L’égalité filles garçons

Après leur mobilisation contre le mariage pour tous, les milieux traditionalistes se sont emparés d’une autre cause : celle de l’égalité entre les filles et les garçons, vécue là aussi comme une véritable atteinte à la civilisation humaine. Les pires rumeurs se sont emparées de l’opinion publique, créant une véritable psychose autour d’un thème qui aurait pu et du faire consensus. C’était sans compter sur la puissance de l’esprit rétrograde qui constitue dans notre pays un frein majeur au progrès social. D’où l’importance de revenir sur cette question, en rétablissant la juste mesure. Tournons le dos aux fantasmes et aux délires et tentons d’y voir un peu plus clair sur cette quête d’équilibre et d’équité entre les hommes et les femmes qui pour avoir quitté l’actualité, reste un sujet essentiel.

Des stéréotypes encore tenaces

Le législateur a dû imposer, par la loi, le principe de parité homme/femme, pour que la représentation féminine en politique puisse se concrétiser. Quelle est donc cette force d’inertie qui paralyse toute tentative d’égalité ? C’est le poids des préjugés.

Les être humains de sexe masculin et ceux de sexe féminin se distinguent par des différences biologiques. Cela tient à une paire de chromosomes qui est leur propre : XX pour les femmes et XY pour les hommes. Cela modifie profondément la structure anatomique, morphologique et physiologique de chacun des deux sexes. Et si le tissu des petites lèvres de l’appareil génital féminin correspond à celui des bourses chez l'homme, il s’est développé chez chacun(e) d’une manière spécifique. Ce rappel de ce que nous explique la génétique permet d’écarter tout de suite l’accusation selon laquelle parler d’égalité entre les sexes impliquerait de nier leur dissemblance. Une chose est d’évoquer cette profonde dissimilitude, autre chose est de considérer les mœurs et usages dont se sont dotées les civilisations humaines comme naturels et universels. Les modes de vie, les options du vivre ensemble, les traditions, les langues, les religions, l’organisation sociale sont d’une infinie diversité, selon les régions ou les époques. Les qualités respectives attribuées aux hommes et aux femmes, ainsi que leurs relations n’échappent pas à cette règle : ce sont des conventions, des coutumes, des usages qui, pour remonter parfois à la nuit des temps, n’en sont pas moins marquées par une dynamique spatio-temporelle chaque fois particulière. Pourtant, une étude française menée fin 2014 (1) montre que pour la moitié des enquêtés, les femmes savent mieux prendre soin des enfants ou d’un parent âgé, 41 % considèrent que pour une femme, la vie professionnelle est moins importante que la famille et près d’un sur deux pense que les filles sont, par nature, plus sages et les garçons plus turbulents.

Le masculin et le féminin

Cette opinion est-elle fondée ? Ces appétences sont-elles liées à la nature féminine ou à
la culture ? Les études sur le genre affirment que les qualités que l’on prête aux hommes ou aux femmes ne relèvent pas de la biologie mais de l‘éducation. Voyons de plus près ce qu’elles nous disent.
Dès la naissance, les parents parlent plus fermement à leur bébé garçon, acceptant plus facilement sa tonicité. Plus grand, l’enfant accomplira des tâches ménagères plutôt à l’extérieur, comme tondre la pelouse ou laver la voiture. Il recevra des jeux symbolisant sa virilité à travers la puissance (voiture, garage, circuits miniatures…) ou la violence (armes en plastique, panoplie de super héros, robots articulés …).  L’idéal à atteindre pour lui, c’est l’image de l’homme dominant, protecteur, rationnel et compétitif, qui contient ses émotions et se montre dur à la douleur, prêt à se battre si nécessaire, à ne pas se laisser faire mais à attaquer. On attend de lui qu’il soit indépendant, travailleur, intelligent et volontaire. Les professions qu’il choisira relèveront des secteurs de la construction, de la production, de l’industrie, avec des postes à responsabilité.
Dès la naissance, les parents parlent plus doucement à leur petite fille, son éventuelle agitation pouvant les inquiéter. Plus grande, elle participera aux tâches domestiques d’intérieur, apprenant à cuisiner, laver le linge ou faire le ménage. Elle recevra des jouets, en rapport avec sa féminité : poupées, coffrets de maquillage, déguisements de princesse, dînettes, jeux de marchande, poussettes et robots électroménagers. L’idéal à atteindre pour elle, c’est d’être gentille, aimable, attirante et surtout de devenir une bonne mère. Sa prétendue prédestination à l’éducation des enfants et à la gestion du logement la conduit à l’apprentissage de ces compétences. C’est cette « appétence » à la douceur et à la bienveillance qui l’orientera naturellement vers les métiers du social, du médico-social, de l’esthétique, de l’enseignement et des services.
La destinée de chacun(e) semble donc bouclée à l’avance.


(1) « Quels stéréotypes sur le rôle des femmes et des hommes en 2014 ? » Baromètre d’opinion de la DREES et de l’enquête de conjoncture auprès des ménages de l’INSEE. Études et résultats n°907 – mars 2015


Qualificatifs masculins et féminins
- Affirmatif, agressif, ambitieux, aventureux, bruyant, casse-cou,   confiant,  constant, courageux, cruel, désordonné, dominant, élégant, indépendant, inexcitable, logique, rationnel, réaliste, robuste, endurant, énergique, enjoué, entreprenant, excitable, ferme, fort, grossier,  rigoureux, sans-émotion, sévère, vantard.
- Affectueuse, attentive, attirante, capricieuse, charmante, charmeuse, complaisante, cœur tendre, délicate, dépendante, douce, élogieuse, émotionnelle, excitable, frivole, humble, nerveuse, persévérante, pleurnicheuse, préoccupée, prudente, rêveuse, sentimentale, sensible, sophistiquée, soumise, volubile, volage
(Williams & Bennett, 1975)


De la hantise à la réalité
Ils courent, ils courent les « on-dit », les « ouï-dire » et les « j’en-ai-entendu-parler », que rien ne semble pouvoir contredire. Et pourtant, s’il n’y a pas de fumée sans feux, il y a souvent un gouffre entre ce que l’on croit et ce qui est vraiment.

A la fin de 2013 et au début de 2014, un mouvement de panique s’est levé, à partir de toute une série de rumeurs : « il y aura des cours de masturbation dès la maternelle », « les petits garçons seront habillés en petite fille », « on va apprendre la sexualité aux enfants en utilisant des peluches en forme de pénis et de vagin », « en classe, on va promouvoir l'homosexualité. » Il n’est pas vraiment nécessaire de chercher à démentir de telles assertions, tant elles sont absurdes et caricaturales. Autant en inventer d’autres à peine plus outrancières : « on va castrer les garçons, pour qu’il n’y ait plus de différences anatomiques avec les filles », « l’éducation sexuelle sera faite à partir de films pornographiques qui serviront de modèles aux enfants » ou encore, pendant qu’on y est, « des prostituées viendront encadrer des cours de mise en pratique ». A l’origine de ce véritable délire collectif, le programme français d'enseignement intitulé « l’ABCD de l'égalité » expérimenté à partir de la rentrée 2013 dans quelque six cents classes du primaire et de la maternelle et destiné à lutter contre les stéréotypes filles-garçons, de mettre entre les mains des enseignants les outils nécessaires pour éduquer à l'égalité et au respect entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes. Ainsi, combattre les préjugés sexistes et favoriser une relation fondée sur l’égalité et l’équité entre les deux sexes serait devenu une menace contre la civilisation. Ces réactions en disent long sur le poids des représentations traditionnalistes et la résistance à un changement qui se proposait pourtant de développer une culture de considération réciproque entre citoyens d’une même communauté en général et entre citoyen et citoyenne en particulier.
    

Ce qu’est la lutte pour l’égalité

Loin des accusations des opposants à « l’ABCD de l'égalité », regardons de plus près les contenus des préconisations adressées aux enseignants : veiller à une répartition équitable des prises de parole entre les filles et les garçons, réguler les interruptions intempestives qui pourraient favoriser les garçons, éviter la référence à l’identité sexuée des élèves quand il s’agit de qualifier leurs comportements, définir et garantir des critères, des annotations et des codages identiques pour les filles et les garçons, assurer la neutralité des disciplines, varier le genre des exemples, attirer l’attention sur certains ouvrages de la classe qui pourraient présenter un stéréotype de genre prononcé, garantir que la nature, les temps et les formes de l’aide et de l’étayage soient équitables pour filles et garçons. Il ne s’agit nullement de nier les différences entre être un garçon et être une fille, mais d’expliquer que la distinction sexuelle n’est pas porteuse en soi de supériorité d’un sexe sur l’autre, d’inégalités de traitement. Bien sûr, il est important de sensibiliser les enfants à la source culturelle de ces différences : ce n’est pas pareil dans toutes les familles ou dans tous les pays. Mais, il faut avant tout privilégier l’idée d’une différence entre les individus plus qu’entre les sexes. Cela peut passer, par exemple, par une réflexion sur les métiers « typiquement masculins » ou « typiquement féminins », pour faire évoluer les représentations des élèves sur la dimension non naturelle de ces cloisonnements. On peut aussi organiser des débats autour de réflexions communément entendues comme « Allez, pleure pas comme une fille ! », « Garçon manqué ! » ou encore « Femmelette ! ». Dans la cour, la question se pose de savoir si tout le monde peut jouer à tous les jeux. Les adultes peuvent être force de proposition pour expliquer aux garçons et aux filles qu’ils ont le droit de jouer à la marelle ou au football. Décidément, voilà des conseils frappés au coin du bon sens.


La fabrique des garçons violents
« La pression sociale rappelle tout le temps aux garçons qu’ils doivent être à la hauteur des idéaux masculins et on les éduque à l’agressivité, la compétition, le goût du risque. Être un petit homme, conforme à son rôle, c’est ne pas pleurer, ne pas avoir d’émotions. Dans une cour de récréation, celui qui montre des signes de féminité est très vite harcelé par les caïds. L’identité masculine rarement évoquée comme douce et tranquille encourage le même pas peur, même pas mal, les jeux violents. Il y a une injonction sociale à la virilité. C’est cela qui fait que les garçons sont violents et non la testostérone »
Yves Raibaud, Géographe du genre - Ouest France 2/2/16


L’animation au risque des discriminations de genre
Pourquoi faut-il combattre les stéréotypes de genre et comment le faire ? Leurs effets peuvent s’avérer très déstructurants pour le développement de l’enfant. Aussi, savoir y répondre relève d’un projet éducatif visant à la promotion de la citoyenneté.

Les stéréotypes pèsent sur le destin des individus, en les privant de la possibilité de choisir leur vie, comme ils le souhaitent. Leurs études ? Elles sont influencées par toute une série de préjugés voulant par exemple que les hommes seraient doués pour les sciences et aiment la compétition alors que les filles seraient plus dans l’écoute et la relation. Leurs loisirs sportifs ? Ils sont influencés par toute une série de préjugés présentant la violence, la force physique et l’endurance comme des comportements typiquement masculins : la lutte, le rugby et le foot seraient faits pour eux. Quant aux femmes, c’est bien sûr la gymnastique, la danse et l’équitation qui se prêteraient le mieux à leurs attirances « innées » pour l’esthétique, l’élégance et la souplesse. Leurs professions ? Pourquoi pas esthéticien, aide ménagère ou secrétaire de direction pour les garçons et routière, maçonne ou bucheronne pour les filles ? On en est loin. Selon l’INSEE 99 % des assistants maternels, 97 % des secrétaires et 91 % des aides-soignants sont des femmes quand 95 % des chauffeurs, 93 % des ouvriers qualifiés de manutention et 87 % des techniciens sont des hommes. Modifier ces préjugés est une démarche de longue haleine. Car, les stéréotypes ont toujours existé et existeront toujours. L’une des raisons principale de cette constance, c’est qu’ils nous procurent une importante économie psychique, en simplifiant la réalité par une catégorisation réduisant le réel à des modèles pré-existants. S’il fallait entrer, à chaque instant, dans la complexité du monde qui nous entoure pour l’appréhender et le gérer, l’opération serait très vite épuisante. Il est tellement plus aisé d’enfermer l’autre dans une identité figée que d’essayer de rentrer dans sa singularité. Pour autant, s’il ne s’agit pas d’essayer d’éliminer nos préjugés, on peut néanmoins les identifier comme tels et ne pas les laisser guider notre jugement.

Le rôle de l’animation

Et c’est cette mission que doivent mener les animateurs et les animatrices. L’une des ambitions de l’éducation populaire étant de favoriser l’émancipation de l’individu en lui permettant d’échapper aux déterminismes, il ne nous est pas possible de nous résigner aux destinées qui semblent peser sur chacun(e) en raison de son appartenance à une ethnie, une culture ou un genre. Cette posture peut prendre deux formes : être réactif à ce qui se dit et ce qui se passe mais aussi se montrer pro-actif. La première approche consiste à ne plus rien laisser passer : « je ne suis pas une fillette » n’est pas plus tolérable que « t’es fainéant comme un arabe » ou « t’es radin comme un juif ». C’est dans le quotidien qu’il faut d’abord combattre ces stéréotypes, non en stigmatisant leurs auteurs, mais en leur montrant l’absurdité et surtout la nocivité de leurs propos qui peuvent provoquer pour la personne ainsi dénigrée un fort sentiment de rejet face à l’humiliation vécue et une perte d’estime de soi pour être ainsi jugée non en fonction de qu’elle est, mais de l’idée reçue que l’on projette sur elle. La deuxième piste d’action consiste à contrecarrer systématiquement ces préjugés en veillant : à la mixité des équipes ; à une offre d’activités qui se prête le moins possible aux stéréotypes de genre ;  à une valorisation des qualités qui mêlent délibérément pour chaque enfant celles qui sont sensées être masculines ou féminines ; à être vigilant aux leaderships qui ne doivent pas systématiquement être dévolus aux garçons ; à une bonne répartition des tâches de préparation des animations évitant une division sexuée du travail ;  à une attribution équilibrée des rôles dans les jeux qui ne reproduisent pas les a priori sur ce que doivent faire les filles et les garçons etc … Projet ambitieux, sans doute, mais bien loin d’être irréalisable.


Les filles sont-elles nulles en math ?
Début 1990, le chercheur Claude Steele fait passer un examen de mathématiques à deux groupes d’étudiants composés à parts égales d’hommes et de femmes. Avant le début de l’épreuve, l’un des groupes est informé que « les résultats font en général apparaître une différence entre les sexes ». À l’autre groupe, il est dit que « les résultats sont généralement équivalents quel que soit le sexe ». Dans le premier groupe, les garçons ont obtenu une note moyenne de 25/30 contre 5/30 pour les filles. Dans le deuxième groupe, les filles ont obtenu 18/30 contre 19/30 pour les garçons. Les préjugés ont profondément modifié les performances.
Sciences et Avenir n°780


Lire l'interview Maruéjouls Edith - Egalité filles garçons

Ressources

« Pour en finir avec la fabrique des garçons » 
Yves Raibaud & Sylvie Ayral, ed. MSHA, 2014
Tome 1 : A l'école Tant que des mécanismes de séparation et de hiérarchisation des sexes oeuvreront au sein même de l'école, tant que les garçons seront confrontés à l'injonction paradoxale d'être dociles à l'institution tout en affirmant leur virilité, les choses auront du mal à évoluer... Quels leviers peuvent permettre un changement, profitable aussi bien aux filles qu'aux garçons, dans une école plus égalitaire ?
Tome 2, Loisirs, sport, culture Les activités organisées en périphérie de l'école participent fortement à la construction des identités sexuées et à leur bicatégorisation, alignée le plus souvent sur les stéréotypes de genre. Quel pourrait être le rôle du sport, de la culture et des loisirs, dans le renouvellement d'une réflexion sur la mixité et la coéducation des filles et des garçons ?

« La fabrique de filles : Comment se reproduisent les stéréotypes et les discriminations sexuelles »
Laure Mistral, Ed. Syros, 2010
Comment fabrique-t-on une fille ? De la même manière qu'un garçon ? Comment se fait-il que les différences sexuées se reproduisent si facilement dans une société qui prétend réduire les inégalités entre hommes et femmes ? Aujourd'hui encore, malgré les profonds changements de société opérés depuis 40 ans, on impose à chaque sexe des goûts et des conduites qui ne vont pas de soi, et ce à chaque étape de la vie et dans tous les domaines. La «  fabrique » fonctionne toujours, même si elle n'utilise plus les mêmes moules. Décrypter les stéréotypes sexistes, pour mieux les reconnaître et les combattre : c'est une des recommandations importantes d'Amnesty International, dans la prévention des violences faites aux femmes.

« J’aime pas la danse » « J’aime pas le foot »
Stéphanie Richard et Gwenaëlle Doumont, Ed. Talents Hauts, 2015
Peut-on être un petit garçon et ne pas aimer le foot, même si son papa l’adore ? Peut-on être une petite fille et ne pas aimer la danse, même si sa maman l’adore ? Du foot, Lucien n’en a rien à faire « je vois pas l’intérêt de courir après un ballon qui roule tout le temps » constate-t-il. « J’aime pas les tutus. Ça gratte et c’est rose », lui répond sa copine de l’album voisin consacré à la danse. Pour bien des enfants, faire comprendre à ses parents que l’on ne partage pas forcément leurs goûts sans les vexer ou les décevoir, n’est pas simple. Peut-être faudrait-il leur faire lire ces deux petits livres, pour le leur expliquer ? Avec humour et tendresse le récit et le dessin se tricotent dans un scénario proposant d’habiles pieds de nez.

« Genre et socialisation de l’enfance à l’âge adulte. Expliquer les différences, penser l’égalité »
ROUYER Véronique (sous la direction), éd. érès, 2010
Si notre société affiche un souci de parité et de réduction des discriminations entre les hommes et les femmes, les inégalités sexuées sont bien loin d’avoir disparu entre les deux genres. Ce n’est qu’à partir de sept ans, que les enfants acquièrent une vision stable de leur sexe biologique. Mais, ce n’est pas la biologie qu’il faut convoquer pour comprendre comment ils vont l’investir, mais les normes et les codes sociaux relatifs aux représentations du masculin et du féminin. Plus que d’un choix, c’est donc bien d’un déterminisme dont il est question, ici, alors que les contours de la masculinité et de la féminité peuvent prendre des formes potentiellement beaucoup plus diversifiées. Et ce sont ces mécanismes que nous décrivent les vingt quatre chercheurs en sociologie, psychologie sociale et psychologie du développement qui ont contribué à cet ouvrage. Les expériences scientifiques qu’ils ont menées permettent de déterminer un certain nombre de constantes.

Jacques Trémintin - Journal de l'animation 2016