Bartholomé Jean-Pierre - Belgique

« La Belgique s’est beaucoup inspiré de la France, la réciproque serait profitable »

Jean-Pierre Bartholomé, Directeur pendant douze ans du Journal du droit de jeunes, rebaptisée Revue d’Action Juridique et Sociale, aujourd’hui en retraite (très active), a côtoyé de près les systèmes belges et français de protection de l’enfance. Organisateur et accompagnateur du voyage d’étude, il était intéressant, en tant que fin connaisseur des deux modèles, de l’interroger sur le regard qu’il porte sur l’un et l’autre. 

Quels sont les avantages et inconvénients du modèle belge ?

Jean-Pierre Bartholomé : Ce qui apparaît le plus intéressant chez les belges, c’est la clarification des rôles qui est intervenue suite à la déjudiciarisation. Cette réforme a donné au juge des enfants, qu’on appelle en Belgique, juge de la jeunesse une place très précise tant pour les enfants délinquants que pour ceux qui sont en danger : il n’intervient que s’il y a danger et non collaboration des parents. Il est là aussi pour contrôler l’administration qui agit dans la prévention, en arbitrant et en  tranchant les conflits qu’elle peut avoir avec les usagers. Il est alors garant des libertés et des droits de la famille. Mais il a cessé d’être ce magistrat tutélaire, bon père de famille, qui joue à la fois les éducateurs et les assistantes sociales, comme le font si souvent les juges des enfants en France. Les magistrats belges ont freiné des quatre fers face à cette réforme, mais à présent, ils en sont satisfaits. L’inconvénient majeur réside dans la complexité d’un dispositif dont les rouages et fonctionnements sont parfois difficiles à comprendre. Cela se voit notamment au niveau du traitement de l’urgence ainsi que dans ces aller-retour entre le judiciaire et l’administratif, quand il s’agit de savoir qui a compétence pour intervenir. Il y a aussi, ce qui est commun à la France, un manque de moyens qui commence à peser sur les possibilités d’action. A budget constant, les besoins ont augmenté, pas les ressources.

 

Quels sont les avantages et inconvénients du modèle français ?

Jean-Pierre Bartholomé : Ce qui est très décourageant en France, c’est la cruauté des pratiques administratives : les principes sont proclamés haut et fort, sans que, trop souvent, ils ne soient suivis des faits. On pourrait donner des exemples à rallonge de situations qui malheureusement viennent vérifier cette mauvaise habitude. Ainsi, sur le manque de logements, sur la pauvreté, sur la pénurie de travailleurs sociaux (pour exercer des AEMO judiciaires qui sont des milliers à rester en souffrance), sur les conditions inadmissibles d’incarcération, sur l’absence de revenu minimum pour les jeunes, sur la difficulté parfois pour rencontrer un travailleurs social (comme cela se passe par exemple en prison), sur les milliers d’enfants handicapés déscolarisés… tout le monde est d’accord sur ce qu’il faudrait faire pour améliorer. Mais, rien ne bouge. Quand je vois qu’on met des gens dans des hôtels, en dépensant des sommes considérables qui seraient bien mieux utilisées à construire des logements, j’ai du mal à comprendre. Cela coûte si cher, pour si peu d’efficacité. Autre défaut notable : la résistance au changement. Je pense notamment aux toxicomanes qui ont du attendre quinze ou vingt ans, après les autres pays, pour bénéficier de traitements de substitution. Ce que je trouve de plus positif en France c’est le cœur à l’ouvrage que mettent les professionnels dans leur travail quotidien. J’admire les travailleurs sociaux qui s’occupent encore des gens malgré toutes ces difficultés. Je pense que si j’avais du exercer en France, je n’aurais pas tenu très longtemps.

 

Les deux modèles peuvent-ils s’influencer réciproquement ?

Jean-Pierre Bartholomé : On a déjà pris plein de choses de chez vous. On a repris en 1912, l’institution du juge des enfants. En 1965, on a repris la notion d’enfant en danger en nous inspirant de l’ordonnance de 1958 : on retrouve verbatim, copié mot à mot, dans la loi belge les termes de l’article 375 : « lorsque la santé la sécurité ou la moralité de l’enfant est mise en danger etc … ».  On s’est largement inspiré de la législation française et on en a amélioré la pratique. Je ne vois plus comment on pourrait aller faire son marché en France, à part pour se procurer du bon vin. Il semble qu’à présent, on pourrait faire l’inverse. Même si les modèles ne sont pas exportables, la France pourrait adapter à sa sauce quelques expériences belges comme la décentralisation et surtout la répartition bien plus claire des rôles entre la justice et l’administration qui fait que les juges sont de vrais juges et les éducateurs de vrais éducateurs et qu’on ne mélange plus les fonctions. Cette réforme s’est faite dans la douleur en Belgique. En France, cela provoquerait des fortes réactions : les magistrats et les travailleurs sociaux se mettraient certainement à hurler. Mais je suis convaincu qu’après, ils en seraient très contents. Qu’ils demandent à leur collègues belges qui sont très satisfaits de ce qui s’est réalisé.

 

Propos recueillis par Jacques Trémintin

LIEN SOCIAL ■ n°776 ■ 01/12/2005