Cohn Bendit Gabriel - Pédagogies actives

Co-fondateur d’un lycée expérimental (1982), fondateur du Groupement des retraités éducateurs sans frontières (1988), membre du « Conseil national de l’innovation » à l’origine d'une quinzaine d’établissements expérimentaux (2001), fondateur du « Réseau éducation pour tous en Afrique » (2003) … une constante dans le riche parcours de Jean-Gabriel Cohn Bendit : la défense des pédagogies actives.
 
Si vous aviez à définir le concept de pédagogie active, quels éléments essentiels retiendriez-vous, pour le décrire ?
Jean-Gabriel Cohn Bendit : le mieux pour définir ce qu’est la pédagogie active est de partir de ce qui se passe actuellement à l’école. Alors qu’en maternelle, l’enfant est encore laissé à peu près libre de ses mouvements, l’arrivée en cours préparatoire est marquée par une discipline nouvelle pour lui : il doit rester assis, il ne doit plus bouger et il doit écouter le maître. La pédagogie active présente cette particularité de permettre à l’enfant de se lever, s’il doit aller chercher un document dont il a besoin, de discuter avec les autres, du moment qu’il le fait sans déranger la classe, et de travailler en groupe, sans craindre d’être soupçonné de tricher. Dans l’école, telle qu’elle est aujourd’hui, l’enseignant applique un programme qui est le même pour tous les élèves. La pédagogie active essaie de partir des centres d’intérêt spécifiques de l’enfant, différents pour chacun. L’objectif poursuivi est de le mettre en mouvement, à partir de ses propres désirs de connaissance. Ces principes des pédagogies actives sont parfois très anciens, comme le montre l’expérience de « l’école mutuelle », pratiquée dès la moitié du 18ème siècle, et qui consistait à ce que chaque élève apprenne à un autre élève ce que lui-même avait appris.
 
Quels sont, pour vous, les principaux atouts des pédagogies actives … ?
Jean-Gabriel Cohn Bendit : Ce qui me semble fondamental dans les pédagogies actives, c’est que l’on cherche avant tout à ce que l’élève ait envie de travailler. Leur fondement réside dans la volonté de stimuler sa motivation. Ce qui devrait constituer la préoccupation centrale de tout pédagogue. Mais, ce que désinvestit massivement l’école actuelle qui utilise comme seul et unique outil de motivation la notation. Les élèves ayant eu une mauvaise note maudissent le prof. Les autres font tout pour en avoir une bonne. Cette méthode n’est pas là tant pour mesurer ce qui est acquis, que pour classer des enfants qui n’ont plus alors qu’une préoccupation : savoir devant et derrière qui, ils se trouvent. La pédagogie Freinet, par exemple, a trouvé d’autres moyens pour mesurer la progression des élèves, sans les placer en compétition, les uns avec les autres. Elle passe contrat avec chacun sur ce qu’il pense pouvoir réussir et lui accorde un brevet, quand il y arrive, à l’image des ceintures de couleur différente en judo.
 
… Et leurs principales faiblesses ?
Jean-Gabriel Cohn Bendit : c’est peut-être leur éparpillement. Cette diversité pourrait être considérée comme un avantage, si les différentes méthodes s’enrichissaient réciproquement de leurs différences. Malheureusement, on a vu se constituer des chapelles qui se concurrencent, en s’excluant les unes, les autres et en privilégiant le travail dans l’entre soi. Cela débouche parfois sur un caractère sectaire qui nuit à leur développement. Il y a bien eu des tentatives de fédérer les diverses associations. Mais cela est resté une affaire réservée aux directions nationales. A la base, on ne se parle pas et chacun reste dans son coin.
 
Y a-t-il d’autres raisons expliquant la confidentialité persistante de ces méthodes ?
Jean-Gabriel Cohn Bendit : l’une des raisons essentielles relève du mode de recrutement des enseignants. Ils sont sélectionnés à partir non d’une capacité à faire face à un groupe d’enfants, mais sur des bases uniquement disciplinaires. Beaucoup d’entre eux se contentent de dispenser leur cours, sans réfléchir aux méthodes pour qu’ils soient assimilés. Ils ne comprennent pas qu’on ne puisse pas comprendre, puisque eux sont parvenus à le faire. Ils sont convaincus qu’il suffit de se mettre au travail pour réussir, comme eux l’ont fait. Autrefois, les instituteurs étaient souvent issus des couches pauvres de la population. Ils savaient comment réagir face à des enfants issus des mêmes milieux qu’eux. Aujourd’hui, il faut avoir un BAC+5 pour enseigner. La plupart des profs font connaissance avec les milieux populaires, en entrant dans leur première salle de cours : la jeune fille de bonne famille qui veut apprendre du Molière à une bande de loulous se fait vite chahuter. Philippe Meirieu rapporte cette anecdote, datant de l’époque où il était directeur de l’IUFM de Lyon. Alors qu’il proposait un cours sur la dynamique de groupe à l’intérieur de la classe, ses élèves - de futurs enseignants- lui ont affirmé que la gestion du groupe d’élèves ne relevait pas de leurs compétences. Si l’un d’entre eux chahutait de trop, il fallait l’exclure. C’était, alors, à l’administration de l’établissement de s’en débrouiller. Cet exemple montre comment un certain nombre d’enseignants n’ont pas le souci de la manière de transmettre leurs connaissances et combien ils sont loin des méthodologies actives qui placent cette question au cœur de leurs réflexions.
 
Pour quelles raisons, selon vous, l’utilisation des pédagogies actives est plus développée dans le monde de l’animation, que dans celui de l’enseignement ?
Jean-Gabriel Cohn Bendit : C’est tout simplement parce que l’éducation populaire est née dans un tout autre esprit que l’école. On doit à Calvin d’avoir créé la première scolarité obligatoire. Cela se passait à Genève et il s’agissait de combattre le démon dans les jeunes esprits. L’école républicaine, gratuite, laïque et obligatoire, quant à elle, a été fondée en 1882, aussi pour préparer les petits citoyens à devenir des soldats et reconquérir l’Alsace et la Lorraine. Ce qu’ils feront entre 1914 et 1918. L’éducation populaire, depuis sa fondation, a toujours cherché à développer la curiosité, l’esprit d’initiative, la créativité chez l’enfant. Elle affirmait d’ailleurs vouloir agir en dehors de l’école. Cette distinction placera nombre d’instituteurs dans des postures très contradictoires : quand ils agissaient comme enseignants, ils imposaient chez leurs élèves une discipline fondée sur la soumission et la passivité. Par contre, quand ils étaient moniteur de colonie de vacances, comme c’était souvent le cas, ils employaient des méthodes très actives. Je pense que l’éducation populaire devrait un peu plus inspirer l’école. Je suis même persuadé qu’on ne devrait pouvoir enseigner, qu’après avoir obtenu son BAFA. Ce Brevet n’est pas seulement un examen théorique. On ne l’obtient qu’après s’être mesuré à son public. On y a été confronté, on en eu peur, on a su le gérer. Toutes choses qui manquent totalement aux jeunes enseignants qui commencent leur métier. Cette expérimentation, si elle n’est pas suffisante -comme on le dit souvent en mathématique- est au moins nécessaire, ne serait-ce que pour apprendre comment faire pour faire face au groupe classe.


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Jacques Trémintin - Journal de L’Animation  ■ n°151 ■ septembre 2014