Meigner Michel - Enfant en fin de vie

« Accompagner la fin de vie d’un enfant »                 

« Actuellement, dire que les enfants peuvent mourir sans souffrance est une utopie, mais laisser croire que la majorité doive partir dans des souffrances épouvantables est une folie » Michel Meignier

Lien Social: Votre spécialisation comme consultant douleur, vous amène à accompagner tous les ans environ 50 enfants et adolescents en phase terminale vers la mort. Quel travail faut-il faire sur soi pour être en capacité d’assurer cet accompagnement ?

Michel Meignier: Le problème d’un enfant qui s’en va, c’est une angoisse pour tout le monde. Il n’y a pas de pire dégueulasserie que de voir mourir un enfant. Bien heureusement, que cela nous fait quelque chose. Si ce n’était pas le cas, il serait temps de changer de métier. Il ne faut pas avoir peur de ses réactions émotionnelles. Moi, quand je vois un enfant mourir, je pleure. Je trouve toujours cela aussi difficile. Mais attention, ce n’est pas notre enfant qui s’en va. On doit savoir exprimer mais aussi se débarrasser de cette charge émotionnelle à la porte quand on rentre chez soi. Pour des gens qui n’en ont pas l’habitude, la meilleure chose à faire c’est d’aimer. Le problème c’est qu’on a souvent peur de rentrer en relation parce qu’on se dit: « comment cela va-t-il être pris ? ».  Les choses sont en fait simples: aimer cela veut dire partager, discuter, entendre et comprendre, c’est tout. Mais il ne faut pas avoir peur en excluant ces gens-là. Il faut se dire: qu’est ce que je ferais moi, si ma soeur me téléphonait pour me dire que son enfant est en train de mourir ? J’aurais de mots à lui dire à elle et à son enfant. Eh bien moi, en tant que professionnel du social je dois trouver des mots de ce niveau là.

 

Lien Social: Quelles sont les qualités que le professionnel doit avoir pour être capable de faire ce travail d’accompagnement ?

Michel Meignier: La première qualité c’est bien d’avoir de l’empathie pour les gens, aimer les autres, ceux qui nous sont confiés à ce moment-là. Le désir d’être avec l’autre: çà c’est le plus important. C’est vrai pour la majorité des professionnels médico-sociaux, mais ce n’est pas toujours évident. La deuxième qualité c’est peut-être de savoir aussi ne pas aller trop loin, il ne faut se prendre pour autre chose que ce que l’on est. Sinon, on se casse la figure. Présents, efficaces et discrets certes, mais aussi attentifs à laisser sa vraie place à la famille qui vit au plus profond d’elle-même ce drame. C’est un grand pêcher d’orgueil que de vouloir voir plus loin. Il y a un côté très voyeuriste qui est très mal accepté par l’enfant. Chacun doit être à sa place dans cette chaîne-là. L’enfant, lui, il sait -s’il est capable de s’exprimer- il va utiliser les interlocuteurs différents et notamment il sait s’adresser au non-médicaux pour faire véhiculer des informations importantes. J’ai souvent vu des adolescents transmettre leur conception de la mort et le fait qu’ils avaient compris plutôt à l’assistante sociale qu’à nous médecins comme s’ils voulaient nous protéger nous qui nous battons tant pour qu ils survivent. Si on est capable d’entendre cela avec empathie et avec amour, on aura déjà fait beaucoup de choses.

 

Lien Social: Vous vous battez depuis longtemps pour qu’on traite la douleur à part entière. Or, vous avez exprimé lors des journées pédiatriques du mois de Mars 1995 l’opinion selon laquelle on était en train de perdre la bataille contre la douleur. Pouvez-vous expliciter cette affirmation ?

Michel Meignier: Je ne sais pas si on est en train de la perdre, mais on n’est pas en train de la gagner. J’en veux pour preuve l’article du Monde en date du 8 décembre dernier qui fait référence à une enquête parue dans « Cancer » il y a deux mois sur les médecins généralistes et les oncologues (spécialistes du cancer) qui ont été interviewés sur leur pratique du traitement de la douleur et sur leurs connaissances en particulier de la morphine. Seulement 42% des médecins connaissent et manient la morphine, ce qui fait quand même 58% qui ne le font pas. Ce qui est d’autant plus affolant, c’est que la morphine n’est pas le traitement adéquat pour la majorité des douleurs. La consommation totale en France des analgésiques des plus simples aux plus compliqués, en ville, à l’hôpital ou en clinique n’a pas progressé l’année dernière par rapport aux autres années. Trouvez-moi une autre classe médicamenteuse qui n’ait pas progressé ! Le problème est devenu terrible par rapport à la douleur. Plus personne ne peut dire que le malade n’a pas mal,  mais la société ne bouge pas. On dit « ouais », mais on ne fait pas. J’ai eu un coup de fil ce matin d’un médecin qui me demandait pourquoi j’avais mis en route un traitement analgésique pour un malade du SIDA puisqu’il était en train de mourir ! Et çà c’est tous les jours que cela se passe. Nous ne gagnerons la bataille contre la douleur que quand nous aurons fait une analyse de type psychanalytique sur la question: qu’est-ce que ça veut dire pour moi qu’un malade aie mal. Il nous reste encore beaucoup de travail à faire et notamment en ce qui concerne les enfants handicapés. Je ne suis pas pessimiste, mais je ne supporte pas le discours « tout baigne ». La politique m’a beaucoup aidé à comprendre qu’il y a le discours qu’on tient en public et celui qu’on tient en privé. J’ai vu un ministre de la santé dire à 14h00 « on n’a pas de pognon pour la lutte contre la douleur » et à 15h00 tenir une conférence de presse en disant que l’un des axes de son travail  serait l’action contre la douleur. Je ne veux pas cautionner quelque chose qui ne change pas. Je passe mon temps à droite et à gauche dans les équipes qui veulent travailler et mettre en place des protocoles. Mais je ne veux plus faire de formations d’une journée où tout le monde vient et qui sont le prétexte de dire: « on a travaillé sur la douleur ... »

 

Propos recueillis par Jacques Trémintin

LIEN SOCIAL ■ n°349 ■ 18/04/2004