Bergé Dominique - Personnes agées

L’animateur apporte autant qu’il reçoit

Dominique Bergé formatrice spécialisée en gérontologie responsable du département animation professionnelle aux Céméa Lorraine

Que représente le public des personnes âgées pour le monde de l’animation ?

Dominique Bergé : étant donnés l’allongement de l’espérance de vie et la proportion grandissante des personnes âgées (et notamment des personnes âgées dépendantes psychiquement), les établissements ne pourront, à l’avenir, se suffire du travail des personnels soignants qui consacrent déjà 80% de leur temps aux soins et au nursing. Cela laisse ces personnes pendant six à huit heures dans une quasi solitude. C’est dans ce créneau que les animateurs peuvent venir prendre leur place. Mais, même si c’est le cas de figure aujourd’hui le plus crucial, il n’y a pas que l’intervention auprès des plus dépendants. Il y a aussi une demande du côté des retraités qui attendent des propositions pour utiliser leur temps libre : « nous sommes encore des acteurs et des citoyens dans la société : comment peut-on partager avec les plus jeunes ? »

 

Le travail de l’animateur auprès des personnes âgées ne se réduit donc pas au cadre de l’institution : existe-t-il des actions auprès de celles qui vivent encore à leur domicile ?

Dominique Bergé : Il faut être clair : le besoin essentiel en animation est avant tout en institution. Quelqu’un qui se forme dans ce domaine doit quand même s’attendre à aller travailler en structure collective. Après, il a le choix entre plusieurs types d’établissements. Il n’en existe pas qu’un. Chacun peut se déterminer à partir du public avec lequel il se sent le plus à l’aise. Mais, il est toujours possible, et cela commence à être de plus en plus fréquent, de développer des projets d’animation à domicile, d’innover sur des actions un peu plus à larges. Cela correspond tout à fait à une politique de santé publique. On ne pense pas suffisamment au soutien aux personnes qui ont fait le choix de rester chez elles. Le maintien à domicile ne signifie pas seulement le portage des repas ou les soins. Cela peut, tout aussi bien, consister à apporter une aide aux relations sociales. L’animation a un rôle à jouer dans ce domaine. Dans les formations que j’assure, j’encourage les stagiaires à développer ce type de service.

 

Quelle différence faites-vous entre le public des personnes âgées et les autres publics de l’animation ?

Dominique Bergé : ce qui caractérise le public des personnes âgées, c’est qu’elles ont été des adultes en pleine capacité de leurs moyens, qui ont eu une place dans la société. Avec leur avancée en âge, elles se posent des questions existentielles sur le sens qu’elles peuvent donner à leur vie. Les animateurs doivent les accompagner dans cette démarche pour leur signifier qu’elles peuvent encore jouer un rôle dans l’échange, le partage et la transmission de leur histoire. C’est là quelque chose qu’on ne développe pas assez. C’est vrai que les personnes âgées, elles mêmes, ne se rendent pas toujours compte de ce qu’elles peuvent apporter aux plus jeunes. Vous m’avez demandé ce qu’il y avait de différent. J’ai aussi envie de vous dire que ce qui est commun, c’est cette quête de reconnaissance, que l’on retrouve autant chez les personnes qui avancent en âge que chez les jeunes.

 

Les personnes âgées n’ont donc pas seulement à recevoir : elles ont aussi à donner...

Dominique Bergé : Effectivement, cette relation apporte beaucoup : tous les animateurs qui ont travaillé auprès de ce public pourront vous dire toute la richesse qu’ils en tirent. Dans la philosophie de vie, dans la valorisation de l’être humain. Même quand elles sont très dépendantes et à « la merci » des autres pour se nourrir ou se laver, les personnes âgées peuvent encore faire des projets, être présentes et être dans le présent. C’est souvent une leçon de vie que l’on peut prendre auprès d’elles. L’expérience d’être vieux, on ne pas sait ce que c’est. Elles seules peuvent nous le transmettre. Bien sûr, c’est une histoire à chaque fois individuelle, chacun la vivant à sa façon, mais cela peut toujours apporter aux plus jeunes. Seulement, pour échanger avec elles, il faut être curieux et avoir envie de partager.

 

Justement : quelles sont les qualités que l’animateur doit avoir par rapport à ce public particulier ?

Dominique Bergé : La première qualité est sans doute la capacité d’écoute et de respect du parcours de vie de chaque personne. Mais, il est essentiel aussi qu’il soit ce que j’appelle un « faiseur de projet de vie » : être capable de faire émerger les besoins des personnes âgées à partir de ce que celles-ci expriment de façon parfois implicite, les convaincre que cela vaut encore le coup, leur montrer qu’elles peuvent encore envisager les réalisations qui leur tiennent à coeur. Si l’animateur doit être le médiateur de ce mouvement en permettant l’élan créateur, il doit aussi jouer un rôle de coordinateur des actions d’animation, en sachant valoriser et fédérer les initiatives qui peuvent aussi venir des autres membres du personnel de l’établissement.

 

L’animateur est confronté, avec ce public, à la déchéance et à la mort. Comment doit-il réagir ?

Dominique Bergé : quand on parle de vieillesse, la mort est forcément présente. Si on est vraiment à l’écoute de la personne âgée, on ne peut passer à côté de cet aspect, qu’elle l’aborde de façon ouverte ou détournée. Si l’on veut offrir un accompagnement de qualité dans la vie de tous les jours, ce serait une erreur de refuser de l’entendre. Mais, pour y arriver, il est essentiel d’avoir fait au préalable un travail personnel sur cette question pour (et avant de ) pouvoir y faire face chez les autres. Dans nos modules de formation, nous abordons ce sujet-là. Dire qu’il ne faut pas en avoir peur est presque une injonction paradoxale. Il est normal que cela effraie. Mais il faut comprendre que la finitude existe pour tout individu et que la mort fait partie de la vie. Accompagner la personne âgée, c’est être à ses côtés dans sa fin de vie et dans la disparition qui l’attend.

 

Quelles sont les formations existantes pour travailler auprès des personnes âgées ?

Dominique Bergé : les Cemea Lorraine ont été un peu pilote en la matière. Quand le Beatep a été créé en 1989, nous avons rapidement proposé une option « animateur auprès des personnes âgées ». D’autres associations ont envisagé une formation plus large : « animateur auprès de personnes âgées et handicapées ». Nous, nous avons préféré nous centrer autour du public vieillissant.  Nous préparons actuellement le BPJEPS (Brevet professionnel de la jeunesse et de l’éducation populaire et des sports) qui doit remplacer le Beatep. Son intitulé est global : « loisirs tous publics ». Mais il inclura l’intervention auprès ders personnes âgées. A côté des formations diplômantes, nous proposons aussi des formations plus courtes destinées soit aux bénévoles, soit aux soignants, soit aux animateurs qui désirent acquérir un savoir-faire dans ce domaine. Nous avons souhaité répondre aux différentes demandes qui nous sont faites. Il y a, en effet, des établissements qui font le choix de recruter des animateurs capables de mettre en place des activités, mais aussi de jouer un rôle de coordonnateur, en y associant les autres membres du personnel. Il y en a d’autres qui préfèrent proposer des stages à des professionnels dont ce n’est pas la fonction principale, mais qui acceptent d’intervenir aussi dans ce domaine.

 

Propos recueillis par Jacques Trémintin

Journal De l’Animation  ■ n°48 ■ avril 2004