Verdier Pierre - Origines-CNAOP

Quel avenir pour l’accès aux origines ?

Ségolène Royal s’apprête à vous remettre dans quelques jours la croix de chevalier de la légion d’honneur, au moment même où le nouveau gouvernement vous a évincé de la présidence du Conseil national pour l’accès aux origines personnelles (CNAOP) : êtes-vous victime de l’alternance politique ?

Pierre Verdier : Nadine Lefaucheur et moi-même avons été évincés avant même d’avoir pu siéger. Ma conception de la chose publique m’interdit de penser que cette décision ait pour raison le changement de majorité ou un vice de procédure. Je crois plutôt que ce sont mes positions pour le droit à l’accès aux origines qui déplaisent à certains et qui ont influencé le gouvernement, notamment Jean-François Mattei, Ministre de la santé et de la Famille, qui avait pris position sur ces questions d’une manière assez différente de ce que je peux défendre.

 

Vous êtes effectivement connu pour votre engagement en tant que Président de la Coordination des actions pour le droit à la connaissance des origines : pouviez-vous vraiment être objectif dans votre fonction à la tête du CNAOP ?

Pierre Verdier : le but de ce Conseil, c’est, selon l’article 1er de la loi du 22 janvier 2002, de « faciliter l’accès aux origines personnes ». Ce n’est pas d’être neutre et « objectif ». Cela doit se faire dans le respect des lois, ce que, à la CADCO comme dans les différentes fonctions que j’ai occupées en tant que fonctionnaire de l’Etat, j’ai toujours fait. Depuis trente ans, mes travaux, mes publications, mes engagements, ainsi que l’accompagnement direct apporté à des centaines de personnes recherchant leurs enfants ou leurs parents, n’ont pas eu d’autre but que de demander l’aménagement de ce droit, souvent inhumain et source de grandes souffrances. Il s’agit bien d’un « militantisme », je ne le cache pas, mais il est constructif, puisqu’il a abouti à reconnaissance du bien fondé de ce combat. Notre position a toujours été très claire : quand on n’est pas d’accord avec une loi, on peut militer pour la faire évoluer. Mais ce n’est pas une raison de ne pas l’appliquer. Or la loi Ségolène Royal marque une avancée certaine. Pour nous, on peut aller plus loin, mais ce serait après les analyses et les propositions que le CNAOP a précisément pour mission de faire. Suite à ma nomination, certaines associations ont intenté des recours, notamment la fédération Enfance et famille d’adoption. Celle-ci me reproche sur son site Web d’être pour l’accès aux origines à tout prix, et de vouloir dire automatiquement à l’enfant à sa majorité quelle est sa filiation d’origine ! Je n’ai jamais dit de telles choses. J’ai toujours affirmé que c’est un droit de l’enfant d’avoir accès à son histoire s’il le souhaite. Mais cela suppose que des informations soient recueillies. Mais il n’a jamais été question d’un systématisme : s’il ne le désire pas, il doit pouvoir continuer à ne pas savoir. Nous ne sommes pas pour la vérité à tout prix. Ce doit être un droit non une obligation. Finalement, ce qui m’a été reproché, c’est un engagement trop ferme. Je n’en ai pas honte. J’ai perdu la présidence, mais je garde mes engagements. Nommer à la tête du CNAOP quelqu’un qui a pris position fermement sur cette question n’est peut-être pas objectif, mais c’est conforme aux buts que fixe la loi. Ce qui est paradoxal c’est au contraire, comme cela vient de se faire, de désigner des personnes qui ont clairement pris position pour l’accouchement sous x 

 

Ces nouvelles nominations vous inquiètent-elles ?

Pierre Verdier : Effectivement, son nouveau Président, le professeur Henrion, de l’Académie de médecine, s’était très clairement prononcé, dans un rapport qu’il avait présenté en 2000, pour l’accouchement sous x. En des termes tels que plusieurs associations avaient porté plainte pour « provocation à l’abandon d’enfants » et « abus de situation de faiblesse de personnes vulnérables ». Et surtout, il a nommé en qualité de secrétaire générale Marie-Christine Le Boursicot membre d’Enfance et familles d’adoption. Sa compétence n’est pas en cause, mais sa position pose problème. Toutes ces personnalités, qui sont très réticentes à l’accès aux origines, risquent d’induire un fonctionnement plus timoré, plus protecteur du secret.

Quant à nous, puisque nous ne sommes plus dans le CNAOP, nous serons dehors. C’est à dire que nous recouvrons toute la liberté de parole que notre obligation de réserve aurait atténuée. Bien sûr, nous conseillerons à nos adhérents de saisir ce conseil mais nous serons très attentifs à ses décisions et nous ne manquerons pas de saisir les tribunaux dès qu’elles nous paraîtront s’écarter de la légalité. Nos espoirs se tournent, à présent, vers l’Europe. Une affaire va être examinée le 9 octobre à Strasbourg par la Cour Européenne des Droits de l’Homme : Pascale Odièvre, abandonnée, revendique de connaître l’identité de ses trois frères et sœurs, ce que l’administration lui refuse. Nous espérons que la décision penchera dans notre sens. La France est minoritaire sur cette question par rapport aux positions européennes. La loi de janvier 2002 avait fait naître des espoirs, renforcés par la nomination de personnes favorables à l’ouverture.  La modification de la composition du comité place avec plus d’évidence notre pays hors de la communauté de vue des Etats membres.

 

Coordination des Actions pour le Droit à la Connaissance des Origines (CADCO) : 43 rue Liancourt 75014  tél.: 01 43 22 05 48 www.cadco.asso.fr

Enfance et famille d’adoption : 221, rue La Fayette 75 010 PARIS

Propos recueillis par Jacques Trémintin

LIEN SOCIAL ■ n°636 ■ 03/10/2002