Pierrelée M-Danielle - Echec Scolaire 1

A l’école : respecter le rythme de chacun et proposer une référence commune, c’est possible !

Marie-Danielle Pierrelée  est  Principale du collège expérimental du Ronceray au Mans

Quelles sont, à votre avis, les racines de l’échec scolaire ?

Marie Danielle Pierrelée : votre question recouvre une problématique bien vaste à laquelle il est difficile de répondre d’une manière rapide. Je me risquerai néanmoins à parler de ce phénomène, qui est très visible à l’adolescence et donc au collège qui accueille l’immense majorités des adolescents, comme étant enraciné dans l’histoire non seulement scolaire du jeune, mais aussi dans son histoire personnelle et familiale. Je ne vais pas faire de la psychanalyse, mais les difficultés d’apprentissage ont quand même à voir, en amont, avec le rapport à la mère. C’est bien quand l’enfant n’arrive pas à s’en séparer qu’il va avoir du mal à accepter l’école. Les institutrices de maternelle le disent bien : dès les premières années de scolarisation, elles repèrent les enfants qui sont dynamiques et qui captent le mieux ce qu’elles proposent, pendant que d’autres restent plus repliés et effacés. Quand la première marche est ainsi ratée, c’est toujours plus compliqué, ensuite de rattraper le retard accumulé. Cela devrait pouvoir se faire, si l’école respectait le rythme de chacun. Mais, notre système est dominé par l’uniformité : il faut que tout le monde soit prêt, au même moment, à assurer les mêmes apprentissages. Il est mal venu de rentrer en CP avant 6 ans ou après. Et si à Pâques, on ne sait toujours pas lire, on est vite catalogué. Le fait que certains gamins aient besoin de plus d’attention ou de temps n’est pas pris en compte. Ce qui fait qu’ils vont végéter tout au long de l’école primaire. Si la famille peut assurer par derrière, cela peut passer. Mais, comme dans les milieux populaires, la relation à l’école est toujours un peu plus compliquée, les enfants qui en sont issus, c’est tant pis pour eux. Attention, je ne mets pas en cause la bonne ou mauvaise volonté des instituteurs, mais les effets pervers « rouleau compresseur » d’un système qui prône l'égalité.

 

C’est effectivement là, l’un des principes de la République : vous le remettez en cause ?

Marie Danielle Pierrelée :     il y a deux conceptions qui s’opposent. D’un côté, on trouve les partisans des filières qui commenceraient très tôt. C’est ce qui se passait avant l’instauration, en 1975, du collège unique : les plus doués passaient par le lycée, les moins performants se retrouvaient dans le technique, sans qu’il y ait aucune passerelle entre les deux. Et puis, il y a les partisans de l’égalité qui revendiquent l’uniformité et une orientation la plus tardive possible. Aujourd’hui, même la seconde de lycée est indifférenciée, l’orientation ne se faisant qu’à partir de la 1ère. Si on campe sur l’une ou l’autre de ces deux positions, on ne s’en sortira pas. La difficulté est bien d’arriver à combiner les deux options. Cela me semble possible de se dire qu’on va à la fois faire attention à chaque enfant et à la fois qu’on va leur apporter à tous une référence commune. Cela a été expérimenté depuis très longtemps déjà par des pédagogues comme Freinet, Montessori ou Makarenko. On ne peut reprendre ce qu’ils ont fait au pied de la lettre, car les enfants d’aujourd’hui ne sont pas les mêmes qu’il y a 80 ans. Il y a des problèmes nouveaux à gérer, et en premier le fait que les adultes ne jouent plus vraiment leur rôle. Il faut donc s’appuyer sur ce qui a été fait pour réinventer dans le contexte actuel, de nouvelles modalités. A la fois ne pas poser de norme d’entrée, mais ne pas non plus materner, travailler sur la sollicitude et la confiance, mais aussi favoriser des référents extérieurs. Il faut arriver à ce que chaque enfant se confronte aux difficultés de la vie en ayant les outils pour être libre et autonome et savoir discriminer.

 

Vous avez eu l’occasion depuis une année scolaire d’appliquer vos principes...

Marie Danielle Pierrelée :  effectivement, dans le collège expérimental du Ronceray, l’attention portée à chacun passe par l’heure de tutorat qui est proposée systématiquement tous les matins de 8h00 à 9h00 : dix élèves sont pris en charge par le même adulte tout au long de l’année scolaire. Chaque enfant est accompagné dans ses leçons et ses devoirs, écouté dans ses problèmes, suivi dans sa progression.  La référence commune, elle, ce sont les programmes  de l’Education nationale qu’il n’est pas question de négocier. Nous nous sommes donnés les moyens de redonner aux enfants confiance en eux et de retrouver du plaisir à apprendre. Ils font le choix sur 6 semaines des groupes d’apprentissage dans lesquels ils vont se trouver et participent à des projets qui vont leur montrer à quoi ça sert d’apprendre (monter une action humanitaire, créer un journal ou un site internet...). Il y a même des cours au choix qui sont assurés par les enseignants, mais aussi par des personnes compétentes extérieures (y compris des parents d’élèves) et même des élèves eux-mêmes qui auraient des compétences particulières à faire partager. L’objectif de notre démarche est de rendre l’enfant acteur et citoyen.

 

Et cela fonctionne ?

Marie Danielle Pierrelée : nous sommes plutôt satisfaits de cette première année. Nous avions conçu ce projet dans une logique tout public. Sur l’effectif des 108 élèves que nous avons accueillis en septembre 2001, 10% étaient issus de familles militantes attirées par les méthodes proposées, mais qui n’étaient pas au départ particulièrement en difficulté, 40% d’élèves environ rencontraient des problèmes et 50% étaient considérés comme en échec scolaire grave et pour lesquels l’entrée au collège expérimental constituait la solution de dernier recours. Au final, nous avons réussi à remettre au travail des enfants qui avaient cessé, parfois depuis des années, de prendre plaisir à apprendre. Il faut quand même que je vous dise que beaucoup des enfants étaient signalés sur leur livret scolaire comme ayant des comportements violents : bagarreurs (12), refus du système scolaire (14),  mais ce qu’on retrouvait le plus c’est la démotivation, la passivité, le stress, un profond sentiment de dévalorisation personnelle aboutissant à la recherche de valorisation sur d’autres terrains (violence, vêtements ...). Sans oublier les conduites à risque (tentatives de suicides, fugues, consommations de produits psycho-actifs...). Nous avons aussiprogressé dans la fabrication de dispositifs adaptés au public très particulier que nous avons pris en charge. Notre projet est en perpétuelle évolution. Nous nous adaptons, en fonction de ce que nous vivons. Nous nous sommes ainsi laissés portés par l’illusion qu’il suffisait de laisser les élèves prendre des initiatives et décider. Nous avons sous-estimé le manque d’autonomie, l’état de délabrement psychologique, les logiques d’échec dans lesquels se trouvait le public que nous avons accueilli. Le respect des enfants, le refus de leur imposer des choses est respectable. Mais, il faut faire en sorte que ces mêmes enfants soient en capacité d’assumer cette responsabilité. Nous avons une quinzaine d’élèves très matures aptes à le faire. Les autres ont encore besoin d’appui et n’ont pas la confiance suffisante en eux et la capacité à s’organiser de façon autonome. Mais cela s’accompagne et se travaille. C’est ce que nous allons faire dans les mois à venir.

 

Votre ambition est-elle de généraliser vos méthodes ?

Marie Danielle Pierrelée : dès le départ, et encore maintenant, notre objectif n’était pas de devenir un établissement recours pour des élèves non tolérés par le système classique, mais bien un établissement expérimental reproductible. Mais cette approche se heurte d’abord au système scolaire qui est avant tout une grande machine à sélectionner et à distribuer les différentes places dans la société (depuis l’OS qui est sorti en fin de troisième sans diplôme jusqu’aux ingénieurs qui sont issus des grandes écoles). Mais nous nous confrontons aussi au corps des professeurs qui sont eux-mêmes le meilleur produit de cette sélection. Comment demander à un enseignant de remettre en cause la logique actuelle, alors que c’est cette même logique qui a fait de lui ce qu’il est ? Maintenant, la réalité s’impose aux professeurs qui vont de plus en plus mal. Non pas dans ce qu’ils enseignent, mais dans leurs conditions de leur travail. Le corps enseignant est très crispé et vit dans l’illusion d’un retour en arrière, à l’époque où 20% des élèves accédait à la 6ème. Je pense que ce qu’il faut changer, c’est la façon de travailler et notamment la solitude dans laquelle il se trouve. Au Ronceray, les enseignants ont accepté de travailler 24 heures par semaine (et non 18 heures comme c’est la règle partout). Sur les six heures de présence supplémentaires, trois sont consacrées à une régulation qui a lieu tous les mardi après-midi (les élèves sont libérés à 15h30). Une semaine sur deux, cette réunion se fait en présence d’une psychologue qui nous aide à décoder ce qui se passe. Pour rendre cet effort supplémentaire, acceptable, l’emploi du temps a été conçu d’une manière qu’il n’y ait pas trop de trous pour les enseignants. Mais tout cela ne peut se faire que si les collègues sont volontaires. C’est pourquoi l’affectation au Ronceray se fait sous la forme d’une cooptation à partir d’un engagement sur le projet.

 

Le travail accompli par l’équipe pédagogique semble relever autant de l’instruction que de l’éducation...

Marie Danielle Pierrelée : je pense que de toute façon un enseignant qui voudrait limiter son action à la simple transmission de connaissances, éduque à son corps défendant. Il transmet, qu’il le veuille ou non, des valeurs. Que ce soit la compétition et le mépris des faibles ou la solidarité et l’entraide, il est porteur d’une conception du monde qui transparaît dans sa façon de faire.

 

Propos recueillis par Jacques Trémintin

Journal de L’Animation  ■ n°39 ■ sept 2002

Lien Social  ■ n°632 ■ 05/09/2002