Séparer le bon grain de l’ivraie

La polémique a pris de l’ampleur, dès lors où la cellule-investigation de France Inter s’en est emparée. ENQUETE. Des parents d’enfants victimes de harcèlement scolaire ciblés par des enquêtes sociales (francetvinfo.fr) Face aux plaintes de parents dont l’enfant serait victime de harcèlement, certains établissements scolaires se retourneraient contre eux, en transmettant à l’aide sociale à l’enfance une information préoccupante faisant peser des soupçons de maltraitance.

Ce n'est pas la première (ni la dernière) fois qu'un signalement ou une information préoccupante est instrumentalisé dans un but malveillant. Cet acte malintentionné tombe-t-il sous le coup de l’article 226-10 du Code pénal qui décrète que « La dénonciation, effectuée par tout moyen et dirigée contre une personne déterminée, d'un fait qui est de nature à entraîner des sanctions judiciaires, administratives ou disciplinaires et que l'on sait totalement ou partiellement inexact, lorsqu'elle est adressée soit à un officier de justice ou de police administrative ou judiciaire, soit à une autorité ayant le pouvoir d'y donner suite ou de saisir l'autorité compétente, soit aux supérieurs hiérarchiques ou à l'employeur de la personne dénoncée est punie de cinq ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. » ? Il faudrait pour cela que l’intention de nuire soit démontrée.

Attention à ne pas tarir la source de ces informations préoccupantes. Le risque serait alors que, par crainte d’un retour de bâton, l’inquiétude ne soit jamais transmise à l’autorité administrative ou judiciaire. Il a fallu tellement de temps pour considérer les violences qui se déroulent dans l’intimité des familles comme relevant de la responsabilité citoyenne, qu’il serait catastrophique que cette fenêtre d’opportunité se referme.

Mais, pour autant, peut-on tolérer le risque d’un « faux positif » qu’entrainerait une évaluation bâclée ou instrumentalisée : une famille victime devenant alors une famille stigmatisée comme maltraitante.

De deux choses, l’une.

Soit, il s'agit d'une manipulation de la part du collège. Seule une enquête interne de l'éducation nationale permettrait de l'établir. Si c'est effectivement le cas, ce serait inadmissible et scandaleux. Et de telles pratiques doivent être sanctionnées.

Soit il y a de véritables inquiétudes portant sur l’origine du mal-être de l’enfant qui peut être multifactorielle : à la fois dans le milieu scolaire et dans le milieu familial. Et cela justifie d’aller voir de plus près sur ce qui se passe au sein de la famille.

Dans un cas comme dans l’autre, il revient aux services sociaux d’avoir à évaluer la réalité du danger vécu par l’enfant. Et quand ils la connaissent, le secret professionnel les empêche d'avoir à se justifier, en étalant sur la place publique les tenants et aboutissants de leurs démarches.

Une telle enquête sociale est-elle humiliante et attentatoire à la vie privée ? Bien sûr. Comme l’est la fouille d’une voiture par les douanes voulant vérifier que ne s’y trouvent pas des produits illicites. Comme l’est une perquisition de domicile, suite à une enquête judiciaire. Comme l’est une garde à vue décidée après une accusation. Ce sont justement ces investigations qui permettent d’(in)valider les soupçons. Et c’est justement l’évaluation de l’aide sociale à l’enfance qui peut permettre de vérifier si un enfant est en danger ou pas. Les pompiers ne se posent pas la question si l’alerte incendie est justifiée : ils foncent. Le SAMU ne s’interroge pas sur la réalité d’un AVC, pour se rendre sur le lieu du malaise : il envoie une ambulance. Police secours ne tergiverse pas pour savoir si l’alerte à la bombe est un canular ou pas : l’évacuation est ordonnée. S’ils ne le faisaient pas, ils seraient à juste titre critiqués. Et l’on voudrait que l’ASE vérifie la légitimité d’une information préoccupante, avant de diligenter ses professionnels auprès de la famille concernée

Ce qui pose problème c’est la bonne ou mauvaise foi de la source de l’information. Ce qui est impossible à déterminer d’emblée. Surtout quand elle provient d’une institution !

Il peut arriver qu’un enfant soit d’autant plus harcelé à l’école, que la maltraitance subie dans sa famille le fragilise.

Mais il peut aussi arriver qu’un enfant se renferme sur lui-même, sans rien dire à sa famille pourtant bienveillante et protectrice et qu’il subisse passivement un harcèlement.

Il peut arriver qu’un collège agisse comme cela est attendu de lui, en pointant les dysfonctionnements graves d’une famille. Il peut aussi arriver qu’un collège évacue sa propre responsabilité dans la protection qu’il doit à chacun(e) de ses élèves, en orientant les soupçons vers la famille.

Il peut arriver que la CRIP (cellule de recueil des informations préoccupantes) se laisse manipuler par des accusations malveillantes. Mais, le plus souvent, elle évalue avec pertinence la présence ou l’absence de danger que vit un enfant dans sa famille.

Cette enquête menée par la cellule-investigation de France Inter n’exonère pas TOUTES les familles des maltraitances dont elles se rendent parfois coupables. Elle n’accuse pas TOUS les collèges d’informations préoccupantes abusives. Elle ne remet pas en cause TOUTES les procédures d’évaluation de l’ASE. Elle dénonce, avec raison, des dérives inacceptables.

Quant à l'ASE, elle n’a fait là que son travail et, à en croire ce reportage, elle l’a fait excellement bien, écartant tout soupçon sur ces familles accusées à tort. Mais, elle sera toujours condamnée pour en faire trop (enquête sociale dans des familles soupçonnées à tort) ou pas assez (ne pas détecter à temps les maltraitances). L’immense majorité des cas où elle agit avec efficacité étant passée sous silence. On ne parle jamais des trains qui arrivent à l’heure. Le plus grave reste ce risque de voir à l’avenir, les futures infos préoccupantes en provenance de l'école être perçues avec défiance.

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 « 100 idées reçues sur l’aide sociale à l’enfance » Jacques Trémintin, Éd. EHESP, 2024, 313 p.

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