Bacqué Marie-Frédérique - Enfant et la mort

Professeur de psychopathologie à l'université Louis Pasteur de Strasbourg et Vice-présidente de la société de thanatologie, Marie-Frédérique Bacqué est rédactrice en chef de deux revues (dont « Études sur la mort ») et a écrit quatre ouvrages sur cette question. Elle explique la nécessité de parler aux enfants de la mort le plus tôt possible.

 

Quand on cherche à aborder la question de la mort avec un enfant ou qu’on veut répondre à l’une de ses questions sur ce sujet, on est très vite soit bloqué, soit limité dans nos explications. Quels mots utiliser, quelle réalité présenter ?

Marie-Frédérique Bacqué: Je suis partisane de la vérité, mais de la vérité aménagée. Il est important d’employer les véritables mots, sans essayer de contourner la réalité : parler de la mort, de l’enterrement, de la crémation... Il faut ensuite être capable d’expliquer ce que cela veut dire. Tant que l’enfant n’a pas acquis les principes d’universalité et d’irréversibilité de la mort, c'est-à-dire la compréhension que tous les êtres vivants sont concernés, il va penser que la personne décédée peut revenir un jour. Il faut lui dire, avec des mots qu’il peut comprendre à son âge, qu’aucun animal, aucune plante qui meurent ne peuvent revivre. Cela ne peut non plus être le cas pour les êtres humains.

 

Comment faire pour annoncer à un enfant la maladie mortelle ou la mort proche d’un parent ?

Marie-Frédérique Bacqué: Plus l’enfant est jeune, moins il peut l’entendre l’annonce d’un décès attendu. C’est difficile de lui faire comprendre ce risque mortel. Ce n’est qu’à partir de l’âge de 7 ans qu’il va être en mesure de l’intégrer. On va alors pouvoir évoquer l’âge, la maladie ou la gravité de l’accident pour lui permettre d’intégrer la disparition prochaine. Avant cet âge, on fonctionne au jour le jour, presque heure après heure, à partir des réactions et comportements de l’enfant.

 

Quand l’adulte est lui-même effondré par la mort d’un proche, comment peut-il prendre en charge le chagrin de son enfant ?

Marie-Frédérique Bacqué: C’est là effectivement une expérience compliquée à vivre tant d’un côté que de l’autre. Il est difficile pour l’enfant de concevoir que les adultes ne jouent plus leur fonction protectrice et ne se comportent plus d’une manière rationnelle. Voir ses parents en pleurs constitue pour lui une situation douloureuse et déstabilisante. Quant aux adultes en deuil, ils ont beaucoup de mal à aborder eux-mêmes cette question. Il peut alors être nécessaire de faire appel à des proches de la famille ou à des amis susceptibles d’être moins dans une situation de détresse totale, afin qu’ils prennent le relais auprès de l’enfant, en lui parlant de ce qui est arrivé et en l’accompagnant aux funérailles, par exemple.

 

Il arrive que des adultes ne puissent jamais se relever vraiment de la disparition d’un proche. Cela peut-il aussi arriver à un enfant ?

Marie-Frédérique Bacqué: La plupart des enfants que j’ai rencontrés dans un cadre psychothérapeutique sont justement ceux à qui l’on n’a pas dit la vérité ou dont les parents déprimant profondément, n’ont pu trouver de relais adulte, pour les aider. Ces enfants ont été soumis à un secret qui ne leur a pas permis, à leur tour, d’exprimer leurs émotions. Ils se sont retranchés du côté du non-dit, leur deuil étant différés dans le temps. Des années après, parfois dix ou vingt ans, quand ils sont devenus adultes, certains n’ont pu se relever d’une dépression chronique. C’est bien pourquoi j’insiste beaucoup sur l’importance de parler de la mort aux enfants et pas seulement au moment des deuils. Dès qu’ils atteignent sept ans, qu’ils deviennent accessibles à la philosophie de la vie et qu’ils se posent des questions autour de la mort, il faut aborder cette question avec eux.

 

Les rites mortuaires traditionnels sont en perte de crédibilité. Faut-il inventer de nouveaux rites, de nouveaux gestes, de nouveaux symboles ?

Marie-Frédérique Bacqué: Outre les différentes religions, notre pays est constituée de multiples cultures, chacune ayant ses propres coutumes face à la mort. Mais il existe des symboles classiques qui traversent ces particularités et que l’on peut réutiliser avec des enfants. Il y a la lumière qui évoque la vie et la dimension animée, l’eau qui fait penser à la fertilisation, la terre où poussent les plantes. Tout cela représente un espoir de continuité et de dépassement. Ce n’est pas l’espoir de la religion catholique qui, à mon avis, est plutôt dans le déni de la mort. Il s’agit plutôt d’une transcendance qui nous tourne vers l’espèce humaine, vers la préservation de la planète. Je n’ai pas de recette miracle à proposer, d’autant que ce sont des rites à élaborer avec les enfants eux-mêmes. Mais on peut, par exemple, leur proposer de faire une ronde autour du cercueil ou de déposer chacun une bougie. Ils peuvent aussi choisir une musique au son de laquelle chacun va pouvoir se recueillir et penser à la personne disparue. Pendant ce moment difficile au cours duquel un corps va entrer dans un tombe à jamais ou être brûlé en cas de crémation, de tels rites permettent d’étayer la pensée et d’exprimer ses ressentis.  D’autant plus si la mise au point de ce rituel est parlée avec les enfants. Tout cela est créateur de lien social entre eux et entre eux et les adultes. C’est un souvenir qui leur restera longtemps, transformant cet évènement éprouvant qu’ils auraient sans doute voulu oublier très vite en un moment où ils auront pu partager leurs émotions.
 
 
Propos recueillis par Jacques Trémintin
Journal De l’Animation  ■ n°76 ■ fév 2007