « vivre avec » s’adressant à des jeunes qui ont besoin avant tout de réapprendre à se lever, à manger à des heures régulières, avant même d’envisager une réinsertion. « Ces lieux de vie, nous les avons appelés paradoxalement « institutionnels » alors que le principe est né dans les années 1970, d’une volonté d’alternative aux institutions, explique Bernard Lesbros directeur général de Montjoie. L’idée est bien d’associer la souplesse que constitue une petite unité avec la possibilité de la régulation et d’analyse de pratique que permet plus facilement le rattachement à une institution ». Autre unité de l’établissement : un petit placement familial composé de trois assistantes maternelles qui propose un accueil plus proche du modèle auquel peuvent parfois aspirer un certain nombre de jeunes. Un cinquième type de structure appelé « foyer de préparation à l’autonomie » a été aménagé dans une petite maison. Il est destiné à des jeunes plus aptes à se poser et à s’interroger sur eux-mêmes : il favorise par exemple des rencontres avec des témoins extérieurs riches en expérience de vie. Cran supplémentaire dans l’autonomisation : trois appartements collectifs recevant sept jeunes installés au même étage d’un immeuble HLM. Enfin, sept studios individuels éparpillés dans toute l’agglomération qui peuvent être proposés à des jeunes presque prêts à se lancer sans filet. Une attention particulière a été accordée au travail avec les familles. Non seulement, un personnel spécifique a été affecté à cette seule tâche, mais deux petits appartements ont aussi été aménagés, permettant aux parents, qui pour des raisons juridiques ou matérielles n’ont pas la possibilité d’accueillir leur enfant chez eux, de venir néanmoins passer avec lui quelques heures voire plusieurs jours. Les logements ont été équipés en conséquence : cuisines, chambres à coucher, etc. L’Upase fonctionne aujourd’hui depuis plus de deux ans. Comme bien souvent dans ce genre de circonstances, il a fallu du temps pour trouver tous les locaux recherchés, propriétaires et voisins s’opposant à de telles installations. C’est d’abord un ancien hôtel qui a été acquis et aménagé pour recevoir séparément les bureaux administratifs et le foyer de douze places. Quant à la maison destinée au foyer de préparation à l’autonomie, elle vient tout juste d’être aménagée. Même si le démarrage n’a pas forcément été très simple, l’établissement a atteint aujourd’hui son rythme de croisière. Sa capacité d’accueil a même été augmentée de 32 à 46 lits, le personnel passant de 20 à 49 salariés. Ainsi deux années ont suffi pour démontrer qu’un tel fonctionnement diversifié présentait bien des avantages.
 

Une multiplicité de réponses

S’il est bien une difficulté inhérente à la protection de l’enfance, c’est ce syndrome du paquet de pointes qui frappe les services confrontés à ces enfants et à ces jeunes qui les mettent successivement en échec, passant d’un établissement à un autre et vivant ainsi à chaque fois des échecs destructeurs pour leur image d’eux-mêmes et leur estime de soi. L’originalité de l’Upase réside bien dans le fait que l’enfant accueilli l’est sur la base d’un seul acte de placement et d’un seul prix de journée. Il n’y a pas compétition entre les différents types d’accueil puisqu’ils font partie du même établissement. Le seuil de tolérance institutionnelle est bien différent de celui que peut offrir un foyer classique qui n’a que peu d’alternative, face aux situations les plus complexes. La réponse peut structurellement être réactive et éviter la rigidité, en s’adaptant aux problématiques individuelles et familiales. C’est l’établissement qui gère directement en interne le parcours du jeune, le faisant passer d’une unité à l’autre, en fonction de ses besoins et de son évolution. « La population que nous avons reçue a été dès le départ bien différente que celle que nous attendions : nous avons accueilli beaucoup de jeunes pour lesquels les autres structures avaient jeté l’éponge » constate Jean-Marc Tochet, directeur de l’Upase. Avec à la clé, de nombreuses dégradations dans les locaux et des agressions sur les personnels. Baptême du feu bien involontaire et finalement l’occasion peut-être de vérifier la pertinence de la dynamique choisie ? À côté de bien d’autres facteurs sans doute, c’est la souplesse du mode de fonctionnement qui permit de faire face bien plus facilement à ces imprévus. À l’exemple de ce jeune rejeté de partout, présentant un profil à la fois de handicap mental et d’a-socialisation proche de la psychose et pour qui un aide-soignant en psychiatrie a pu être recruté, avec l’accord des financeurs, fonction qui disparaîtra avec la fin du placement de ce jeune. Tout comme le poste permanent d’infirmier psychiatrique prévu pour permettre une liaison avec les jeunes sous traitement. Autre exemple, face à la multiplication des jeunes âgés de moins de 16 ans, parfois très difficiles qui arrivent en errance tant scolaire que professionnelle, sans projet et sans capacité d’en avoir, l’établissement a créé un service éducatif de jour qui a ouvert ses portes le 1er novembre 2004. Ce service se fixe comme ambition de remobiliser et d’évaluer les compétences d’un public en échec dans les dispositifs pourtant adaptés de l’Éducation nationale (classes relais ou Cippa). Il développe une pédagogie de la réussite, personnalisée et tournée vers une réhabilitation de la confiance en soi, utilisant comme support un ensemble d’activités éducatives, scolaires et culturelles, d’ateliers techniques, d’expression et sportifs, de stages professionnels, etc. On sait que l’enfer est pavé de bonnes intentions. Il convient de réfléchir aux effets pervers des meilleures innovations. L’Upase a pensé aux dérives possibles : il ne s’agit pas d’enfermer l’usager dans un univers clos, Montjoie pourvoyant à tous ses besoins, depuis son arrivée jusqu’à son départ. Pour éviter de recréer un système de filières ou un processus de ghettoïsation, la décision a été prise d’ouvrir ce service de jour à d’autres jeunes (cela devrait se faire dès septembre 2005). Mais, là encore, pour ne pas tomber dans la facilité tentante pour l’Éducation nationale d’orienter vers ce service tout élève avec lequel elle rencontrerait des difficultés, une condition est posée à l’admission : que le jeune soit suivi par un travailleur social.
On conviendra que ce vaste dispositif constitue un ensemble des plus hétéroclite, toute la difficulté étant de résister à la satellisation progressive, chaque unité pouvant être naturellement portée à rechercher son autonomie. Pour s’opposer à cette force centrifuge, il fallait une force centripète plus puissante : c’est l’équipe technique et de direction qui a investi ce rôle, intervenant transversalement, maintenant la cohérence de l’ensemble, préservant les liens et facilitant les circulations.
Avec l’Upase de Tours, l’association Montjoie a proposé une innovation qui, à petite échelle, n’est pas sans rappeler la réforme intervenue au Québec en 1993. Ce qui s’est appelé alors le « virage-milieu » a regroupé l’ensemble des services de protection de l’enfance dans les centres de jeunesse chargés de prendre en charge tout enfant en danger. Plus de chevauchements inadéquats, ni de coordination inappropriée : il revient à une seule et même autorité disposant de tout un plateau technique, de trouver une solution à un problème. Ce mode d’organisation peut-il constituer une voie possible pour l’avenir ? Il ne convient pas forcément à notre esprit gaulois qui rechigne plutôt face à toute concentration et ne serait pas forcément compatible avec le mouvement inverse de décentralisation que l’on connaît dans l’hexagone. L’association Montjoie n’a de toute façon pas la prétention de faire école. Elle expérimente à sa manière, une façon de répondre au plus près des besoins des usagers. Son choix comporte certainement ses avantages et ses inconvénients. Il a, en tout cas, le mérite d’exister ! Les professionnels ne s’y sont pas trompés. Au départ, mis à part quelques exceptions, ce sont surtout des jeunes diplômés qui ont postulé à l’Upase. Aujourd’hui, l’établissement reçoit des candidatures nombreuses de professionnels intéressés par son projet original. C’est vrai qu’on ne peut qu’être diablement intrigué et séduit par un tel dispositif. Et puis, viennent les interrogations : comment cette expérience va-t-elle vieillir ? Ne va-t-elle pas se heurter à des difficultés non imaginées au départ ? Peut-elle réussir à résister aux forces centrifuges ? Il sera intéressant de retourner y voir de plus près dans quelques années. Chiche !