La petite enfance

Le bébé est une personne » le titre de ce documentaire présenté à la télévision au début des années 80, venait rappeler aux adultes que le petit d’Homme n’est pas seulement un tube digestif qui dort et qui pleure, mais est doué de compétences étonnantes. Depuis, nous allons de découvertes en découvertes quant à ces potentialités. Dès lors, le défi qui nous est lancé à tous, parents et professionnels, c’est d’être à la hauteur de ce que le petit enfant attend de nous.
 

Petite enfance ou l’adulte en création

La petite enfance est une époque de grand tumulte, de foisonnement et de grande créativité. Plus jamais, l’être humain ne fera preuve d’autant d’inventivité et de productivité qu’à cette époque de sa vie. Il lui faut tout apprendre : à parler, à marcher, à manger seul, à respecter les interdits, à écrire, à lire, à dompter les forces intérieures qui l’assaillent etc ... Le dynamisme dont l’enfant fait alors preuve dans la démarche d’apprentissage ne se retrouvera jamais avec une telle intensité. C’est une chance que le monde adulte doit savoir saisir. C’est son propre avenir qui en dépend.
 
De tous les âges de l’homme, la période qui va jusqu’à six ans est peut-être celle qui a été la plus étudiée. Les publications sont nombreuses qui décrivent ce qui est alors présenté comme la véritable genèse de l’être humain. Un célèbre auteur américain, Fitzhugh Dodson, n’hésitait pas à titrer l’un de ses ouvrages : « Tout se joue avant 6 ans ». Formule trop rapide, qui est peut-être plus un coup d’éditeur à la recherche d’un titre choc que la pensée de l’auteur qui, dans le corps de son ouvrage, apparaît plus nuancée. En effet, si l’être humain se trouve confronté à certain nombre de déterminismes, il n’en est toutefois pas complètement prisonnier. Ainsi, si la symphonie est pour l’essentiel écrite avant 6 ans, il reste encore de multiples façons de l’interpréter.
Il n’en reste pas moins vrai que ces toutes premières années de l’existence constituent un moment particulièrement privilégié. Cette importance accordée à la petite enfance n’est pas un hasard.

L’intérêt pour l’enfant : hier et aujourd’hui

Elle vient peut-être d’abord compenser la tendance exactement inverse qui s’est imposée pendant des siècles et qui ne s’intéressait que bien peu à cette époque de la vie. C’est vrai que la forte mortalité infantile qui sévissait alors n’incitait guère à l’attachement à l’égard de petits êtres qui allaient dans des proportions notables disparaître avant d’atteindre l’âge de raison. La mort de l’enfant était alors une fatalité sur laquelle on ne s’attardait pas comme aujourd’hui. Ce qui fera dire à un historien comme Philippe Ariès que le sentiment de l’enfance est une invention moderne. La société médiévale, ne concevant ni vêtements, ni jeux qui soient spécifiques aux enfants, les peintures les représentaient comme des adultes en réduction. En fait, dès que l’enfant avait atteint l’âge de raison (7 ans) et ne vivait plus sous la sollicitude permanente de sa mère, il etait intégré au monde des adultes.
Aujourd’hui, il ne va tout autrement. L’enfance est devenue une valeur sacrée. La connaissance sur ce sujet est étendue. Le monde adulte a compris que c’est à travers sa progéniture qu’il prépare son avenir.
 

L’enfant est l’avenir de l’Homme

On sait qu’à la naissance, la masse du cerveau du bébé représente le quart des dimensions qu’il atteindra à l’âge adulte. Ce qui pourrait apparaître, au demeurant, comme un handicap constitue au contraire une chance extraordinaire. L’essentiel de l’équipement qui va faire du petit d’homme un être humain, n’étant pas comme pour la plupart des autres animaux, donné à la naissance, cela laisse une large place à la culture et à l’éducatif. De fait, il faut attendre les 4 ans de l’enfant pour qu’il acquière 50% de son potentiel intellectuel et ses 7 ans pour que cette capacité atteigne les 70%. Ce n’est que vers 17 ans qu’il sera en possession complète de toutes ses facultés.
 Agir dans les toutes premières années de son existence représente donc un enjeu essentiel pour l’avenir de l’enfant : la façon dont il va être éduqué, les comportements qui vont être favorisés chez lui, les aspects de son caractère qui vont être développés, les compétences qui vont être approfondies etc ... vont constitués la trame, l’architecture, la colonne vertébrale de sa vie future.
L’étude des dysfonctionnements humains a souvent servi de tremplin à l’intérêt porté aux fonctionnements plus ordinaires. Ainsi, la célèbre pédagogue Maria Montessori a-t-elle conçu toutes ses représentations à partir de son intervention auprès d’enfants handicapés mentaux. Ce n’est qu’ensuite qu’elle a étendu ses méthodes aux enfants non porteurs d’un problème particulier. On peut mesurer l’importance de l’action éducative auprès de la petite enfance en se référant aux travaux du Comité d’Experts du Conseil de l’Europe qui s’est penché sur la question de la prévention des comportements criminels à l’âge adulte. Dans son « Rapport de synthèse » remis le 7 février 2000, il s’appuie sur une étude réalisée aux Etats- Unis concernant plus de 500 programmes de prévention sociale, et conclut à l’inefficacité flagrante de toutes les actions mettant en oeuvre les châtiments corporels, les campagnes d’information, la canalisation dans les activités de loisirs ou de détente, le fait de susciter la peur ou encore les appels au sens moral etc. ... La seule action qui semble vraiment porter ses fruits relève de l’intervention psychosociale précoce auprès du jeune enfant ne serait-ce que sous la forme de visites à domicile effectuées quand l’enfant est en bas âge par des professionnels qualifiés (travailleurs sociaux, puéricultrices, infirmiers…) permettant de prodiguer des conseils pré et post natals, un soutien, une aide et une formation des parents à la prise en charge de leurs enfants.
 

Entre sécurité et aventure

Le bébé a longtemps été perçu comme avant tout un tube digestif surtout préoccupé de se nourrir et de dormir. Cela ne fait pas si longtemps, finalement, qu’on lui reconnaît des compétences. Même s’il est difficile d’en mesurer l’impact exact, on sait que sa vie intra-utérine est riche en sensations de toutes sortes, et que, par exemple, il mémorise un certain ombre d’informations tel le son de la voix de sa mère ou certaines musiques que celle-ci écoutait fréquemment pendant la grossesse et qui ont le don de le calmer quand, une fois né  il l’écoute. Pour autant, le nourrisson reste dans une grande dépendance. Il demande de la part de l’adulte qui s’occupe de lui, un comportement de sécurisation absolu. La façon dont il va être porté, dont il va être manipulé, mais aussi dont et dont on va s’adresser à lui (il est très sensible au sonorités et intonations de la voix), va créer une enveloppe de tendresse et d’assurance dans laquelle il s’épanouit ou, au contraire provoquer une insécurité qui va l’angoisser et le stresser. Winnicott, célèbre psychanalyste anglais, expliquait que les cinq premiers mois de l’existence de l’enfant  constitue un moment clé au cours duquel la dépendance absolue qui se crée entre l’enfant et sa mère doit être absolument respectée pour qu’ensuite la séparation ait lieu. C’est parce que la relation fusionnelle a lieu et parce qu’elle apporte son quota de sécurité que la prise de distance va pouvoir se passer s’opérer : se rapprocher pour mieux s’éloigner en quelque sorte. Car le bébé (et un peu plus tard l’enfant, mais aussi l’adulte) est animé de deux pulsions de base qui sont contradictoires. Il y a d’abord le besoin d’attachement qui incite à rechercher une enveloppe protectrice : le tout petit a besoin de l’assistance et du soutien des adultes qui lui sont proches. L’autre quête est celle de l’exploration qui l’invite à aller découvrir le vaste monde qui l’entoure. S’assurer un abri et affronter l’aventure : c’est là l’ambivalence qui traverse l’existence humaine. Du juste équilibre trouvé en la matière dès les premières expériences de l’enfance dépendront la façon dont chacun se comportera le reste de sa vie. Une articulation mal négociée pourra provoquer des comportements adultes de méfiance et de dépendance ou encore d’insouciance et d’irresponsabilité, selon le dosage proposé entre protection, surprotection et  déficit de sécurité de base.
 

La construction de l’objet

Autre ressort important qui constitue le début de la socialisation : ce que plusieurs auteurs nomment la construction de l’objet. Au départ, l’enfant n’a pas conscience de l’existence d’un contexte qui se différencie de lui-même. Il ne fait aucun différence entre ce qui est lui et ce qui n’est pas lui. Un tout symbiotique englobe son corps, les adultes qui et le soignent et le monde qui les entoure. Mais très vite, il commence à se saisir de tout ce qu’il peut attraper autour de lui, et, le plus souvent, il le porter à sa bouche (qui reste un vecteur de reconnaissance et d’identification particulièrement prisé). C’est un peu comme s’il « goûtait » son univers. Petit à petit, il va être amené à distinguer son intérieur de son extérieur. Cette prise de conscience de l’existence d’objets qui ont leur propre autonomie constitue la condition de la socialisation, de la reconnaissance de l’autre. cela ne se fait pas d’emblée. C’est une construction progressive se déroule entre le 8ème  et 20ème mois. Le tout petit adore ces jeux qui consiste à chercher un objet disparu active d’objet disparu, ou à le faire disparaître et réapparaître. Il jubile quand on joue à cacher son visage puis à le découvrir. L’enfant qui s’ingénie à jeter sa petite cuillère, ne cherche pas forcément à vous faire tourner en bourrique, même quand il recommence alors que vous venez de la ramasser. Il n’en finit pas de prendre du plaisir à retrouver un objet qui a disparu à ses yeux. Il a acquis la permanence de l’objet, et cette découverte est une source insatiable de plaisir.
Il ne faut pas croire que c’est là une préoccupation qui est le monopole de l’enfant. L’être humain reste en effet toujours, avec cette difficulté inhérente à sa nature, à se décentrer et à se représenter l’autre, à quitter et à retrouver. Là aussi, de la façon dont l’enfant va vivre ces expérimentations, dépendront les comportements adultes face à la séparation, à la tolérance, à la place qui est laissée à l’autre etc...

 

Entre le désir et la réalité

Le petit enfant, au fuire et à mesure où il grandit,  sent en lui pousser des forces qui piaffent. En grandissant il acquière une autonomie physique. Il se déplace de rampant, puis en marchant. Il ne tardera pas à vouloir escalader. Sa tonicité, sa soif de savoir, sa curiosité l’incitent à explorer et expérimenter. Très vite il se heurte à des interdits, à des contraintes qui lui sont imposés par les adultes. Se crée alors en lui un dilemme : satisfaire ses pulsions ou satisfaire ses parents et les autres adultes qui lui demandent de les canaliser. On ne mesure pas les difficultés que cela représente. Le lecteur qui lit cet article est sensé avoir réglé pour l’essentiel ce combat interne. Oh, il y a bien des fois, où il craque et se fait un petit plaisir, se laissant aller à la facilité. Il n’est pas raisonnable, mais ça ne fait rien : ça a la plupart du temps des conséquences limitées : exceptionnellement une fin de mois difficile parce qu’on s’est offert ce qui faisait tant envie, une explication houleuse avec son chef, parce qu’on s’est fait une grasse matinée. Cela, c’est le résultat d’un combat sur des décennies. Le tout petit, lui, en est aux premières escarmouches. Il en est au début de l’incorporation au rituel social. Il mesure à quel point c’est compliqué de prendre le dessus sur ses pulsions. Quand celles-ci sont en harmonie avec les demandes des adultes : l’enfant se sent bien dans sa peau. Mais ce n’est pas toujours le cas. Aussi, fait-il connaissance avec un certain nombre de sentiments troublants et nouveaux pour lui : la honte, l’envie, la jalousie, le souci, la culpabilité etc... Il peut arriver que l’enfant soit submergé par ces ressentis. C’est aussi possible qu’il fasse usage de ses émotions comme moyen de communication. L’adulte doit se garder de traiter ces manifestations en les identifiant à celles que lui peut connaître. Cela ne se passe pas à la même échelle et ne provoque pas les mêmes conséquences. C’est pourquoi, il est essentiel de permettre à l’enfant un apprentissage progressif de ces états et ne pas lui demander des comptes comme à un adulte. L’enfant ne vient pas au monde avec de considérations morales innées. Elles sont le produit du processus d’humanisation et d’éducation. C’est l’environnement qui définit les règles et les lois. Et c’est à l’adulte d’avoir à expliquer à l’enfant la légitimité et l’illégitimité de telle ou telle action ; ce qui compte dès lors c’est la cohérence et la fermeté de ce qui est tenu et non pas la dureté et la violence avec laquelle on l’applique ! Un enfant qui a été autorisé à se permettre de tâtonner dans la recherche des bonnes réactions et à s’autoriser à exprimer son désarroi et sa souffrance pourra d’autant mieux se responsabiliser. Là aussi, l’assurance et la rigueur d’un caractère ne peut s’affirmer que s’il ne craint pas de s’exprimer éventuellement au préalable par l’incertitude et l’hésitation.
 

Une socialisation en devenir

Jusqu’à 4 ans, l’enfant entre en relation avec les autres enfants d’une manière très individualiste. On ne peut dire qu’il partage ses jeux. Il joue plutôt seul à côté des autres. Sa recherche va plutôt vers l’adulte : toute grande personne est identifiée au parent protecteur et tout enfant est vécu comme avant tout un rival et un concurrent susceptible de s’accaparer l’adulte. La structuration en groupe prend bien souvent la forme de l’antipathie ( contre un tiers). Une fois découvert le plaisir d’agir ensemble, l’attitude amicale prend très vite le dessus sur l’hostilité. Un certain nombre de comportements constituent un obstacle à la coopération : l’égocentrisme (l’enfant ne peut se mettre à la place d’autrui et ramène tout à lui), l’hétéronomie (la règle n’est jamais intégrée et acceptée pour elle-même mais parce qu’elle est imposée par l’adulte) l’instabilité du caractère (tendance à l’emportement et à l’impulsivité), pensée magique (les choses sont ce qu’elles sont car elles ont été conçues pour le servir). Ce n’est que dans la mesure où ces tendances diminuent, que la socialisation peut prendre de l’importance. Mais le petit enfant est encore soumis, pour l’essentiel, à toutes les illusions de sa perception qu’il ne peut encore rectifier par le raisonnement (cela viendra un peu plus tard). La socialisation va alors passer par des heurts et des conflits, l’agressivité devient l’un des supports permettant de trouver la juste distance entre soi et les autres. L’adulte doit  savoir doser entre un certain degré de tolérance et un encouragement donné à l’enfant à ce qu’il apprenne à canaliser ce type de comportement. Mais, il ne doit jamais lui refuser tout droit de cité ou lui nier toute pertinence.
 

Les différentes étapes de la petite enfance

Les spécialistes de l’enfance ont proposé pour la période qui va jusqu’à 6 ans différentes étapes.
Ainsi, Henri Wallon distingue-t-il trois périodes : la phase d’opposition (3 à 4 ans), la phase de séduction (4 à 5 ans) et la phase d’imitation (5 et 6 ans).
Fitzhugh Dodson propose, quant à lui, des périodes d’équilibre (1 an, 3 ans et 5 ans) et des périodes au cours desquelles il va affirmer sa personnalité en s’opposant : c’est la période des « non » et des comportements provocateurs.
Sigmund Freud affirme que l’adulte se construit dans sa toute première enfance, à partir de la façon dont il gère son énergie libidinale (qu’on peut rapidement identifier à la vitalité sexuelle). Il identifie ainsi quatre stades : le stade oral (première année), le stade anal (2 et 3ème année), le stade phallique (3ème année) et enfin la résolution du complexe d’Oedipe (4ème et 5ème année).
Chacun(e) pourra retrouver auprès de l’un ou de l’autre de ces auteurs un approfondissement de son approche. L’important ici est surtout de retenir le mouvement gradué qui permet au petit d’Homme de progresser dans le sens d’une plus grande autonomie et d’une accession à l’âge adulte. Dans une évolution psychique saine, grandir, c’est accepter de mieux en mieux à la fois la réalité et les considérations morales qui viennent s’opposer et contrarier les pulsions et les désirs.
Face à l’enfant en développement, il est difficile à l’adulte de toujours trouver  la juste alchimie entre le trop et le pas assez. Il n’existe pas de comportement qui serait adapté par avance. La relation éducative est toujours une construction unique qui relie un adulte avec son caractère, se sentiments, son histoire particulière et un enfant en recherche permanente. Les actes que cet enfant va poser dépendent de là où il en est de ses expérimentations, de ce qu’il cherche à cet instant donné : affirmer sa personnalité, privilégier un contact plus affectif, assumer une plus grande autonomie, se garantir une sécurisation ... Parfois, il passe successivement par ces différentes formes en peu de temps. L’adulte, de son côté, réagit à partir de ses convictions, mais aussi de son propre vécu d’enfant, sans oublier son état du moment (son humeur, ses préoccupations, sa disponibilité ...). Tous ces facteurs (et bien d’autres) constituent le cadre des interactions adulte/enfant dont la richesse et la complexité dépassent tout ce que l’ensemble des traités de psycho-pédagogie peuvent relater. Ce qui a fonctionné à un instant t. ou avec tel enfant, ne sera plus pertinent quelques minutes plus tard ou avec un autre enfant. L’une des seules constantes qu’on puisse malgré tout retenir est peut-être la propension trop fréquente des adultes à ne considérer que l’immaturité physique des petits en ignorant leur immaturité psychique. Il pense trop souvent que l’enfant réagit, éprouve et ressent tout comme lui et ne cherche pas à établir l’équilibre entre ses propres besoins et ceux de sa progéniture.  L’éducation est une rencontre dynamique où l’adulte apprend aussi de l’enfant : il lui faut savoir évoluer, se remettre en cause et réfléchir à des compromis.
 
Lire interview : Chanu Michèle - Petite enfance

Jacques Trémintin – Journal de L’Animation  ■ n°21 ■ sept 2001

 
 
Pour aller plus loin :
Philippe Ariès : « L’enfant et la vie familiale sous l’ancien régime » Seuil, 1973.
Fitzhugh Dodson : « Tout se joue avant ­ ans », Robert Laffont, 1974
Jeanine Guindon : « Vers l’autonomie psychique », Fleurus, 1982
Corinne Morel : « ABC de la psychologie de l’enfant » édition J. Grancher, 1999
Berthe Reymond-Rivier : « Développement social de l’enfant et de l’adolescent » édition Pierre Mardaga
 
 

Fiche n°1 : L’accueil du petit enfant au quotidien

Valérie Claisse est responsable du secteur petite enfance au centre social du centre ville de Cambrai. Elle nous a adressé son témoignage sur la façon de se comporter avec les petits.
« Avec les 3-6 ans, s’il y a une chose essentielle, c’est bien, avant tout, de se mettre à leur écoute. L’adulte se doit de faire des efforts d’adaptation. Le premier de ces efforts c’est le respect des rythmes de vie particulier de cette classe d’âge. Il y a d’abord des moments dans la journée où il est plus facile d’obtenir leur attention : c’est par exemple le matin ou entre 17 et 19h00. Il faut tenir compte de ces périodes, dans la programmation des activités. Les tout petits disposent d’une capacité de concentration limitée. C’est pourquoi, on doit alterner les moments  d’activité qui ne peuvent durer guère plus de 15 minutes et les temps calmes. Mais ces temps calmes ne doivent pas être imposés, mais proposés : ils doivent répondre à la demande des enfants. Ils peuvent intervenir à la suite d’une activité. Mais, ils peuvent aussi venir prendre la place de celle-ci. Ainsi, si un petit ne souhaite pas participer à une activité, il doit avoir la possibilité de prendre un livre et d’aller le regarder dans un coin tranquille, de dessiner ou d’utiliser un jeu. Autre moment calme important : le temps du goûter qui est l’occasion d’échanger et de parler de ce qui s’est passé dans la journée, ce qu’ils ont aimé ou non. Le goûter est aussi une bonne illustration de ce qui peut être proposé en matière d’autonomisation. On pense qu’à cet âge, il est difficile de les laisser faire tout seul. Plutôt que ce soit l’adulte qui prépare la tartine avec de la confiture, il est tout à fait possible de leur demander de le faire eux-mêmes. Ils en mettent parfois partout, mais ce n’est pas grave. On peut toujours essuyer, l’important étant de lui permettre d’agir de façon autonome. Les plus grands peuvent se mettre à les aider, s’ils n’y arrivent pas très bien. Cela peut même aller jusqu’à leur donner des petites responsabilités comme débarrasser ou laver les verres et les couverts. Là aussi, ça peut ne pas être bien fait : ça n’a aucune importance. C’est pareil pour ce qu’on appelle le « laisser jouer ». Si l’animatrice est là pour jouer avec les enfants, cela n’est pas contradictoire avec le fait de les laisser par petit groupe jouer entre eux à la dînette par exemple, sans que l’adulte ait besoin d’être forcément présent. Bien sûr, il reste pas loin, afin de pouvoir intervenir assez vite, mais il laisse quand même les enfants se débrouiller tout seuls. La liberté de choix peut être proposé dès cet âge là. On pense souvent que ce ne serait valable que pour les plus grands. On peut leur présenter différentes activités et les laisser aller là où ils le veulent. Ca marche très bien. C’est comme les réunions qui peuvent être organisées. Il suffit de poser une question simple et de les écouter. Ils ont plein de choses à dire. On peut les habituer ainsi à prendre part à l’organisation de leurs loisirs. Même si, à cet âge, ils pensent beaucoup à jouer, ils peuvent faire aussi des choses très sérieuses. C’est vrai que pour eux, le jeu est essentiel, car cette occupation les aide à grandir. On peut utiliser par exemple une mallette de découverte musicale et proposer à chaque enfant un instrument (cymbale, tambourin, triangle) en leur faisant suivre un rythme : ils adorent cela. On peut aussi s’appuyer sur leur imaginaire en inventant des petits personnages qui ont des comportements qui sont les leurs et à qui il arrive plein d’aventures. Une petite souris, un petit bonhomme, un crocodile etc ... qui seront tour à tour gourmands, sages ou qui iront dire qui a fait des bêtises. Les enfants s’identifient très vite à eux et apprennent ainsi ce qu’il faut faire ou pas. A cet âge, les tout petits sont encore très proches de leurs parents. Le moment de la séparation est parfois délicat à gérer. On a beau dire que maman reviendra bientôt, ça ne veut pas dire grand chose pour l’enfant, car l’enfant ne se projète pas dans le temps. Il est possible alors de faire entrer la mère dans le centre et de prendre le temps de lui parler. Cela rassure l’enfant et établit un sentiment de sécurité, puisqu’il voit qu’on parle de lui. Une expérience très enrichissante à mener : proposer aux parents de se joindre à une après-midi d’activité. Ils voient ainsi comment fonctionne le centre. Pour un petit, découvrir les loisirs en étant accompagné par son papa ou sa maman, c’est le top. Mais, un tel projet nécessite d’être bien préparé. Il faut que l’ensemble des animateurs en ait compris le sens et accepte cet envahissement de leur univers. Le résultat vaut bien cet investissement. La relation avec les parents s’en trouve changée. Ce n’est plus bonjour, bonsoir quand ils viennent accompagner ou chercher leur enfant. Ils se sentent alors bien plus concernés par l’activité du centre. C’est un peu comme s’ils devenaient partie prenante de ce moment de loisirs. C’est très important pour leur enfant. Je voudrais terminer mon témoignage par une précision qui me tient à coeur : toute la démarche que je viens de présenter n’aurait pu se réaliser à la seule initiative d’une responsable. C’est là le résultat de tout un travail d’équipe composé de trois animatrices auxquelles s’est joint, en ce qui nous concerne, un psychologue.»
 
 

Fiche n°2 : La consultation d’enfants : pour les tout petits, ça marche aussi !

Le Centre Maternel du Chêne Gala*, situé à Rezé près de Nantes reçoit tous les mercredi et les vacances scolaires une cinquantaine de petits, âgés de 4 à 6 ans. L’idée de l’intérêt de rendre les enfants acteurs des activités qui leur sont proposées, et de les consulter sur tout ce qui les concerne a fait son chemin. Elle commence à convaincre les professionnels. Mais de là, à concrétiser cette intention, c’est comme de la coupe aux lèvres ... D’autant plus, quand on veut appliquer cette initiative à des enfants qui ne savent ni lire, ni écrire, ni manier très bien l’argumentation, ni donner leur avis d’une façon très structurée. « Cela faisait longtemps que nous avions cette envie, mais nous n’avions pas trouvé les moyens adéquats » explique Corinne Guilloux la Directrice de la structure. Et puis, au cours de l’été 2000, c’est une animatrice, Isabelle Henri, qui a proposé un support tout à fait original. Comme toute les solutions qui apparaissent ensuite très simples, il fallait néanmoins y penser.  Sur une grande feuille, des dessins représentent les différents moments de la journée : le temps du repas (une petite fille, la serviette au cou, couteau et fourchette en main), le panel d’activité (un manège où les chevaux sont remplacés par différents objets : pinceau, balle ...), les relations avec les adultes (un enfant donnant une main à un adulte, un doudou dans l’autre main), mais aussi les relations avec les autres  enfants, les temps calmes, le rythme de la journée ... En face de chaque dessin, une place est réservée pour y dessiner un soleil, si le moment correspondant a été bien vécu ou y noter d’éventuelles remarques. En fin d’après-midi après le goûter, les enfants sont invités, seuls ou en groupe, à se rendre près du panneau où une animatrice les aide à donner leur avis et écrit leur commentaire. La météo de la journée sera repris dès le lendemain matin ou la semaine suivante, en groupe de référence, afin d’expliciter ce qui a été vécu. Si, par exemple, plusieurs critiques concernent le moment du repas, il est important de savoir si c’est un problème de nourriture, de bruit ou de conflit ayant eu lieu à cette occasion etc ...
Les enfants ont tout de suite beaucoup investi ce support, n’hésitant pas à réclamer à leur parents venus les chercher, d’aller remplir la météo s’ils n’avaient pas eu le temps de le faire, avant de partir.
Du côté de l’équipe, on s’est très vite rendu compte que l’outil n’avait pas été approprié par tout le monde et reposait sur la même personne. Si elle s’absentait, il y avait de sérieux flottements dans son utilisation.
 La consultation des enfants resterait-elle un acte militant, peu encore ancré au fond des convictions ? C’est le questionnement qu’évoque Corinne Guilloux qui reste persuadée que nous avons tous besoin avant même de disposer d’outils performants, de changer d’état d’esprit sur ce que peuvent effectivement réaliser le tout petits.
*ARPEJ : place Jean-Baptiste Daviais 44400 Rezé Tel. : 02 40 84 42 63
 
 

Fiche n°3 : Le tout petit : entre protection et autonomisation

La relation entre l’adulte et l’enfant est toujours une création unique, dépendant complètement de la personnalité de l’un et de l’autre et du moment où elle se pose. Ce qui se crée entre deux individualités et à un instant donné est difficilement reproductible. Pour autant, la réflexion en éducation ne peut faire l’économie d’une tentative pour poser des constantes. C’est ce que s’essayent à faire ces fiches, avec le risque de figer ce qui doit toujours être dynamique et s’adapter à chaque situation.
Spontanéité
Le petit enfant développe une grande énergie dans ses démarches d’apprentissage. Il n’a pas encore intégré les modalités d’instruction et les normes qu’il va assimiler ultérieurement. C’est lui qui choisit ses investissements : ainsi, il arrive qu’il se consacre intensément une activité qui peut apparaître au premier abord futile mais qui représente pour lui une importance considérable. Il est animé en outre d’une logique qui n’est pas celle de l’adulte (tel ce petit qui affirmait que sa tête ne possédait pas de cerveau mais constituait une réserve pour ses cheveux !).
Ce que l’adulte ne doit pas faire : vouloir à tout prix soumettre l’enfant à sa propre approche et à des procédures qui ne sont pas adaptées à son âge, brusquer son évolution et vouloir accélérer la formation de ses  connaissances.
Dans quel sens doit aller l’adulte : respecter le rythme et le cheminement que l’enfant empreinte pour s’approprier ce qu’il perçoit, créer les conditions favorables à son expérimentation, en adaptant les jeux à son âge et en favorisant l’utilisation de ses sens.
Curiosité
Le petit enfant est animé d’une curiosité sans limites : il veut tout voir, tout essayer, tout expérimenter. C’est au travers de cette confrontation au monde qui l’entoure qu’il va découvrir progressivement les choses, les personnes et les relations de cause à effet ainsi que les réactions que cela suscite. On est là dans une phase importante de la formation de l’être humain : la manière dont il va vivre sa découverte de l’univers dans lequel il vit sera déterminante pour l’adulte qu’il deviendra.
Ce que l’adulte ne doit pas faire : réfréner l’enfant dans sa soif de connaissance au nom de la sécurité ou d’un savoir vivre qui n’est pas encore de son âge. Inversement, il ne faut pas qu’il l’autorise à tout faire au prétexte de son épanouissement ou par crainte du conflit.
Dans quel sens doit aller l’adulte : accompagner l’enfant dans la découverte du monde, le préparer à identifier progressivement les dangers potentiels et à s’en préserver, en apprenant à s’approprier ses risques et ses plaisirs.
La sécurité
L’adulte est le garant de la sécurité de l’enfant. Cette sécurité doit être la base de sa relation avec lui. L’enfant attend et recherche cette protection auprès de tout adulte qui a donc un devoir de vigilance. Progressivement, la sérénité obtenue encourage le petit à se détacher pour affronter le danger qu’il aura appris à se représenter.
Ce que l’adulte ne doit pas faire : ni livrer l’enfant à lui-même, ni aseptiser son environnement. L’explication des règles de sécurité n’est pas suffisante : l’adulte ne peut se contenter d’informer, il doit surveiller et évaluer les sources de danger et les réduire. Le petit enfant n’est pas en capacité de se protéger de lui-même et quand il est obligé de le faire, c’est au détriment de l’épanouissement d’autres compétences.
Dans quel sens doit aller l’adulte : offrir un cadre proposant quiétude et sûreté propres à inciter l’enfant à se confronter au risque et l’accompagner dans cette prise de risque.
Séparation
Quand le petit enfant quitte son milieu familial pour rejoindre l’école ou un centre aéré, il peut manifester beaucoup de chagrin ou d’angoisse. Etant une personne à part entière, il a le droit d’exprimer ainsi ses difficultés face à la séparation. Il est normal qu’il vive mal cette situation de rupture et a surtout besoin dans ces circonstances de compréhension et de réconfort.
Ce que l’adulte ne doit pas faire : s’intéresser plus à ce que le comportement de l’enfant provoque en lui (gène, honte, agacement, ...) plutôt qu’à l’enfant lui-même, nier les ressentis de celui-ci (« tu es grand maintenant », « il ne faut pas pleurer » ...)
Dans quel sens doit aller l’adulte : respecter l’enfant dans  l’expression de ses émotions et le placer très vite dans une situation présentant un intérêt pour lui. Créer les conditions permettant de le rassurer, mais aussi faire de même avec les parents qui se sentent souvent culpabilisés et ont peur d’être mal jugés quand leur enfant se met à pleurer.
La recherche des limites
L’être humain n’attend pas l’adolescence pour affirmer sa personnalité. Dès la petite enfance, il teste l’adulte et le provoque pour savoir jusqu’où il peut aller et à partir de quelles limites on ne va plus le supporter. L’enfant est très réactif aux interactions qu’il provoque et il possède une grande faculté d’adaptation. Il se comporte souvent en miroir, ses réactions étant le contrepoint de ce que lui montrent les adultes. Pour autant, il peut aussi se laisser submerger par ses pulsions si on ne prend pas garde de faire en sorte de les contenir.
Ce que l’adulte ne doit pas faire : trop tarder à poser des limites, passer de l’amusement face aux manifestations de l’enfant à la brusque perte de patience, changer un non en oui, par épuisement, en croyant ainsi obtenir la paix.
Dans quel sens doit aller l’adulte : se positionner clairement et fermement, adopter une attitude cohérente, savoir fixer des repères et des limites et assumer les contre-réactions que cela suscite chez le tout petit.
Le dialogue
La pédagogie moderne a valorisé les échanges entre l’adulte et l’enfant. Mais un dialogue qui placerait l’un et l’autre sur un terrain d’égalité peut s’avérer anxiogène pour le tout petit . Il ne faut jamais perdre de vue que l’enfant se trouve en pleine période de maturation psychique, qu’il n’a pas fini de grandir (cela prendra presque deux décennies). Il lui faut encore franchir bien des étapes avant de se comporter comme un adulte.
Ce que l’adulte ne doit pas faire : demander à l’enfant un raisonnement ou des conduites qui ne correspondent pas à ses capacités, lui tenir des propos qu’il ne peut intégrer ou poser des demandes auxquelles il ne peut accéder, s’adresser à lui comme s’il était un petit adulte.
Dans quel sens doit aller l’adulte : adopter un comportement adapté à l’âge de l’enfant, lui permettre de s’autonomiser, le stimuler, développer ses potentialités, dialoguer quand il le faut, mais imposer quand cela est nécessaire, ne pas chercher toujours à se justifier ou à systématiquement expliquer (certaines décisions ne sont ni négociables, ni forcément compréhensibles pour l’enfant).
Les centres d’intérêt du petit
Le petit enfant a beaucoup de mal à se consacrer aux mêmes activités très longtemps. Ses capacités psychiques de concentration sont encore limitées. Et puis, il a tellement de choses à découvrir, qu’il passe d’une occupation à l’autre, sans toujours finir l’une avant de commencer l’autre. En outre, il ne s’intéresse pas forcément à ce que l’adulte lui propose. Il construit ses propres goûts qui sont influencés par l’adulte, mais ne sont pas le simple produit de cette influence. Le tout petit n’est pas une cire molle qu’il suffirait de modeler.
Ce que l’adulte ne doit pas faire : imposer une activité parce que l’adulte l’aime et qu’il voudrait que l’enfant en fasse autant, penser que l’adulte sait toujours ce qui est bien pour l’enfant, penser que ses propres choix sont toujours faits dans l’intérêt de ce dernier.
Dans quel sens doit aller l’adulte : savoir écouter les demandes de l’enfant et se réorganiser à partir de ce qu’il exprime, en s’ajustant sur ce qu’il souhaite faire.
Besoin et désir
Le petit enfant est complètement centré sur son désir. Il cherche avant tout à satisfaire son plaisir. Il n’est pas vraiment en capacité d’intégrer un raisonnement rationnel. Ce qui compte pour lui, c’est de combler son envie du moment. Ce n’est que bien plus tard, qu’il va pouvoir assimiler une logique raisonnable. S’en remettre systématiquement à son choix, c’est lui demander une argumentation qui dépasse ses capacités. L’adulte, qui se doit de pourvoir à ses besoins ne peut que le frustrer et le contrarier à un moment ou à un autre, car désir et besoin sont parfois contradictoires
Ce que l’adulte ne doit pas faire : demander ce que l’enfant n’est pas en capacité de fournir, ne pas s’opposer à lui de peur d’aller au conflit, penser que l’enfant peut s’autoréguler et qu’il sait toujours ce qui est bien pour lui.
Dans quel sens doit aller l’adulte : ne pas hésiter à contrarier, accepter les réactions face à la frustration comme étant naturelles, les accompagner et rassurer l’enfant sur ce qu’il ressent au fond de lui.
Entre le désir d’enfant et le désir de l’adulte
Le petit enfant a infiniment besoin de la reconnaissance de l’adulte. Mais il est important aussi qu’il apprenne à faire pour lui. Montessori résumait très bien ce paradoxe dans sa formule « aide-moi à faire tout seul ». Aider l’enfant à grandir c’est lui apprendre à identifier ce qui est bien pour lui et ne pas se contenter d’exister uniquement dans le désir des adultes dont il veut être aimé.
Ce que l’adulte ne doit pas faire :  le chantage affectif qui consiste à demander à l’enfant un comportement uniquement pour faire plaisir à l’adulte, centrer la vie de l’enfant autour de cette loyauté qui peut très vite se retourner comme un gant, l’enfant en conflit décidant alors, de placer sa confrontation sur le terrain de ces mêmes comportements.
Dans quel sens doit aller l’adulte : se persuader que dans les limites qui sont les siennes, l’enfant est en capacité de faire beaucoup de choses, s’il les fait, c’est pour grandir et assumer sa place d’être de désir et pas seulement, pour gratifier l’adulte.
 
Face au tout petit, on a souvent le sentiment d’en faire parfois trop ou pas assez. C’est bien qu’entre son infantilisation ( ne pas lui donner les moyens de grandir) et son adultisation (s’adresser à lui, comme s’il était un adulte), la frontière est parfois mince. Mais, c’est là, tout l’art difficile de l’éducation : être en permanence dans l’entre deux.
Fiches réalisées en collaboration avec Martine Carré, institutrice en maternelle
 
 

 

Bibliographie

►     « 1 à 3 ans : vers une personnalité autonome »
Jean-François Skrzypczak & Roland Burlet, éditions Chronique Sociale, 2000, (96 p)
Les trois premières années de la vie sont celles qui permettent au petit d’homme de sortir de la relation fusionnelle avec sa mère pour progressivement imposer son individualité et sa singularité. Cette évolution est le produit d’une étroite imbrication entre l’affectif et le biologique. L’acquisition de la marche et de la parole, ainsi que les stimulations qu’il reçoit vont amener l’enfant à sortir du rôle d’objet que l’on déplace à celui de sujet qui se meut par lui-même, pense et agit. Progressivement, la perception qu’il a du monde qui l’entoure (au travers tant des données sensorielles proprioceptives -à partir des organes du corps- qu’extérioceptives –informations venant de l’extérieur) lui permettra de prendre conscience de son propre corps qu’il appréhende alors d’une manière moins morcelée. Les pulsions qui l’animent s’unifient autour de certains pôles de plaisir dominant. Ce seront respectivement la bouche, l’anus et les parties génitales.  Le jeu intervient dès 2 ans comme modalité compensatrice (réagir aux frustrations), liquidatrice (évacuation des tensions pénibles) et anticipatrice de gestion de ces pulsions.
►     « 3 à 6 ans : l’enfant metteur en scène de sa vie »
Alain Guillotte & Thiébaud Lardier, 2000, éditions Chronique Sociale (80p)
Pour autant, l’enfant ressent encore des difficultés à bien distinguer entre l’extérieur et son intérieur mental. Il est animé d’une pensée magique, persuadé que le monde a été conçu pour le servir. A partir de 3 ans, se développent en lui des forces qui piaffent. La lutte entre le désir de satisfaire ses pulsions et celui de se conformer aux injonctions parentales est bien compliquée à mener. D'autant plus, que se joue là l'apogée de la sexualité infantile, l'enfant découvrant la volupté tout en recevant des consignes restrictives quant à l’ « économie de caresses » :  il ne faudrait ni trop en demander, ni trop en accepter, ni trop en donner, ni trop en recevoir. Quand les pulsions et les normes sociales sont en harmonie, l’enfant se sent bien dans sa peau. Mais trop souvent, il est assailli de sentiments nouveaux et troublants : la honte, l’envie, la jalousie, la culpabilité. Et puis, il y a ces grandes peurs qui naissent des premières aspirations à l’individuation qui l’incitent à s’éloigner de ses parents, tout en ressentant l’insécurité de la nouvelle situation. Hésitant entre la relation de symbiose et les rapports basés sur la compétition, il réussira d’autant mieux à grandir qu’il aura été autorisé tôt à se permettre et à s’autoriser, autant de gages d’une responsabilisation structurante.
►     « Pourquoi nos enfants deviennent ce qu’ils sont »
Judith Rich Harris, Robert Laffont, 1999, (496 p)
L’auteur rejette tant la psychanalyse qui va chercher l’origine des difficultés des adultes dans leurs rapports à leurs parents et le comportementalisme qui fait de l’enfant une cire molle facilement modelable par sa famille font pour elle la même erreur. Pour elle, la personnalité de l’enfant n’est en rien façonnée ou modifiée par ses parents. Les enfants d’immigrés apprennent bien plus de leur culture d’accueil que de leur propres parent, mais aussi les enfants de la noblesse anglaise du XIXème siècle, élevés hors de tout contact avec leur famille, qui ne s’en imprégnaient pas moins des traits essentiels du comportement de celle-ci, sans oublier les enfants de parents sourds, eux-mêmes entendant la plupart du temps, qui ne reçoivent pas leur culture orale de ces derniers en sont l’illustration la plus forte. Toujours selon l’auteur, ce serait le le groupe de pairs, les enfants auprès desquels le jeune évolue qui exercerait l’influence déterminante. Peu importe ce que font les parents, cela n’a que peu d’effets. Ce qui compte, c’est qu’ils choisissent bien l’école ou le quartier au sein desquels les copains et les copines présideront à la socialisation de leur enfant. Si on peut accueillir avec précaution les conclusions extrêmes de la démonstration, reste néanmoins la réhabilitation du rôle que joue la communauté dans l’éducation de l’être humain qui explique les résultats différents que donne dans une fratrie une éducation en apparence identique ou encore cette attitude parfois si différente de l’enfant au sein et hors son foyer.
►     « L’intelligence du coeur- Rudiments de grammaire émotionnelle »
Isabelle Filliozat, Edition J.C. Lattès, 1997 (340 p)
Notre civilisation judéo-chrétienne a inscrit depuis des millénaires dans notre éducation, la méfiance à l’égard de nos émotions que nous avons toujours été invités à réprimer. Pourtant, peur, colère, agressivité sont des expressions tout à fait saines de nos sentiments qui se transforment en angoisse, en honte ou en violence quand on ne veut ni les reconnaître ni les accompagner. Isabelle Filliozat nous propose une véritable réhabilitation de ces affects : pour elle, ce n’est pas tant le raisonnement que l’émotion qui guide le monde. Accéder à la compréhension des sentiments qui nous animent, c’est apprendre à mieux gérer nos états internes et à faire le tri de nos peurs et de nos rages. L’intelligence émotionnelle est cette capacité à se motiver et à persévérer malgré l’adversité et les frustrations, à contrôler ses impulsions, à différer une satisfaction, à réguler son humeur et à empêcher la détresse d’altérer ses facultés de raisonnement. Combien nous sommes loin du compte ! Il est si fréquent d’hésiter à partager son ressenti. Or, si on ne met pas de mots sur ce qu’on sent, on n’évitera pas pour autant la transmission de son état mental qui transparaîtra de toute façon d’une autre manière. L’éducation qui permet à l’enfant d’advenir en un adulte épanoui et en contact avec les autres est celle qui assure sa confiance en lui. Se sentir exister, être accepté inconditionnellement, se sentir apprécié et être autorisé à exprimer ses ressentis constituent la meilleure façon de rentrer en harmonie avec l’autre.
►     « Raconte-moi une histoire. Apprenez à inventer des histoires pour créer d’autres liens avec votre enfant »
Chase Collins, Robert Laffont, 1994
Voilà un ouvrage qui ravit l’esprit en vous replongeant avec charme et délicatesse dans ce que votre enfance a de plus sensible. Chase Collins, propose à tout adulte de devenir conteur. A ceux qui pensent ne pas en être capable l’auteur rappelle que vivre avec un enfant au quotidien demande une indispensable créativité: virer de bord, prendre la tangente, modifier son approche, toutes choses qui forment justement les conditions requises pour raconter une histoire ! Car le secret du bon conteur, c’est de partir de ses richesses intérieures en se focalisant sur ses propres émotions et l’amour qu’on ressent pour son enfant. Ce n’est qu’ensuite qu’intervient la méthode : choisir un lieu calme, intime et  confortable baisser la lumière, supprimer toute perturbation, établir un contact physique avec l’enfant. Puis, vient la trame de l’histoire qui doit respecter 5 étapes : choisir un héros sympathique que l’on investit de ses propres sentiments et des qualités que l’enfant apprécie. Puis, lui faire entreprendre un voyage ou une quête. Le confronter ensuite à un danger : l’adversité, la menace, le défi ou les difficultés sont les ressorts incontournables de votre récit. Enfin, le faire triompher de ces épreuves grâce à ses qualités. La fin heureuse s’impose, l’enfant ne pouvant intégrer encore la complexité de la vie et ses tournants parfois ambigus et tragiques.  Faites-lui confiance sur sa capacité à comprendre et interpréter et surtout  « ne coupez pas les ailes à l’imagination avec le rasoir des explications »