Pierrelée M-Danielle - Echec Scolaire 2

Innovation pédagogique reproductible ou voiture-balai de la remédiation ?

Au terme de cette première année scolaire, quel bilan dressez-vous de l’expérience que vous avez menée ?

Marie Danielle Pierrelée : Nous avions conçu ce projet dans une logique tout public. En fait, beaucoup des enfants que nous avons reçus étaient signalés comme violents : bagarreurs (12), refus du système scolaire (14). Mais ce qu’on retrouvait le plus c’était la démotivation, la passivité, le stress, un profond sentiment de dévalorisation personnelle aboutissant à la recherche de valorisation sur d’autres terrains (violence, vêtements ...). Sans oublier les conduites à risque (tentatives de suicides, fugues, consommations de produits psycho-actifs...).  Au final, nous avons réussi à remettre au travail des enfants qui avaient cessé, parfois depuis des années, de prendre plaisir à apprendre. Par contre, dans la fabrication des dispositifs adaptés à ce public, nous avons eu l’illusion qu’il suffisait de laisser les élèves prendre des initiatives et décider. Nous avons sous-estimé leur manque d’autonomie, l’état de délabrement psychologique, les logiques d’échec dans lesquels ils se trouvaient. Le respect des enfants, le refus de leur imposer des choses est respectable. Mais, il faut faire en sorte que ces mêmes enfants soient en capacité d’assumer cette responsabilité. Nous avons une quinzaine d’élèves très matures aptes à le faire. Les autres ont encore besoin d’appui et n’ont pas la confiance suffisante en eux et la capacité à s’organiser de façon autonome. Mais cela s’accompagne et se travaille. C’est ce que nous allons faire dans les mois à venir.

 

L’équipe pédagogique a du bousculer ses habitudes de travail...

Marie Danielle Pierrelée : nous avons effectivement introduit d’autres méthodes de travail. Ainsi, avons-nous tenté de faire intervenir deux enseignants sur le même cours. Cela se fait maintenant plus facilement dans l’Education nationale (itinéraire de découverte, atelier pluridisciplinaire ...). Mais c’est, le plus souvent, des interventions d’enseignants qui se succèdent. Toute autre est la démarche qui consiste à préparer et à assurer ensemble le cours. Travailler sous le regard d’un autre adulte n’est pas facile, pas plus d’ailleurs que d’être mis en difficulté par des élèves face à un collègue. J’ai vu ici, le projet de co-intervention glisser vers une division en deux groupes d’élèves dans deux salles avec chacun son prof, au prétexte que le dédoublement facilitait l’intervention. Comme quoi, la démarche n’est pas évidente. Alors que le fait d’être à deux permet, par exemple, que l’un puisse se détacher auprès d’un élève un peu plus en difficulté. Autre bouleversement dans les pratiques, la remise en cause du statut de spécialiste qu’a traditionnellement l’enseignant. A l’Education nationale, c’est une évidence que seul le prof peut transmettre un savoir. Ici, nous n’avons pas de prof de biologie. Et pourtant, les élèves font de la biologie en contact avec l’infirmière qui assure une intervention sur le tabac ou le mal de dos, avec le prof de sport qui explique comment fonctionne les muscles, avec le prof qui fait du jardinage et qui apporte plein d’informations sur les plantes et leur croissance. Il faut casser cette représentation qu’on ne peut apprendre qu’auprès de spécialistes patentés.

 

Quelles réactions avez-vous du côté de l’institution ?

Marie Danielle Pierrelée : j’ai été récemment invitée à intervenir dans des réunions de bassin (regroupant tous les chefs d’établissement d’un même secteur). Certains des participants avaient fait savoir qu’ils quitteraient la salle quand je commencerai à intervenir. Finalement, il n’en a rien été. Il y a eu de vraies questions de gens qui étaient intéressés. Du côté de l’administration, il y a validation de l’expérience. L’Inspecteur d’Académie nous défend. Je pense que c’est aussi lié aux retours très positifs qu’il reçoit des Parents. Nous avons décidé de baptiser le collège expérimental du nom d’Anne Frank. La Rectrice d’Académie a souhaité participer à la cérémonie. Du côté des syndicats, après une franche hostilité déclarée, nous sommes passés à une période d’indifférence plus tranquille. Nous avons quand même reçus trois représentants du SGEN qui ont souhaité nous rencontrer. Avec nos collègues du collège classique avec lesquels nous partageons les locaux, les relations se sont pacifiées : après, là aussi, une première période plus difficile, nous bénéficions d’une neutralité bienveillante.

 

Comment voyez-vous l’avenir ?

Marie Danielle Pierrelée : nous sommes actuellement submergés de demandes pour l’année prochaine. Nous avons environ plus de 100 candidats pour 25 places environ (cela correspond aux 3ème qui vont partir). Beaucoup de familles de garçons de 5ème, 4ème et 3ème  en grande difficulté nous sollicitent. Nous avons fixé des priorités : d’abord des CM2, ensuite des bons dossiers. Mais nous ne nous faisons pas beaucoup d’illusions, les bons élèves n’ont guère de raisons de venir chez nous, sauf à ce que leurs familles soit militantes. Enfin des filles, pour essayer de rééquilibrer la répartition qui est actuellement à 80% de garçons. Nous souhaiterions être sectorisés (ce qui n’est pas le cas actuellement), afin d’éviter de devenir établissement ghetto qui récupérerait tous les élèves en échec. Cela permettrait au système de ne rien changer, en se débarrassant, à peu de frais, de tous ceux dont il ne sait quoi faire. C’est, je crois, le risque de dérive qu’on aura du mal à éviter. C’est finalement, peut-être, pour cette raison qu’on est toléré.                           

 

Propos recueillis par Jacques Trémintin

LIEN SOCIAL ■ n°632 ■ 05/09/2002