Legros Ludivine - Jeunes retraités

« Les retraités veulent réaliser tout ce qu’ils n’ont pas pu faire pendant leur vie active »

Ludivine Legros est animatrice auprès de retraités à Chalette

En quoi consiste exactement votre travail ?

Ludivine Legros : j’ai été recrutée, en octobre 1998, par la municipalité de Chalette, commune de 14.000 habitants, pour m’occuper des 3.200 retraités actifs qui vivent à domicile. Je ne m’adresse pas à celles et à ceux qui sont en maison de retraite, car cette dernière a son propre personnel. Mon public est constitué essentiellement de jeunes retraités, mais aussi de personnes plus âgées. J’ai monté plusieurs ateliers qui se déroulent alternativement dans l’un des quatre grands quartiers de la ville : danse, théâtre, travaux manuels, cirque… ateliers qui, parfois, débouchent sur des spectacles. Je travaille beaucoup en inter génération, car le clivage entre les différentes classes d’âge ne m’intéresse pas du tout. Il est passionnant de constater combien la rencontre entre les différentes générations peut être enrichissante pour chacune d’entre elles. L’expérience a montré, qu’après un premier moment de méfiance, ces différents publics se mélangent très bien, dès lors que les uns et les autres se retrouvent autour du même dynamisme.  Il existe aussi un atelier informatique en collaboration avec le service jeunesse de la ville : les retraités veulent comprendre ces nouvelles technologies pour pouvoir communiquer avec leurs propres enfants et petits-enfants, par mail …  Mon principe de travail, c’est de rechercher les qualités de chacun pour mettre en valeur la personne et de partir des désirs qui se sont exprimés.

 

Justement, quelles sont les demandes des retraités ?

Ludivine Legros : ces personnes, qu’elles soient en retraite depuis peu ou depuis plus longtemps, ont toutes envie de faire des choses ensemble. Elles ne veulent pas rester toutes seules et s’isoler dans la dépression latente. Elles ont une grande demande en terme de créativité et font preuve d’une grande vitalité. Elles veulent être responsables de ce qu’elles font. Si je ne suis pas présente sur un atelier, elles le prennent en charge et me remplacent. Elles s’organisent pour aller chercher celles et ceux qui, n’ayant pas de voiture, ne peuvent se déplacer aux activités. Beaucoup de retraités de notre commune ont passé toute leur vie professionnelle en usine. Ils faisaient le même travail tout au long de l’année. L’âge de la retraite est pour eux le moment de réaliser tout ce qu’ils ont souhaité faire dans leur vie sans jamais le pouvoir.

 

L’entrée dans la retraite se passe-t-elle toujours bien ?

Ludivine Legros : les personnes qui ont mené une existence très dynamique peuvent parfois mal vivre la retraite, si celle-ci est synonyme de marginalisation. On s’est servi d’eux, maintenant c’est terminé : que vont-ils faire de leur existence ? A partir de ce constat, certains s’enferment dans leur solitude ou ne savent ni quoi, ni comment entreprendre. D’autres réagissent, profitent de ce qui est mis en place et tissent des liens de solidarité, de partage et de convivialité entre eux. Ils n’ont pas envie de rester enfermés à faire du jardinage tout seuls. Ils ont vraiment envie de se prouver qu’ils sont encore vivants. Ce n’est pas une attente de la mort, bien au contraire. C’est plutôt profiter de la vie telle qu’elle est et démontrer aux autres générations qu’ils sont encore capables d’accomplir beaucoup de choses. Le rapport aux plus jeunes est très important : ils ne tolèrent pas qu’à partir du moment où ils sont en retraite, on les traite en exclus. Ce qu’ils demandent avant tout c’est de se sentir encore partie prenante de la société. Je suis convaincue de toute façon qu’ils sont un maillon indissociable de la société, laquelle ne pourrait se construire sans leur expérience passée, ni survivre sans l’apport de leur temps libre et de leurs passions. Le secteur du tourisme en est un exemple, tout comme le bénévolat auprès des jeunes en difficulté.

 

Quelles qualités doit avoir l’animatrice ou l’animateur pour travailler avec ce public ?

Ludivine Legros : en tout premier, un grand respect de la personne. La compréhension, ensuite, des problèmes que celle-ci peut rencontrer. Mais, s’il est important de prendre en compte l’âge et la forme physique, ce ne doit pas être un sujet de préoccupation permanent. Le rôle de l’animatrice face à ce public est de faire oublier la forclusion, de fournir une écoute, afin de permettre de se sentir encore quelqu’un. L’animation est la manifestation concrète de la vie, de la vivacité, du mouvement. Il faut faire en sorte que cette vie soit la plus harmonieuse possible. On retrouve parallèlement toutes les qualités nécessaires à l’animateur face à n’importe quel public, avec toutefois, pour les retraités, la nécessité d’un panel d’activités particulièrement étendu, car ces personnes sont vraiment en demande d’énormément de choses : cela peut aller des travaux manuels plus classiques aux stages de toutes sortes (cirque, danse, théâtre …), en passant par les après-midi jeux de société. En ce qui me concerne, il y a deux traits de personnalité auxquels j’attache beaucoup d’importance : le dynamisme et la passion du métier. L’animation telle que je la conçois est une rencontre avec l’autre, un instant privilégié, c’est vivre un moment de présence et le partager.

 

Quels sont les avantages et les inconvénients à travailler avec ce public ?

Ludivine Legros : beaucoup d’avantages, et bien peu d’inconvénients ! Du côté des avantages, il y a le plaisir de partager des loisirs avec ces personnes, en mettant à profit les techniques que l’on possède, mais aussi tout ce qu’elles peuvent apporter de leur côté, à partir de la richesse de la vie qu’elles ont vécue. C’est cet échange humain réciproque qui est passionnant. Les inconvénients, c’est d’être confronté au vieillissement qui réduit petit à petit la capacité de participation des personnes que l’on côtoie. Aujourd’hui autonomes, elles seront, un jour, confrontées à une éventuelle entrée en institution. Les animateurs qui y travaillent de plus en plus fréquemment, rencontrent quelques difficultés parfois à dynamiser leur public. Mon rôle se situe en amont : en habituant les retraités à faire des choses ensemble, à accepter le regard de l’autre, à s’entraider et à partager, je suis persuadée de faciliter le travail de mes collègues et de rendre, au final, l’entrée en maison de retraite moins traumatisante. Et puis, il y a la maladie et la mort qui font partie du quotidien de ces personnes. En plus de cinq ans d’expérience, quelques unes ont malheureusement disparu. Ce n’est jamais facile à vivre. Mais, ce qui est toujours triste et douloureux, peut aussi être l’occasion de faire fonctionner la solidarité : on prend des nouvelles et on va rendre visite à celles qui sont malades. Mais l’échéance n’est pas toujours aussi dramatique.

 

Avez-vous une préférence entre le public retraités et le public enfants/jeunes ?

Ludivine Legros : j’ai suivi un parcours de monitrice d’équitation pour tout public, pour ensuite me spécialiser auprès des personnes handicapées mentales et physiques, puis un Bafa et un Beatep. Je suis formatrice Bafa et donne dans le cadre d’un contrat éducatif local, des cours de danse à des enfants d’école primaire. Même si c’est là pour l’instant mon public de référence, je ne me considère pas comme spécialisée pour les retraités. Je me sens plus intéressée par la création des liens entre les générations, les uns pouvant apporter beaucoup aux autres : les plus âgés, l’expérience de leur vie et les enfants, un petit bout de fraîcheur et une grande soif de connaissance. Je refuse d’avoir à choisir entre les différents publics. Même si l’animation est différente selon que l’on s’adresse à telle ou telle classe d’âge, on doit rester ouvert à toute forme d’activité et toute génération. Il n’y a pas de définition de l’animateur : on est animateur dans l’attitude et dans la projection de notre volonté à partager. Quel que soit le public, l’échange est la première approche de notre métier.

 

Quelle perspective d’extension de ce type de poste, à l’avenir ?

Ludivine Legros : j’ai un retour très positif tant des retraités que de la municipalité qui souhaite pérenniser mon poste. Recrutée en emploi jeune, je bénéficie depuis le mois d’octobre 2003 d’un contrat, en attendant de réussir le concours d’animateur territorial. Nous ne sommes actuellement que deux sur l’ensemble du pays à exercer ce type de fonction. C’est étonnant, au regard des besoins. Je reste persuadée que cela peut intéresser d’autres municipalités, parce qu’il y a une grosse demande de la part de ce public. Il y a certes des entreprises de loisirs de type clubs de vacances ou voyagistes qui proposent des séjours et des activités, mais cela ne peut se faire que sur des courtes périodes. Nous organisons nous-mêmes des voyages à l’étranger ou en France, avec ce type d’organisme. Mais il y a une demande sur le reste de l’année qui n’est, dans la plupart des cas, pas pris en compte aujourd’hui.

 

Propos recueillis par Jacques Trémintin

Journal de L’Animation  ■ n°48 ■ avril 2004