Les animateurs dans l’humanitaire

Les animateurs ont-ils leur place dans l’humanitaire ?

L’action humanitaire prend ses sources dans ce que l’être humain a de plus noble : le souci de l’autre, la fraternité, la solidarité et l’entraide... Elle couvre les domaines essentiels de la survie des populations en danger : fourniture de soins, de nourriture, d’abris, de secours financiers … Voilà que l’animation propose à son tour ses services dans un registre où a priori, on ne l’attendait pas, celui de l’urgence et de l’intervention dans des circonstances extrêmes. De quoi aller y voir de plus près, pour mieux appréhender la portée et les limites d’une telle participation.

Comme le fidèle lecteur s’en est aperçu depuis quelques temps déjà, les propos tenus par l’auteur dans le cadre des dossiers qui lui sont confiés, ne se contentent pas de répondre à une question, en se limitant dans « l’ici et le maintenant ». On sait que pour comprendre ce qui se passe aujourd’hui, on ne peut faire l’économie d’identifier le lien entre le présent et le passé. Nous n’échapperons pas à cette logique dans le dossier de ce mois-ci. Car pour être contemporaine, l’action humanitaire plonge ses racines dans un contexte historique qu’il faut décoder sous peine de ne pas réussir à en saisir les tenants et les aboutissants. Dès lors que les professionnels de l’animation interviennent dans ce secteur, il est utile qu’ils tiennent compte des dérives qui ont pu y être repérées et de la façon dont elles ont été (ou non) rectifiées. L’humanitaire ayant dépassé sa crise d’adolescence et ayant atteint une certaine maturité, autant profiter de ces avancées sans avoir à refaire tout le cheminement. Bien que des programmes nationaux aient été mis au point pour intervenir par exemple auprès de certaines fractions de la population française non garanties par la sécurité sociale, on conçoit plus l’humanitaire à l’échelle internationale. C’est donc à partir de cette dimension que nous allons partir.

 

Une tradition d’échanges

La mondialisation n’est pas une invention contemporaine. Dès les débuts de l’humanité, les peuples ont échangé certaines de leurs marchandises, en parcourant pour cela des distances parfois étonnamment longues. Il en a été ainsi notamment pour l’or, les épices et la soie en provenance d’Asie, tout particulièrement prisés en Europe. C’est par la voie terrestre que transitaient ces précieux chargements et notamment le long de ce « chemin de la soie » qui part de la Chine et traverse la Perse et l’Irak, jusqu’aux portes de l’occident, constituant l’un des circuits commerciaux les plus anciens que l’on connaisse. La conquête de Constantinople par les Musulmans en 1.453 interrompt ces échanges, contraignant les européens à tenter de trouver un autre chemin. Les récentes découvertes dans la navigation les incitèrent à tenter d’accéder aux Indes par la voie maritime. Les Portugais commencèrent par contourner l’Afrique vers le sud, installant des comptoirs le long des côtes. Puis, un ambitieux projet fut proposé au Roi d’Espagne par Christophe Colomb, lui-même marin italien : rejoindre les Indes par l’Ouest, en traversant l’Océan. Cette solution n’avait pas été jusque là expérimentée, car l’on croyait que la terre était plate et s’arrêtait au-delà de l’horizon. Tout bateau s’aventurant un peu trop au large risquait donc de tomber dans le néant. On sait ce qu’il advint de ce voyage de Colomb. La découverte d’un nouveau continent provoqua une formidable accélération de l’exploration et de l’appropriation de nouveaux territoires. En 1494, le pape arbitrera à Tordesillas le partage du monde entre les deux plus grandes puissances de l'époque : l'Espagne et le Portugal. Avait commencé un vaste mouvement historique qui allait bouleverser l’ordre du monde : la colonisation.

 

De l’aventure coloniale…

Pendant les premiers siècles, la conquête resta malgré tout limitée au continent américain. Cette invasion des Européens qui va se faire, au fil des années, de plus en plus massive s’accompagnera du massacre des populations indigènes et de l’introduction de maladies qui leur étaient inconnues et qui s’avèreront particulièrement meurtrières : en trois quarts de siècle, ces peuplades disparaissent à 95 % ! Qu’à cela ne tienne, les conquérants compenseront ces pertes par le transfert depuis le continent africain de près de 7,5 millions d’esclaves… C’est dans la seconde moitié du XIXème siècle, que le mouvement de colonisation s’étend aux quatre coins de la terre.  Entre 1850 et 1939, l'Europe utilise sa puissance économique, technique, scientifique et militaire pour se tailler des empires à travers le monde. La motivation essentielle est, bien entendu, d’ordre économique : exploiter les ressources, utiliser la main d’oeuvre à bon marché, trouver des marchés pour ses propres produits, contrôler les axes commerciaux et les échanges etc…  En 1914, la quasi totalité de l'Afrique, la périphérie de l'Asie et l'Océanie, soit 47 millions de km² et 490 millions d'habitants, sont sous domination européenne. Aux lendemains de la seconde guerre mondiale, le mouvement de l’histoire s’inverse : partant de l'Asie vers l'Afrique du Nord puis l'Afrique Noire, les anciennes colonies européennes obtiennent, les unes après les autres, dans le sang ou dans des transitions plus sereines, leur indépendance.

 

… à la politique néocolonialiste

Le développement des nouvelles nations émergeantes n’a toutefois pas connu le progrès espéré. Aujourd’hui, le bilan est plus que contrasté : une démocratisation difficile et de fréquentes dictatures, une place encore prépondérante de l’agriculture et un fort endettement vis à vis des pays riches, une natalité et une fécondité encore élevées, de multiples guerres,  conflits ethniques et religieux, un niveau de vie souvent très bas… Cette situation n’est pas due au hasard. Bien des facteurs permettent de l’expliquer, telle l’accession au pouvoir de dirigeants corrompus mettant en coupe réglée des régions entières. Mais, il ne faudrait pas exonérer aussi facilement les anciennes puissances coloniales qui ne se sont pas contentées d’évacuer les territoires qu’elles occupaient. Elles ont continué à exercer leur domination par des moyens politiques, économiques, voire militaires, perpétuant une influence qu’on a très vite identifiée à du néo-colonialisme. Organisation de coups d’état, soutien à des gouvernements soudoyés, assassinats de dirigeants gênants, instrumentalisation des élites mises au service de grandes compagnies industrielles ou bancaires … ont ainsi émaillé les décennies qui ont suivi l’accession à l’indépendance. Les anciennes colonies sont devenues le théâtre de drames humains touchant en premier lieu les populations civiles, provoquant l’émotion de l’opinion publique mondiale : du Burundi à Timor, de la Sierra Leone au Cachemire, de l’Angola à la Bande de Gaza, du Soudan au Sri Lanka, de Rangoon à Brazzaville, de Kigali à Jérusalem, de Kaboul à l’Algérie... C’est dans ce contexte qu’est née l’action humanitaire que l’on connaît aujourd’hui. Mais avant d’évoquer ses formes contemporaines, il convient d’en revenir aux sources.

 

Les prémisses de l’humanitaire moderne

Les Organisations non gouvernementales contemporaine sont les héritières d’un puissant mouvement humaniste qui s’est crée au milieu du XIXème siècle. A cette époque, l’Europe qui se veut gouvernée par la Raison et qui affirme haut et fort son rôle civilisateur, se refuse d’être une observatrice muette et impuissante du spectacle de la souffrance à grande échelle. En 1859, Henri Dunant, est témoin d’une bataille particulièrement meurtrière : celle de Solferino. Il prend l’initiative d’y intervenir comme sauveteur improvisé des 40.000 blessés des deux camps. Il met à profit cette terrible expérience pour élaborer un premier texte destiné à définir les droits et les obligations des personnes, combattantes ou non, en temps de guerre : c’est la convention de Genève. D’autres textes viendront compléter ce premier document (en 1906, 1929 et 1949) qui ont été ratifiés par la quasi-totalité des pays du monde. Il s’agit d’imposer aux belligérants l'obligation de réserver des espaces neutres pour soigner les soldats, puis de traiter humainement les prisonniers de guerre, enfin de protéger les populations civiles. C’est donc sur les champs de bataille qu’émerge la première mouvance humanitaire : la Croix rouge qui est chargée de veiller à ce que soient respectés des principes d’humanité et de dignité humaine. « Il n'y a pas de guerre juste et de guerre injuste, il n'y a que des victimes qui ont besoin d'aide. » (Jean Pictet, 1979). Naît alors toute une série d’organisations humanitaires essentiellement dans le monde anglosaxon. Aux lendemains de la seconde guerre mondiale, les vainqueurs créent l'Organisation des Nations Unies dans le but de maintenir la paix dans le monde et de faire respecter le droit international humanitaire qui a commencé à s’élaborer. En 1947, l'UNICEF, agence de l'ONU pour les enfants, voit le jour. En 1951, c’est au tour du Haut Commissariat des Nations Unis pour les Réfugiés.

 

Quand l’humanitaire s’engage

Mais, toutes les actions engagées jusqu’alors respectaient le principe de la neutralité et du silence. La Croix Rouge avait honoré ces règles juste et y compris lors des visites effectuées dans les camps de concentration nazis. A la fin des années 60, des médecins français (French doctors) agissant en son sein décident de rompre la tradition en dénonçant ce qu'ils croient être un génocide au Biafra. Ils créent en 1971 Médecins Sans Frontières (MSF), avec comme objectif de rendre l'aide humanitaire indépendante des Etats et de s'appuyer sur l'opinion publique prise à témoin grâce à une large médiatisation des interventions. La multiplication des guerres civiles qui marque les années 1970 va donner l’occasion  à cette nouvelle mouvance de faire ses preuves, en allant là où les autres ne peuvent aller. L’action de ces nouvelles organisations humanitaires peut être mise en parallèle avec la dynamique des mouvements de défense des droits de l'homme, de l'écologie ou de l'antiracisme, les uns et les autres se construisant  sur le désenchantement politique et l'échec du développement dans les pays du Sud. Mais, cette nouvelle approche a eu un certain nombre d’effets pervers. A force de se faire une spécialité de l’urgence (action ponctuelle sur les effets, dans le court terme), aux dépends d’une action qui se veut plus sur le développement (action sur les causes, dans la durée), la récolte des dons financiers a été drainée vers les Organisations Non Gouvernementales les plus voyantes et les plus spectaculaires, au détriment de celles qui avaient moins d'images à vendre, et moins de résultats quantitatifs à faire valoir.

 

Sous le feu de la critique

Mais, bien d’autres critiques permettent de donner à voir la face cachée d’une démarche au départ profondément bienveillante. Fin 1984, les humanitaires interviennent en masse en Ethiopie qui souffre alors d’une terrible famine. C’est l’époque de la mobilisation du show business américain et du tube mondial « We are the world ». Quand le gouvernement éthiopien, contraint sa population épuisée à un vaste déplacement qui aggravera le bilan final de 200.000 victimes, l'euphorie médiatique et le registre émotionnel empêcheront tout critique. Les interventions militaires qui se succèdent dans les années 1990 se doublent systématiquement d’interventions humanitaires. En 1993, les marines américains débarquent de nuit sur les plages de Somalie, suivies de près par les associations humanitaires, le tout en direct des caméras de télévisions du monde entier. L’opération qui devait restaurer l’ordre et fournir une aide alimentaire se terminera dans un fiasco total, sans que le sort des Somaliens ne s’en trouve amélioré. L’année suivante, en 1994, un demi million de Tutsis est exterminé sous les yeux d’une communauté internationale indifférente. Ce n'est qu'au moment où le choléra frappe les réfugiés Hutus au Zaïre que le monde se mobilise. Le génocide s'est effacé derrière la catastrophe humanitaire, les ONG intervenant massivement dans ces camps. En 1999, les forces de l'OTAN attaquent la Serbie et le Kosovo pour interrompre la répression qui s'abattait sur les Kosovars albanais. Des mouvements de population fuyant les bombardements et les exactions des troupes serbes nécessitent l’ouverture de camps de réfugiés. Les ONG y sont largement présentes, apportant leur caution à l’intervention armée.

 

L’instrumentalisation de l’humanitaire

Fallait-il donc rester les bras croisés ? Sans doute pas, mais il est tout aussi essentiel de comprendre qu’à son corps défendant, l’humanitaire est devenue partie intégrante de la stratégie militaire et de la communication politique des grandes puissances occidentale. L'idée de la guerre est devenue tellement insupportable qu'il est de plus en plus difficile de la justifier moralement. L'humanitaire est donc devenu son prétexte. A cette critique de fond se rajoutent des affaires qui sont venues défrayer la chronique en 2002, la plus spectaculaire étant sans doute l'enquête du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés qui accuse 67 personnes, employés locaux d'une quarantaine d'organisations humanitaires, d'avoir abusé sexuellement des mineurs dans des camps de réfugiés en Sierra Leone, au Libéria et en Guinée, en échange de nourriture. La prise de conscience est venue en France du scandale de l’Arc, organisation de lutte contre le cancer qui avait surtout abouti à l’enrichissement personnel de son président. C’est pour répondre à de telles dérives que s’est créé le Comité de la Charte qui veille plus particulièrement à la transparence financière, la qualité des actions et des messages, la rigueur des modes de recherche de fonds et le contrôle interne du respect des engagements par les organisations signataires. Ce qui est à l’ordre du jour, c’est bien de réfléchir à ce que l’on fait et à comment on le fait : à la tyrannie du temps réel, il faut opposer une éthique du ralentissement qui restaure le temps de la réflexion, à la dérive que constitue l'obscénité de l'image des victimes complaisamment exposées, il faut répondre par une éthique de la dignité humaine.
 
 

Le temps de la miséricorde

La religion chrétienne, ne faisant en cela que reprendre les préceptes des cultes égyptiens et juifs (voir fiche pratique) a élevé la notion de charité au niveau d’un principe de vie. Certes, nombre de pratiquants, comme nombre de citoyens non croyant d’ailleurs, gardent à cette valeur une dimension toute théorique. Reste néanmoins magnifiée depuis des millénaires cette vertu qui consiste à désirer faire le bien de son prochain. Il n’y a donc rien d’étonnant à constater que l’église se soit pendant longtemps donné pour mission de venir en aide aux déshérités. Progressivement, notamment à partir de la révolution de 1789, l’Etat a pris le relais en instituant une législation sociale. Mais les notions chrétiennes imprègnent encore largement les démarches altruistes. Il n’y a pas si longtemps que les ordres religieux ont laissé la place aux laïcs dans les établissements hospitaliers, sociaux et médico-sociaux. Loin de nous l’idée de nier le rôle éminent joué par ces congrégations au cours des siècles, en tout cas en ce qui concerne leur action charitable. Après tout, pendant longtemps les coutumes furent bien cruelles : les cités conquises étaient livrées aux soudards qui n’hésitaient pas à passer au fil de l’épée, sans distinction, hommes, femmes, enfants, vieillards, sans que cela n’émeuve grand monde. Il est heureux que l’indifférence à la souffrance et la jouissance sadique devant les tourments ait pu être contrée par une réponse faite de bonté et de sensibilité au malheur d’autrui.
 
 

En finir avec la pitié…

Mais la pitié, ce sentiment qui est au cœur de la charité, comporte une dimension  condescendante assez insupportable. Elle est une sollicitude qui écrase, qui exige reconnaissance, qui rend infiniment redevable. Elle place celui qui reçoit en position de dépendance et celui qui donne à une place dominante. Mais ce sentiment possède aussi, paradoxalement, une dimension finalement assez égoïste : « La pitié est souvent un sentiment de nos propres maux dans les maux d’autrui ; c’est une habile prévoyance des malheurs où nous pouvons tomber ; nous donnons du secours aux autres pour les engager à nous en donner de semblables occasions, et ces services que nous leur rendons sont, à proprement parler, des bien que nous nous faisons à nous-mêmes par avance » affirmait François de La Roche Foucauld. N’y a-t-il pas en filigrane, dans l’humanitaire, un élan du cœur qui prendrait ses sources dans cette dimension finalement assez trouble ? Il n’y a qu’à se tourner vers les campagnes de presse faisant appel à la générosité publique, n’hésitant pas étaler des images chocs, pour constater combien la générosité l’emporte trop souvent sur la réflexion et la sensibilité sur l’éthique. La question qui se pose est bien de savoir comment éviter d’enfermer l’humanité de ceux qui souffrent dans un statut d’assisté.

 

… et le sentiment de supériorité

Si les puissances européennes se sont taillées des empires à travers le monde, c’est comme nous l’avons vu pour des raisons avant tout économique. Mais, il ne faut pas sous-estimer la conviction que partageait alors nombre d’Européens quant à leur rôle civilisateur : « Ouvrir à la civilisation la seule partie du globe où elle n'a pas encore pénétré, percer les ténèbres qui enveloppent les populations entières, c'est si j'ose le dire, une croisade digne de ce siècle de progrès. »  affirmait ainsi, Léopold II, roi de Belgique, en 1876. Plus cynique, Jules Ferry  (le même qui rendra obligatoire l’instruction publique) déclarait à la Chambre des députés en1884 : « Je répète qu'il y a pour les races supérieures un droit, parce qu'il y a pour elles un devoir, elles ont le devoir de civiliser les races inférieures. » Est-on sûr de nous être complètement débarrassés de ce sentiment de supériorité au travers de l’acte humanitaire ? N’est-ce pas encore un occident triomphant avec ses moyens modernes d’infrastructure et sa technologie sophistiquée qui vient sauver des populations démunies que l’on considère au demeurant comme dépouillées de toute capacités ? Quel appel est-il fait aux ressources et aux compétences locales ? De quelle réflexion bien plus globale sommes-nous porteurs face à des situations qui sont quand même le produit d’un certain ordre mondial ? Notre générosité et notre bonté ne sont-elles pas un moyen de faire l’impasse sur l’enchaînement des causes et des effets à l’origine des catastrophes pour lesquelles on intervient ?

 

Appliquer les principes de l’Education populaire

L’Education populaire s’est tournée depuis des décennies vers les populations qui contrôlent peu ou pas leurs conditions de vie et de travail, avec pour objectif de leur permettre d’accéder pleinement à la citoyenneté. Ce dont il s’agit, c’est bien de favoriser la transformation sociale économique et politique, en agissant pour cela sur une prise de conscience et des actions tant individuelles que collectives. Cet esprit peut tout à fait se retrouver dans une démarche auprès de populations étrangères en grande difficulté qui privilégierait leur propre prise en charge. Prendre en compte l’autre, c’est le considérer à une place de sujet désirant et s’intéresser à ce dont il est, de fait, déjà porteur. On n’est plus là dans le « faire pour » mais dans le « faire avec ». On renonce à savoir ce qui est bien pour l’autre, pour être vraiment à son écoute et le considérer comme l’acteur principal de sa propre vie. Des expériences humanitaires ont lieu chaque année. Les unes continuent encore à s’inscrire dans la bonne conscience charitable du plus riche faisant l’obole au plus pauvre. D’autres s’engagent à respecter la dignité des populations secourues. Un proverbe africain devrait être inscrit sur tous les passeports des volontaires de l’humanitaire : « L’étranger a de gros yeux, mais il ne voit rien ; l’étranger ne voit que ce qu’il sait. »

 

Lire interview Lustière Anne-Marie - Humanitaire

 

Jacques Trémintin – Journal de L’Animation  ■ n°54 ■ déc 2004

 

 

 
Le monde et ses guerres
Depuis 1945, 160 guerres ont éclaté provoquant 22 millions de morts, 60 millions de blessés, 20 millions de réfugiés, 30 millions de personnes déplacées dans leur propre pays et 80 millions ayant émigré contre leur gré, chassés par les conflits, sans compter les dégâts matériels considérables. Les années 1990 ont connu une cinquantaine de zones de guerre dont la plupart ont eu pour théâtre les pays émergeants (ainsi, l’Afrique qui représente 10% de la population mondiale a un taux de réfugiés de 30%). A ce bilan effrayant, il faut rajouter environ 300.000 enfants soldats âgés de 10 à 12 ans enrôlés tant dans les armées régulières que chez les rebelles. 

 
Ce qu’il vaut mieux éviter
« Tel groupe d’étudiants construit une école au Vietnam alors que pas un ne sait manier la truelle : les murs ne tiennent pas debout. Tel autre va lutter contre le sida en Afrique avec des affichettes représentant des phallus géants : il scandalise la population. Tel autre encore fait du soutien scolaire au Togo pendant les vacances d’été : les lycéens togolais étant aux champs pour gagner un peu d’argent, les tuteurs français ne soutiennent pas grand monde. Et avec le prix d’un seul billet d’avion aller retour Paris – Lomé, on peut faire vivre quatre élèves africains pendant un an. Certains de ces jeunes amènent du matériel scolaire inutile ou mal adapté qu’il aurait été moins coûteux d’acheter sur place. D’autres offrent des cédéroms à des écoles qui n’ont même pas l’électricité, les petits écoliers africains n’ayant pas toujours de quoi acheter des cahiers et des crayons au bazar du coin. » Odon Vallet, La Croix (5 août 2004)
 

Les charrettes de la TAPOA"
Province de Tapoa au Burkina Faso. La population manque de moyens pour transporter l’eau (les femmes se chargeant de cette tâche ingrate, le puits étant parfois distant de plusieurs kilomètres), les récoltes, le bois, les briques (pour construire les maisons). Plutôt que de faire livrer des charrettes, l’association  Solidarité rurale du Morbihan les fait fabriquer par les forgerons locaux. Un groupe de dix à vingt familles se charge alors de l’utilisation de chaque charrette et son remboursement sur deux ans à la caisse du village, somme aussitôt réinvestie pour en fabriquer d’autres. Chaque année, seize nouvelles charrettes sont ainsi produites. Fin 2004, cela représente 81 groupes d’utilisateurs et 1.600 familles concernées.

 
André Bluirrete (animateur Defa) : « Il faut faire attention à ce que j’appellerais le  syndrome du Paris-Dakkar : le danger c’est de rester prisonnier d’une vision misérabiliste des pays émergeants. Il ne faut pas considérer que ces pays où par un élan de générosité, un certain nombre d’animateurs veulent se rendre, sont une terre vierge qu’il suffirait de labourer en apportant notre savoir-faire occidental. Pour avoir accompagné un projet dans un pays d’Afrique noire, je peux témoigner que le réflexe premier chez les volontaires n’était pas de prendre en compte les savoirs et expériences existant déjà sur place. Ils n’avaient pas plus réfléchi au fait que nos techniques d’animation ne sont pas modélisables et reproductibles telles quelles. Il semble essentiel, pour éviter ces dérives, que de telles initiatives soient bien encadrées par des fédérations d’éducation populaire qui apportent une réflexion, une formation et une préparation nécessaires. »
 
 

 
Fiche n°1 :Des racines de l’humanitaire qui remontent au Vème siècle avant JC ?
Dans l’ancien testament, Dieu prescrit aux hommes de se considérer comme frères. Ils ne doivent ni opprimer leur prochain, ni le tromper, ni le haïr, mais le considérer comme un ami en lui portant une affection égale à celle qu'ils se portent à eux-mêmes. Même si cet esprit de justice et de charité peut être obscurci par les passions, une règle universelle s’impose : protéger les faibles et les petits et offrir aux pauvres le secours et les moyens de se relever de sa condition. Cette bienveillance concerne aussi l'étranger résidant sur la terre d'Israël, ou de passage à travers la contrée. Il faut l'aimer comme un concitoyen. La justice doit être égale pour tous, sans acception de la richesse, de la puissance ou de la pauvreté. Le Pentateuque ne se contente pas de proclamations de principe. Il prévoit des règles très précises. Ainsi, une dîme prélevée tous les trois ans sur le fruit du labeur est mise de côté dans chaque foyer et est à disposition de l'étranger ou de l'orphelin qui en fait la demande. L’indigent, souffrant de la faim, a le droit d'entrer dans le champ de son prochain pour y prélever ce qui lui est nécessaire pour se nourrir (la loi juive est étonnante de précision : il doit toutefois cueillir les épis avec la main, sans employer la faucille). Le législateur biblique, a énoncé de bien curieuses règles d’égalité susceptibles d’éviter que se perpétue le développement de la richesse chez les uns et de la misère chez les autres. Une terre vendue revient, sans indemnité à payer, à son ancien propriétaire au bout de cinquante ans. Il en va de même pour l’adulte obligé pour payer ses dettes de se vendre comme esclave : la loi lui rend sa liberté au bout de six années. Ceux qui possèdent sont chargés de venir au secours des pauvres. Que l'Hébreu qui ne peut plus travailler ait un asile chez ses compatriotes au même titre que l'étranger et le voyageur. Le prêt à intérêt est interdit entre Israélites, sous quelque forme que ce soit. La loi ordonne d'ouvrir la main au frère qui, habitant l'enceinte de la ville, tombe dans le malheur. Il faut lui prêter gratuitement ce dont il a besoin. Le salaire du travailleur est sacré. Loin de le retenir, il faut le lui verser le jour même, avant le coucher du soleil, parce qu'il l'attend pour se procurer le nécessaire.  La bienveillance dans les relations de la vie, les services réciproques, sont également prescrits. Malheur à celui qui parle mal du sourd, tend des pièges à l'aveugle, le fait égarer de son chemin. Cette étonnante législation sociale dont certaines prescriptions vont bien au-delà  de nos propres réglementations contemporaines démontre s’il en était besoin, que la notion de solidarité, d’entraide et de secours aux plus déshérités est très loin d’être une notion moderne.

 
 
Fiche n°2 :L’animation au service des enfants réfugiés

En 1981, Enfants Réfugiés du Monde se créé sur la base d’un constat : un réfugié sur deux dans le monde est un enfant, mais un enfant réfugié est d’abord un enfant. Et tous les enfants du monde jouent comme ils respirent. Car, à cet âge, jouer est une activité universelle et un besoin vital. Fragilisé par la maladie et la sous-alimentation, l’enfant réfugié doit être protégé tant physiquement que psychologiquement. Mais il doit aussi pouvoir faire son « métier d’enfant »(Montaigne). L’action de l’association  qui a fait des plus jeunes la priorité de son intervention, a fait du jeu son principal support, respectant en cela la devise : “un enfant qui ne joue pas est un enfant qui meurt. » Répondre de façon simultanée à ces besoins multiples tout en respectant la culture et l’histoire des réfugiés supposait une approche globale basée à la fois sur l’universel et sur la différence. Dans une première période, l’association s’est inscrite dans la même dynamique d’urgence que ses consoeurs humanitaires, sans bien mesurer la question du temps. Mais très vite, elle s’est engagée dans un travail de long terme, considérant qu’il y a aussi une urgence qui dure tant que le potentiel de développement d’un enfant est menacé, le temps de l’enfance étant le temps qu’il faut pour grandir et apprendre, pour jouer de nouveau et retrouver le sourire.  Des actions à long terme sont dès lors engagées auprès des réfugiés palestiniens (à partir de 1982), guatémaltèques (à partir de 1983) et sahraouis (à partir de 1986). Premier volet des missions : créer un espace où l’adulte, garant de la sécurité, de la règle du jeu et d’un soutien affectif inconditionnel favorise le jeu, tous les jeux : jeux d’exercices, jeux symboliques, jeux d’assemblage, jeux de règles, mais aussi les marionnettes, le théâtre, la danse, le cirque, le dessin, la peinture, le football… On y apprend aussi, mais pas comme à l’école, on y travaille : les jouets, ça se fabrique. Enfin, on y fait la fête avec les parents et toute la communauté. L’animateur est le pivot du dispositif de jeu que nous mettons à disposition des enfants. Réfugié lui-même, c’est dans la langue et la culture des enfants qu’il garantit la protection indispensable au déploiement de toutes les ressources du jeu. Car, et c’est bien là le second volet des missions : doter les réfugiés du savoir-faire et du savoir-être nécessaires à la prise en charge de leurs enfants. C’est à travers ce processus de formation que peut se sceller l’alliance avec la communauté. C’est le socle sur lequel est fondé le contrat de partenariat proposé par l’association qui conditionne son intervention à l’assentiment de la communauté réfugiée et une participation active des acteurs locaux. Depuis la première mission en 1982, auprès des Miskitos réfugiés au Honduras, Enfants réfugiés du monde a ouvert des centaines de lieux d’accueil pour les enfants : des crèches, des jardins d’enfants, des centres d’animation, des postes de santé et de nutrition… soit 70.000 enfants bénéficiaires dans une vingtaine de pays différents (chiffres 2001).On ne sort pas indemne de la rencontre avec le monde des réfugiés et ses enfances saccagées. Supporter une part d’impuissance, agir entre la conviction et le doute, vivre l’incomplétude est parfois douloureux. Mais il y a aussi  les gestes, les paroles, les regards, les sourires et les rires, ces mille moments de bonheur avec ces enfants qui justifient pleinement l’engagement de redonner, dans un monde où il ne brille pas pour tout le monde, du soleil aux enfants.

Contact : Enfants Réfugiés du Monde, 34 rue Gaston Lauriau 93512 Montreuil  Cedex   

Tél : 01 48 59 60 29   /   Mail : erm@enfantsrefugiesdumonde.org

Site : www.enfantsrefugiesdumonde.org



Fiche n° 3 : Précautions avant l’intervention

L’évaluation préalable est une étape indispensable à toute intervention psychosociale qui se veut respectueuse des populations victimes de catastrophes. Cette phase a été tout particulièrement réfléchie par Enfants réfugiés du monde dont nous empruntons ici un extrait des « lignes directrices » élaborées par cette association, en mars 2003.

Cette évaluation passe par la prise en compte des éléments mesurables mais aussi par l’écoute des populations concernées.

Elle consiste d’abord à analyser, de la façon la plus impartiale possible, les circonstances de la crise : nature de l’évènement, causes conjoncturelles et structurelles. Quels sont les enjeux régionaux (voire locaux) : ethniques, culturels, religieux et politiques ? Quels sont les enjeux internationaux : économiques et géopolitiques ? Quelle est la situation actuelle (aiguës ou chronique) et son évolution possible à court et à moyen terme ?

Puis doit intervenir une enquête approfondie sur les savoirs, les traditions et les modes d’expression culturelle.

Troisième étape, une description précise des conditions de vie de la population et des groupes les plus fragiles : situation d’urgence et de post-urgence, conditions géographiques et humaines (climat et accessibilité, niveau de développement économique, milieu rural et urbain, habitat dispersé ou collectif, déplacement forcé, refuge ou rapatriement), conditions physiques et matérielles  (logement en infrastructures, alimentation, santé et éducation), conditions sociales (activité professionnelle, revenus et aides dispensées : financière ou en nature, individuelles et collectives), situations familiales et conditions psychologiques (traumatismes, troubles psychosomatiques et psychiques).

Ensuite, vient le recensement des ressources disponibles internes (dans l’environnement régional et national et au sein de la communauté) et externes (aide des organismes internationaux, des Etats et des ONG).

Enfin, intervient l’indispensable écoute des demandes de la population, qu’elles s’expriment de façon explicite ou implicite. Très souvent les demandes matérielles sont une manière de faire entendre une détresse morale et recouvrent une demande de soutien psychosocial qui ne peut se dire.

Cette évaluation doit déboucher sur un diagnostic : replacer l’enfant dans son contexte. Quel est le changement souhaitable et que le st le changement possible ? Quelles sont les priorités compte tenu de l’ensemble des besoins et des moyens mobilisables ? Quelles sont les conditions pour obtenir l’accord des bénéficiaires et quelle est l’alliance qui leur est proposée ? Quelles sont les collaborations nécessaires ?

 

 

Bibliographie

►        « La question humanitaire- Histoire, problématique, acteurs et enjeux de l’aide humanitaire internationale » Philippe Ryfman, édition  Ellipse-Marketing

Pour comprendre l'économie et la politique du monde contemporain, l’Humanitaire est devenu un phénomène de société et une donnée de poids dans les relations internationales. Philippe Ryfman éclaire la genèse et les mécanismes de fonctionnement d'un véritable pôle humanitaire - Organisations non gouvernementales et internationales, Croix-Rouge et États - qui a considérablement évolué depuis le début de la décennie 90, et qui s'est montré tout autant capable de créer des synergies bienfaisantes qu'une concurrence parfois malvenue. Avec le souci d'une nécessaire prise de distance par rapport à l'actualité, La question humanitaire brosse le portrait des acteurs ainsi que de personnalités marquantes du pôle humanitaire, dresse un bilan des actions marquantes et fait l'état des lieux des questions soulevées par l'aide humanitaire internationale. S'inscrivant dans la tradition de "l'analyse de l'humanitaire à la française", l'auteur offre un outil de compréhension aux étudiants en quête d'information et de formation autant qu'aux chercheurs, décideurs et professionnels désireux de comprendre le poids croissant de l'Humanitaire dans notre monde, ainsi plus globalement qu'à tout Public soucieux de connaître le dessous des cartes de la question humanitaire.

        « L'humanitaire expliqué à mes enfants » Jacky Mamoul, Le Seuil

« Au retour d'une nouvelle mission humanitaire, mes enfants me demandaient souvent de leur raconter d'où je venais et pourquoi, au juste, j'étais parti. Leurs questions étaient simples mais les réalités l'étaient moins. S'ils sont immédiatement bouleversés par ce qu'ils voient à la télévision, les enfants ont envie de comprendre. Pourquoi tout cela est-il encore possible ? Pourquoi n'agit-on pas ? Que font les pays riches et les démocraties ? Pour ce qui me concerne, les questions en revenaient sans cesse à quelques points essentiels. Ce que je faisais était-il efficace ? Pourrait-on faire davantage, et comment ? C'est en me fondant sur ma propre expérience que j'ai voulu leur raconter l'histoire de l'humanitaire en insistant sur ses réussites mais sans dissimuler ses limites et ses ambiguïtés »

        « L'idéologie humanitaire ou le spectacle de l’altérité perdue » Bernard Hours, L’Harmattan

L'action humanitaire a produit en quelques années une idéologie cohérente qui permet de penser de façon homogène le destin des victimes des catastrophes, tant naturelles que politiques. C'est à travers la médecine humanitaire, en particulier, que cette mondialisation de la gestion des "Autres" comme victimes a été mise en oeuvre. La solidarité est désormais tellement ritualisée par les médias qu'elle est devenue un sentiment virtuel, un élément de correction morale universelle. Cette globalisation des bons sentiments cache mal des exclusions démultipliées, des conflits sanglants. En fait, l'idéologie humanitaire se présente comme la façade éthique des nouvelles formes d'exploitation économique. Elle sert d'abord à rendre acceptable l'iniquité en attirant le regard sur les seules victimes spectaculaires.

 

Aussi :

►        « Les O.N.G. » Philippe Ryfman, éditions La Découverte

►        « Les métiers de l’humanitaire et de la solidarité » Christine Aubree, L’Etudiant

►        « L’humanitaire en crise » David Rieff, Le Serpent à plume