Prud'homme Yann - Maison de retraite et handicapés

La cohabitation harmonieuse entre personnes âgées dépendantes et personnes vieillissantes porteuses de handicap mental

L’allongement de l’espérance de vie ne concerne pas que la population générale. Il profite aussi aux populations porteuses de handicap. Les Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes ont commencé, depuis quelques années, à admettre des personnes vieillissantes atteintes de déficience mentale. Yann Prud'homme, directeur de l'EHPAD de La Chapelle Gaugain dans la Sarthe, nous explique comment se passe cette cohabitation.

Comment votre établissement a-t-il intégré des personnes vieillissantes porteuses de handicap mental ?
La maison de retraite que je dirige accueille des personnes âgées dépendantes. Fondé en 1880, l’établissement était géré par une congrégation jusqu’en 1995, date à laquelle il a été repris par l’association ANAIS(1) . En 2005, face à une demande croissante, un projet a été présenté au Conseil général de la Sarthe de création d’une unité spécialisée expérimentale ouverte aux personnes vieillissantes porteuses de handicap mental. Il a été accepté. Nous avons pu accueillir douze résidents, en provenance soit des ESAT où ils avaient travaillé toute leur vie, soit de Foyers occupationnels, appelés aujourd’hui Foyers de vie. Il avait été évoqué, au départ, la possibilité de compenser le surcoût lié à cet accueil spécifique. Finalement, cela n’a pas été le cas, l’établissement intégrant dans le prix de journée des 53 places d’accueil pour lesquelles il est habilité, le poste d’aide médico psychologique et le demi poste supplémentaire d’infirmière dédiés à cette population.

Quels sont les critères d’admission pour les personnes porteuses de handicap mental ?
Le critère principal est l’absence de troubles profonds. Nous ne pouvons gérer quelqu’un qui serait trop agité, qui serait trop bruyant ou aurait un comportement trop incohérent. La personne porteuse de handicap mental qui souhaite intégrer une maison de retraite le fait parce que, souffrant le plus souvent de déficiences cumulées, elle est devenue très fatigable. Elle ne peut plus travailler en ESAT ou suivre les activités proposées en foyer de vie. Elle y côtoyait de jeunes adultes qui, ayant besoin de se dépenser et de bouger, faisait beaucoup de bruit. Elle aspire à la tranquillité. A l’exemple de ce résident que l’on sollicitait, l’autre jour, pour donner un coup de main, pour mettre le couvert. Il a refusé en nous disant que s’il était en retraite, ce n’était pas pour se remettre à travailler. Si nous continuons à proposer des animations pour stimuler les personnes accueillies, celles-ci n’ont rien d’obligatoires, le résident pouvant choisir de rester dans sa chambre. Nous sommes comptables de la sérénité des conditions du séjour. Autant, nous garantissons un lieu de vie apaisé pour les personnes vieillissantes porteuses de handicap mental, autant nous ne pouvons pas accepter qu’un résident trop en difficulté vienne perturber la tranquillité des personnes âgées.

Y a-t-il une prise en charge séparée des personnes vieillissantes porteuses de handicap ?
En partie. Ces personnes ont besoin d’être plus rassurées, plus motivées, plus sollicitées peut-être que les autres. Elles requièrent plus d’attention lors du lever ou lors du choix des vêtements. Il arrive parfois aussi qu’il faille s’adresser à elles sur un ton plus autoritaire, pour les recadrer. Et puis, il y a des activités auxquelles elles vont plus facilement participer, comme des promenades à l’extérieur ou des sorties au cinéma, ce que font moins les autres personnes âgées accueillies. Mais, pour le reste, il n’y a pas de différences. Nous n’avons pas souhaité les héberger dans des locaux spécifiques pour ne pas les stigmatiser. Elles sont logées dans des chambres réparties dans toute la maison, prennent leurs repas avec tout le monde et peuvent participer aux animations proposées. La déficience liée au handicap n’est pas forcément si compliquée que cela à gérer, car les personnes âgées qui intègrent nos établissements sont elles-mêmes devenues dépendantes, souffrant de troubles de la mémoire, de détériorations intellectuelles, de troubles psychiatriques, voire même de démence.

Comment se passe la cohabitation entre les deux populations ?
Cela dépend complètement de la personnalité de chacun. Il y a souvent des gestes de solidarité et d’entraide. Une personne âgée peut prendre par le bras une personne porteuse de handicap, si elle la sent perdue, comme cette dernière peut se mettre à pousser le fauteuil roulant d’une personne âgée. Il y a beaucoup de différences d’âge : alors que, chez nos résidents, la moyenne est de 80/85 ans, les personnes porteuses de handicap ont plutôt autour de 60/65 ans. Cela dynamise l’ambiance. Si je prends la plus jeune de nos résidentes porteuses de handicap qui a 55 ans et la plus âgée de nos personnes âgées dépendantes mais lucides qui en a 98, on a un écart qui fait que la première pourrait être la petite fille de la seconde ! Cela met de la vie, chacun s’enrichissant de ses différences. Il y a une cohabitation harmonieuse entre tous les résidents, quelles que soient leurs difficultés.

Pensez-vous, à l’avenir, accroître le nombre de personnes vieillissantes porteuses de handicap mental dans votre établissement ?
Pas forcément. D’une part, parce que 12 personnes ayant ce type de problématique sur 53 résidents, cela me semble être une bonne proportion. D’autre part, parce qu’un certain nombre de foyers de vie sont en train de concevoir des unités annexes, pour leurs pensionnaires vieillissants. Pour des personnes qui, tout au long de leur existence, n’ont fait que changer de lieux d’accueil, cela aurait l’avantage de ne pas les déraciner à nouveau. C’est bien qu’au final, il y ait le choix.

(1) Association gérant 80 établissements médico-sociaux et 6 EHPAD dans 13 départements (www.anais.asso.fr )

 

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°1055 ■ 22/03/2011