Gomez Vincent - Mineurs isolés étrangers

Les conditions et difficultés de la prise en charge des mineurs isolés étrangers

Vincent Gomez-Bonnet est Directeur de la Maison d’enfant à caractère social Les Saints-Anges, à Marseille. Il est aussi Secrétaire Général du Réseau Euroméditerranéen pour la protection des mineurs isolés (REMI). Que ce soit en tant qu’ancien inspecteur à l’enfance au Conseil général des Bouches du Rhône ou Directeur accueillant des mineurs isolés étrangers, il a accumulé une certaine expérience, auprès de cette population. Il utilise ce savoir-faire et ce savoir-être pour animer des sessions de formation auprès de travailleurs sociaux. Il nous éclaire ici sur un certain nombre de questions que peut se poser un professionnel de l’action sociale confrontée à ces usagers particuliers.

Quelles sont les modalités de prise en charge des mineurs isolés étrangers dans notre pays ?
Cette prise en charge a été officiellement confirmée comme mission de l’Aide sociale à l’enfance, par la loi du 5 mars 2007. Si leur accueil et leur accompagnement étaient jusque là assurés implicitement, ils sont dorénavant prévus explicitement dès l’article 1 de cette loi qui dispose que « la protection de l'enfance a également pour but de prévenir les difficultés que peuvent rencontrer les mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille et d'assurer leur prise en charge. ». Cette disposition a été intégrée dans le code de l’action sociale et des familles, dans son article L.112-3. Qu’il soit nommé comme tuteur par le Juge des tutelles ou qu’il soit désigné par le juge des enfants pour exercer une mesure d’assistance éducative, le Conseil général a donc la responsabilité de ces mineurs considérés comme en danger sur le territoire français, dès lors où ils ne sont pas accompagnés d’une personne titulaire de l’autorité parentale. Une difficulté s’est présentée en Seine Saint Denis, lorsque le Président du Conseil général, Claude Bartolone, a menacé à la mi-juillet 2011 de mettre un terme à tout nouvel accueil. Il ne s’agissait pas, pour lui, de refuser de faire face à ses obligations, mais d’alerter l’État sur la concentration de cette population dans son département (près de 1.000), quand d’autres départements de la région parisienne en particulier et du reste de la France en général n’en accueillent, pour certains, quasiment aucun. Il a fallu que, début septembre, il concrétise sa menace pour que le ministère de la justice réagisse. La chancellerie a demandé aux parquets de prendre des ordonnances de placement provisoire confiant des mineurs isolés étrangers à des foyers d’adolescents répartis sur vingt départements. Les Conseils généraux, mis devant le fait accompli, d’avoir à financer ces accueils ont aussitôt contesté ces décisions, en justice. Ce qui fait que les établissements, qui ne sont pas assurés d’être payés, refusent d’accueillir les mineurs isolés étrangers qu’une décision de justice leur ordonne pourtant de prendre en charge. Le problème reste donc entier.

De quelles possibilités de prise en charge dispose l’Aide sociale à l’enfance, à la majorité du mineur isolé étranger ?
Si la minorité du mineur isolé étranger lui garantit théoriquement une prise en charge (même si, nous venons de le voir, cela peut malgré tout poser problème), l’accès à la majorité peut constituer une véritable impasse. Depuis le décret du 2 décembre 1975, tout jeune majeur peut solliciter l’Aide sociale à l’enfance, pour obtenir un placement approprié ou une action éducative, lorsqu’il éprouve « de graves difficultés d’insertion sociale faute de ressources ou d’un soutien familial suffisant ». Il ne devrait il y avoir aucune raison pour que cela ne s’applique pas au mineur isolé étranger. Une seule condition est exigée, mais elle est importante : qu’il ait une existence administrative. Cela signifie qu’il dispose d’une autorisation de séjour sur le territoire national, que ce soit un titre de séjour en cours de validité ou le récépissé de dépôt de demande. Sans ce document, l’Aide sociale à l’enfance s’engage sur une voie délicate, si elle établit un contrat jeune majeur, puisqu’elle accomplirait un acte qui pourrait être taxé d’illégal. D’où l’importance pour les services accompagnant le jeune d’engager suffisamment tôt une démarche administrative de régularisation, afin de permettre une continuité dans la prise en charge. On ne peut que constater le décalage qui peut voir le jour entre la logique éducative des équipes et la logique des services de certaines préfectures, décalage qui peut mettre à mal les professionnels qui se sont investis auprès du jeune et qui peuvent voir tous leur travail s’arrêter net, parce que le financeur ne peut légalement continuer la prise en charge financière. Il existe bien la mesure judiciaire de « protection jeune majeur » qui place le mineur isolé étranger sous la protection du juge des enfants, jusqu’à ses 21 ans. Mais, depuis la décision de la Protection judiciaire de la jeunesse de ne plus financer ces mesures que pour une infime partie d’entre eux (le fameux « article 16 »…), elles ne permettraient de toute façon pas à un établissement de continuer à recevoir un prix de journée. Si la Préfecture devait refuser de délivrer un titre de séjour, même temporaire, nous sommes alors dans l’impossibilité de continuer le travail éducatif.

Certains Conseil généraux font le choix d’un regroupement des mineurs isolés étrangers dans un même lieu, plutôt que de les éparpiller dans différents lieux d’accueil. Qu’en pensez-vous ?
Par expérience, je suis plus favorable à la répartition des mineurs isolés étrangers sur plusieurs établissements qu’à leur concentration dans un seul. Il peut apparaître plus facile de les regrouper au même endroit, pour favoriser la gestion d’une problématique qui est similaire. Même s’ils sont en provenance de pays très différents en terme de culture et de langue - ce qui peut compliquer leur cohabitation - on est tenté de penser que l’on va pouvoir les faire travailler sur les mêmes démarches : apprentissage du français, scolarisation dans les mêmes classes d’accueil, familiarisation aux coutumes et usages de notre pays, etc… Pour autant, cette solution peut produire des effets pervers, et ce à au moins trois niveaux. Provoquer d’abord un appel d’air qui aboutira très vite à la saturation de la structure d’accueil. On ne sait pas exactement pourquoi tel département ou telle ville attire plus les mineurs isolés étrangers que d’autres. Mais l’existence de lieux d’accueil identifiés comme dédiés à ces publics, peut jouer un rôle dans cette concentration. Ensuite, il y a le risque de provoquer des oppositions et/ou des rivalités ethniques, les communautés qui se forment alors s’opposant les unes aux autres. Enfin, le fait de se retrouver à plusieurs issus de la même culture produit parfois la formation de revendications identitaires amenant à faire bloc face aux adultes. Pour illustration, on peut évoquer la question de la nourriture Hallal qui n’est pas sans poser problème dans un certain nombre de structures affichant pourtant leur laïcité. Un mineur isolé étranger se retrouvant seul, comprendra plus facilement qu’il lui faut, en arrivant dans un pays où cette pratique est minoritaire, s’adapter aux usages en vigueur. Dans un groupe plus ou moins soudé autour de cette revendication, il pourra moins volontiers s’en détacher, se trouvant à la fois prisonnier et solidaire d’une coutume qui le rattache tant à son pays d’origine qu’à son groupe de pairs. S’il ne s’agit pas de couper le jeune de sa culture d’origine, il faut tout autant faire attention à ne pas créer les conditions d’un positionnement qui peut apparaître au final comme contre-productif en terme d’intégration.

Les mineurs isolés étrangers se font plutôt remarquer pour leurs facilités d’adaptation et leurs compétences. Cela signifie-t-il que les mineurs qui migrent sont ceux qui sont les plus compétents ?
Je renvoie souvent à la typologie élaborée par Angelina Etiemble, classification que je trouve intéressante, même si elle n’est pas la seule. Ce chercheur propose cinq portes d’entrée pour comprendre les motivations de l’errance des mineurs isolés étrangers : les exilés (qui fuient leur pays en guerre, les persécutions, l’enrôlement forcé dans l’armée ou les troupes rebelles), les mandatés (envoyés pour gagner de l’argent et charger d’en adresser à leur famille restée au pays), les exploités (victimes de réseaux de prostitution, d’activités délictueuses, de mendicité, etc.), les fugueurs ( qui ont quitté le domicile familial ou l’institution dans laquelle ils étaient placés en raison de relations conflictuelles ou de mauvais traitements) et, enfin, les errants (déjà à la rue dans leur propre pays). Selon la motivation d’origine, on aura à faire à des enfants qui présentent des comportements différents. Si l’on peut constater des compétences fortes chez certains d’entre eux qui peuvent faire penser que ce n’est pas par hasard si ce sont eux qui ont pris la route pour traverser parfois la moitié du monde, on peut tout autant être confronté à des jeunes très déstructurés qui ont été très abîmés par la vie menée jusque là et en grande difficulté pour intégrer des règles de socialisation minimales. Cela peut être le cas par exemple des anciens enfants soldats. Ce qui ne signifie pas que ce soit la majorité des situations. Il y a quand même une forte proportion de parcours extrêmement positifs.


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Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°1047 ■ 26/01/2012