Bandecchi Yvelise - Education sexuelle

Conseillère en éducation populaire auprès de la Direction Régionale Jeunesse et Sport des Pays de Loire , Yvelise Bandecchi intervient auprès des associations sur la question des discriminations, et plus particulièrement sur les discriminations liées aux rapports sociaux de genre. Elle nous explique sa vision de la façon dont les jeunes vivent leur sexualité et comment les animateurs peuvent intervenir sur ces questions.

Comment filles et garçons vivent-ils l’éveil à la sexualité ?

Yvelise Bandecchi : Il y a, à l’adolescence, une pulsion très forte, chez les filles comme chez les garçons. Ensuite, l’intensité de cette pulsion varie selon les individus : selon les individus et non selon le genre. Mais la société ne l’entend pas ainsi. Là où les garçons sont acceptés dans leurs manifestations plus directes, plus débridées, on attendra des filles plus de discrétion dans l’expression de leur désir. Un certain nombre d’idées reçues s’impose encore : ainsi, la conviction que les filles ne peuvent accepter d’avoir des rapports sexuels que si elles sont amoureuses du garçon. A défaut, on les taxera d’être des filles « faciles ».

 

La révolution sexuelle dont on parle depuis 40 ans, n’a donc pas permis de tout changer ?

Yvelise Bandecchi : Question difficile ! Qu’est-ce qu’on en sait de cette révolution sexuelle qui ne peut se mesurer que dans l’intimité des couples ? On constate un retour dans certains milieux de la sur valorisation de la virginité, au nom de la lutte contre le Sida ou au prétexte de réagir à un certain laxisme. En fait, ce qui a vraiment changé, c’est moins ce qui concerne l’avancée des mœurs que les techniques. Le véritable chamboulement, c’est le grand apport de la contraception qui a révolutionné la vie des couples et surtout celle des femmes qui n’ont plus l’angoisse d’être enceinte à chaque nouveau rapport.

 

La morale traditionnelle a-t-elle encore de l’influence ?

Yvelise Bandecchi : Depuis des siècles, la sexualité a été (et est encore ?) gérée socialement sur le mode de la liberté pour les garçons et sur celui du contrôle pour les filles. Le message donné aux premiers, c’est « super ! Maintenant tu es un homme » et aux secondes : « fais gaffe ! ». Il y a là, sous-jacent, la représentation mentale intégrée par l’ensemble du corps social que les pulsions sexuelles seraient irrépressibles chez le garçon et bien plus répressibles chez la fille. La pulsion sexuelle des filles a longtemps été (et est encore ?) canalisée vers la maternité, via le mariage et ce, sous le contrôle de l’église. Ce qui est au cœur des rapports sociaux de genre c’est bien le syndrome de la maman et de la putain : il y a les filles bien, celles qu’on épouse et puis les autres. Ce stéréotype est très fortement ancré dans les mentalités, même ici, en occident, tant chez les enfants que chez leurs parents qui ne transmettent pas suffisamment les valeurs d’égalité sexuelle.

 

Que reste-t-il donc à conquérir ?

Yvelise Bandecchi : Ce qui reste à conquérir, c’est la notion de respect du consentement de l’autre. Cette notion, essentielle entre toutes, est directement liée à la légitimité du plaisir sexuel des femmes. C’est l’un des derniers grands bastions qui restent encore à prendre. Du côté des garçons, tout d’abord, cela signifie qu’ils doivent s’assurer de l’accord de leur partenaire et respecter le refus. Bref ! Quitter le registre de la toute puissance à l’égard de l’autre. Du côté des filles, ensuite, il y a la nécessité à connaître leur propre désir. Est-ce que je veux vraiment cette relation sexuelle ou bien est-ce que je l’accepte parce que je suis amoureuse de lui et que je ne veux pas qu’il aille ailleurs Il faut donc qu’elles soient en capacité à dire oui quand elles veulent et non quand elles ne veulent pas. Mais connaître son véritable désir, quand on est très jeune avec peu d’expérience et d peu de connaissance de soin, c’est parfois bien difficile.

 

Les relations d’aujourd’hui entre les filles et les garçons sont-elles si éloignées de cet objectif ?

Yvelise Bandecchi : Les filles sont nombreuses à penser que pour garder leur petit copain, elles doivent se soumettre et tout accepter d’eux. Elles se plaignent, par exemple, que les garçons leur imposent parfois la sodomie. Comme tout rapport, celui-ci implique l’accord des deux partenaires. Mais ce n’est pas toujours le cas. L’influence des cassettes vidéos pornographiques hard qui s’échangent et circulent, dès le collège y est pour beaucoup. On y voit des femmes en position de domination et dans des rapports sado-masochistes. Au début, certes, elles protestent et puis, finalement elles sont contentes. Les jeunes spectateurs en sortent en pensant que c’est comme cela que cela doit se passer ! Sans compter certaines adolescentes d’origine maghrébine, qui ont  peur de perdre leur virginité, et qui, en conséquence, préfèrent encore se soumettre à cette pratique. En outre, dans les cités où, de plus en plus, il y a une division entre les filles considérées comme respectables parce qu’elles restent à la maison, sortent voilées et arrivent vierges au mariage, et les autres qui sortent en jean, s’affichent avec un copain et se maquillent. On retrouve là ce syndrome de la maman et de la putain dont je parlais tout à l’heure. Et pourtant, en même temps, du côté des deux sexes, il y a une faramineuse aspiration au bonheur et à l’amour.

 

Peut-on répondre à cette aspiration, par l’éducation sexuelle ?

Yvelise Bandecchi : Il faut tout d’abord distinguer entre l’éducation sexuelle et l’éducation sexualisée, l’une et l’autre étant à la fois indispensables et complémentaires. Mais il ne faut pas les confondre. L’éducation sexuelle se centre surtout sur l’aspect biologique (le spermatozoïde, l’ovaire, les règles...) et  sur la technique (le préservatif, la prévention des maladies sexuellement transmissibles, le sida...). Elle relève du savoir. L’éducation sexualisée, elle, s’intéresse beaucoup plus à la question du sens : elle vise la sexualité en tant que relation à l’autre. Cela recouvre des interrogations comme « comment je saurai, si c’est la femme de ma vie ? », « à quoi l’on voit que l’autre est amoureux ? », « est-ce qu’on peut aimer la même personne toute sa vie ? », « est-ce c’est important d’avoir une vie sexuelle épanouie, pour que l’autre s’occupe de nous ? » etc ... c’est vraiment de l’ordre du relationnel mais aussi de la citoyenneté puisqu’elle est basée sur le respect du comportement de l’autre. Il existe des associations comme le Planning familial qui proposent aux jeunes des rencontres individuelles ou par petits groupes pour aborder tous ces sujets. Bien sûr, c’est aussi à cette occasion que l’on peut parler des relations entre les hommes et les femmes.

 

Cette éducation autour de la sexualité n’est-elle pas -comme on l’entend souvent- un domaine réservé des familles ?

Yvelise Bandecchi : Non, car comme toutes les familles ne s’autorisent pas à parler de sexualité, l’Etat a tranché cette question, en considérant qu’on ne pouvait limiter le traitement de cette question à leur seule compétence. Il a considéré qu’il avait un rôle à jouer, en la matière et a décidé que cette information serait donnée dans un lieu -l’école- qui touche tous les futurs adultes et où l’on apporte le minimum de savoirs dont tout citoyen doit être doté. L’éducation à la sexualité en fait partie et elle est tout autant légitime que celle concernant la santé ou le code de la route. Certes, les enseignants ne sont pas toujours les mieux placés pour répondre aux questions que se posent les élèves. Ce n’est pas la même chose d’expliquer ce qu’un spermatozoïde que de rassurer un jeune sur ses pratiques de masturbation ! C’est pourquoi, l’Etat subventionne des associations comme le Planning familial, plus à même de répondre aux questionnements des jeunes.

 

Et du côté des animateurs : ont-ils eux aussi à s’en mêler ?

Yvelise Bandecchi : Pour ce qui concerne les centres de vacances et de loisirs, l’Etat exige un projet éducatif et un projet pédagogique comme conditions à l’autorisation d’ouverture. Ces projets doivent renvoyer aux valeurs minimales de l’éthique et de la citoyenneté qui fondent notre société : que l’on soit adulte ou enfant, homme ou femme, d’origine étrangère ou française, on doit bénéficier de la même égalité en droit et en dignité. L’animateur, comme tout adulte éducateur en contact avec des enfants et des jeunes, doit se faire le relais de ces principes. Si des propos racistes, homophobes, sexistes ou hostiles à toute différence sont tenus, il a le devoir d’intervenir. Il constitue un relais de la citoyenneté. C’est bien sur ce registre qu’il doit se placer et non sur celui de la morale. Je propose souvent une réponse en trois étapes : 1) identifier les discriminations 2) expliquer en quoi cela viole les principes d’égale dignité 3) monter des animations pour y répondre par une action adaptée aux jeunes et de préférence ludique.

 

Les animateurs sont-il vraiment formés à réagir ainsi ?

Yvelise Bandecchi : Pas suffisamment, je le crains. Permettre aux animateurs d’être en situation de pouvoir réagir nécessite au minimum de les sensibiliser et pour bien faire de les former. Car, entendre dire par exemple : « les filles qui couchent sont des putes » ne peut (ni ne doit) laisser indifférent. Celui qui affirme cela est sans doute lui aussi une victime du système social et de ses préjugés, mais une victime qui génère une violence, symbolique et qui peut aller jusqu’à l’agression sexuelle et au viol. C’est là qu’intervient le travail de l’Education populaire qui a pour fonction d’aider à accéder à plus de liberté, en faisant prendre conscience des déterminismes sociaux qui traversent les personnes, à leur insu d’ailleurs et qui les amènent à des comportements non seulement inacceptables au plan de l’éthique, mais légalement répréhensibles. Le Conseiller en Education Populaire peut sensibiliser à l’identification du sexisme. L’identification faite, c’est aux animateurs de créer des outils pédagogiques adaptés à leur public (jeux, vidéos, animations) et même de les regrouper en mallettes pédagogiques comme il en existe déjà pour lutter contre le racisme par exemple.

 

Propos recueillis par Jacques Trémintin

Journal de L’Animation  ■ n°49 ■ mai 2004