Bourdet Antoine & Monnier Christophe - ATD quart monde

Être à l’écoute de la parole des familles

L’ARIFTS(1) organisait en octobre 2015 une co-formation mettant face à face des professionnels de la protection de l’enfance et des militant d’ATD quart monde. Un choc salutaire, dont nous parlent Christophe Monnier et Antoine Bourdet, deux des participants.
 
Quelle était votre motivation pour vous inscrire à cette formation ?
Antoine Bourdet : j’étais demandeur de cette formation, pour en avoir entendu parler en bien. Mais aussi, parce que je connaissais ATD et que j’étais intéressé de travailler avec cette association sur la participation et la prise en compte de la parole des familles.
Christophe Monnier : J’ai été positionné par ma hiérarchie qui m’a convaincu de m’y rendre. La charge de travail fait parfois hésiter à s’absenter sur toute une semaine. J’avais eu, moi aussi, des échos très positifs d’une participante de la première session. Je me suis donc présenté sans apriori particulier et ouvert à tout ce qui pouvait nous être proposé.
 
Comment cela a-t-il commencé ?
Antoine Bourdet : J’ai été très déstabilisé de ne pas pouvoir échanger directement avec les militants d’ATD, du moins pendant les deux premiers jours. Nous n’étions pas autorisés à parler entre nous, même pendant les pauses. Les animateurs du stage nous ont posés cette règle d’emblée, en expliquant l’avoir établie à la suite des premières expériences de ce type de co-formation, afin de permettre au dialogue de se nouer progressivement.
Christophe Monnier : nous nous sommes effectivement retrouvés à travailler chacun dans notre « groupe de pairs » : six travailleurs sociaux, sept cadres et cinq militants d’ATD, sans aucun contact les uns avec les autres. Ce n’est qu’ensuite que nous avons commencé à travailler ensemble. Nous avons eu quelques apports sur la parentalité ou sur l’association ATD quart monde. Mais, pour l’essentiel, nous avons été sollicités par des exercices très impliquants : photo langage, théâtre forum, rédaction d’affiches, utilisation de post-it…
 
Comment ces supports ont-ils été utilisés ?
Christophe Monnier : Nous avons commencé par le photo langage. Chacun devait choisir une photographie qui lui faisait penser au mot « professionnel ». Puis, nous en retenions une par groupe de pairs. Quand nous avons mis en commun nos trois choix respectifs, ce fut le choc. Les professionnels avaient sélectionné l’image d’un bateau dans la tempête, symbolisant les difficultés du travail quotidien. Les militants d’ATD avaient choisi la photo d’une pierre tombale, à l’image de ce que pouvaient provoquer les travailleurs sociaux. Je vous laisse imaginer le froid que cela a créé. Je me suis dit qu’on devait travailler ensemble pendant quatre jours et que cela n’allait pas être simple !
Antoine Bourdet : Connaissant ATD, je n’ai pas été totalement surpris. Mais, je n’imaginais pas une telle véhémence contre l’Aide sociale à l’enfance rendue responsable de tout, le juge des enfants étant vécu comme simple exécutant des décisions des services sociaux. Ce n’est pas un fossé, mais un gouffre qui nous séparait alors de militants décrivant combien ils se sentaient méprisés par des professionnels ne tenant aucun compte des sentiments des enfants et de leurs parents. Cela aurait été facile de nous défendre. Mais, nous n’étions pas là pour nous affronter. Il nous fallait essayer de comprendre ces réactions brutales et réfléchir à nos pratiques, au travers de ce qui nous était renvoyé.
 
Y a-t-il eu beaucoup de tensions ?
Antoine Bourdet : Tout n’a pas toujours été dit calmement. Il y a eu des éclats, de part et d’autres. Mais, à chaque fois, les animateurs du stage ont rappelé le cadre, en rappelant que les militants n’avaient pas pour objectif de faire le procès de la protection de l’enfance, mais pour rendre compte de leur vécu. Il fallait accepter de recevoir leur parole aussi dure soit-elle. C’était le contrat de départ.
Christophe Monnier : Précisons que chaque soir, un bilan était réalisé, permettant à chacun d’exprimer ses ressentis. Tous les participants avaient des vécus parfois douloureux : les professionnels avaient pu être confrontés à des actes graves de certaines familles et les militants étaient parfois directement concernés par des retraits d’enfants. Tout était fait pour provoquer, dans un premier temps, un choc des cultures. Ce n’est qu’ensuite que nous avons pu nous rapprocher. En quatre jours, c’était sans doute ambitieux. Mais, force est de constater que cela a fonctionné.
 
Par exemple ?
Christophe Monnier : Il nous a été demandé de rédiger chacun(e) le récit d’une situation. Deux ont été sélectionnées par les formateurs qui nous ont invités à les jouer en théâtre forum. Autant les militants ont facilement endossé le rôle du responsable de l’aide sociale à l’enfance, autant les professionnels se sont bien plus difficilement mis dans la peau d’une famille d’enfant placé. Cela nous a fait réfléchir sur la nécessité de ne pas prendre en compte seulement la dimension négative des problématiques familiales. Et puis, il y a eu ces critiques des militants d’ATD sur le langage technique et incompréhensible que nous employons si souvent. Nous avons souvent du reformuler nos propos.
Antoine Bourdet : A la fin de chaque exercice, il nous était demandé de réfléchir aux conditions de réussite : que faudrait-il faire pour que cela se passe mieux ? Cela nous a permis de formuler des propositions positives. Nous ne restions pas ainsi bloqués sur les seuls dysfonctionnements.
 
Quel bilan en tirez-vous ?
Christophe Monnier : Ce que je retiens le plus, c’est cette rencontre avec des militants qui se sont exposés avec courage. Ils ont exprimé leur point de vue avec des mots simples et toujours justes. Cette formation a été pour moi très déstabilisante. J’en suis sorti bousculé. Le face à face que nous avons vécu est pour le moins particulier ; à la fois étonnant et innovant. Si cette co-formation m’a beaucoup apporté, j’ai par contre été gêné, à certains moments, par la diabolisation de la protection de l’enfance vécue parfois comme invariablement persécutrice et la victimisation systématique des familles. Nous n’étions pas là pour adopter le même point de vue, mais pour mieux nous comprendre mutuellement : objectif atteint !
Antoine Bourdet : Même si j’ai compris la pertinence des limites qui nous ont été posées, je reste frustré de n’avoir pu autant que je l’aurais souhaité pouvoir échanger avec les militants d’ATD.
Pour autant, j’ai trouvé cette expérience de co-formation très enrichissante. Je ne venais pas pour avoir des réponses, mais pour interroger ma pratique. Aujourd’hui, je me pose plein de questions. Comment vraiment prendre en compte la parole des familles ? Cette question interroge par exemple la rédaction des rapports que nous adressons au juge. Si l’analyse des professionnels doit y être présente, comment retranscrire le plus objectivement possible les arguments qui nous sont opposés par les familles ? Les militants d’ATD sont bien placés pour dénoncer la précarité qui frappe aussi les familles d’enfants confiés à l’ASE. Comment tenir compte du contexte environnemental de cette grande pauvreté qui fait aussi partie de la réalité quotidienne de ces familles et qui n’apparaît pas toujours dans ces mêmes rapports ? La loi de 2007 a rendu obligatoire le projet pour l’enfant. Comment éviter que ce soit un document formel et en faire un véritable outil de travail en commun avec l’enfant et sa famille, support à l’expression de leur parole ? Oui, cette co-formation m’a beaucoup apporté. Il s’agit maintenant de le traduire dans nos pratiques.
 
 Christophe Monnier et Antoine Bourdet sont cadres éducatifs en protection de l’enfance

(1) L’Association Régionale du Réseau des Instituts de Formation en Travail Social (ARRIFTS) regroupe les formations du travail social dans les Pays de Loire (www.arifts.fr)

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1180 ■ 04/03/2014