Renoux Christian - La Guerre

Parler de la guerre, c’est montrer comment essayer de l’éviter

Christian Renoux enseigne l’histoire moderne et l’histoire de la non-violence, à l’université d’Orléans en tant que maître de conférences. Il préside la « Coordination pour l’éducation à la non-violence et à la paix » créée en 2000, qui réunit un réseau de quatre vingt cinq associations françaises. Il préside également la « Coordination internationale pour une culture de non-violence et de paix ».
 
Existe-t-il, pour vous, des guerres qui sont justes et/ou qui se justifient ?
Non. Une guerre n’est jamais « juste », parce qu’elle est toujours destructrice et source de nombreuses violences, ainsi que de nombreux morts. C’est toujours une catastrophe pour les populations civiles qui en sont les premières victimes. En 2005, l’ONU a validé la notion de « responsabilité de protéger », autorisant les États à intervenir dans des situations tels les génocides, les crimes de guerre, les nettoyages ethniques ou les crimes contre l’humanité. Certains y voient la définition d’une guerre juste, dès lors où elle serait menée pour lutter contre de tels actes. Mais, faire la guerre est une façon paradoxale de protéger un peuple, puisqu’en même temps elle détruit. Ce qui est urgent n’est donc pas d’essayer de définir si les motifs d’une guerre sont légitimes ou pas, mais de développer les moyens non-violents afin régler les conflits, avant qu’ils ne débouchent sur des guerres.
                                                                   
Faut-il chercher qui, parmi les belligérants, a raison et qui a tort ?
Je répondrai de la même façon que précédemment, en affirmant : non. La plupart du temps, une guerre naît d’une escalade d’agressions, dans le cadre d’un conflit entre nations : chaque belligérant cherche alors à défendre ses intérêts ou se défendre soi-même. De ce point de vue, chacun a des raisons d’entrer en guerre, mais tout le monde a tort d’utiliser la violence, pour régler le conflit. Plutôt que de chercher en détail qui a tort, qui a raison, il faut mieux chercher à trouver la solution la plus juste au conflit, c’est-à-dire la solution qui respectera au mieux les besoins de chaque partie.
 
Comment réussir à ne plus confondre les célébrations des guerres qui semblent les justifier, avec le devoir de mémoire du aux morts ?
Aujourd’hui, 90 % des victimes des guerres ou des conflits armés sont des civils, dont beaucoup de femmes et d’enfants. La mémoire de ces victimes des deux camps doit être entretenue. Les soldats morts lors des guerres sont aussi des victimes de ces guerres. S’il faut effectivement lutter contre l’oubli de toutes ces victimes, ce ne sont pas les guerres qu’il faut commémorer, mais le retour à la paix.
 
Comment préserver notre crédibilité, quand nous sanctionnons des enfants ou des adolescents qui se battent, alors que dans le monde qui les entoure certains groupes d’adultes ne cessent de s’entretuer ?
En dénonçant aussi les guerres. Toutes les violences doivent être délégitimées, dans un but pédagogique. Si je demande à un enfant de ne pas utiliser la violence, je dois, moi aussi, éviter de l’utiliser et surtout ne jamais justifier de son utilisation. Comment sinon être crédible ? Dénoncer les guerres et le recours à la violence sous toutes ses formes (y compris éducatives et domestiques) permet seul de rester cohérent.
 
Faut-il interdire aux enfants de jouer à la guerre ?
Interdire de jouer à la guerre n’a pas vraiment de sens, s’il s’agit d’une interdiction isolée, sans présenter une autre manière de s’amuser. Éduquer à une culture de non-violence est un enjeu important qui passe par le refus de légitimer la violence dans les jeux d’enfants et par une volonté, opposée, de développer un esprit de coopération par le jeu. Dans cette logique, les éducateurs doivent proposer aux enfants d’autres jeux que des jeux guerriers ou des jeux violents, même symboliquement. Notre site Internet propose une centaine de fiches présentant diverses activités pédagogiques, de l’école maternelle au lycée. Il faut, sans cesse, s’interroger sur le sens des jeux proposés, sur les valeurs ou les exemples qu’ils véhiculent. Pourquoi faudrait-il, par exemple, qu’un grand jeu de colonies consiste à attraper un animal ou un méchant, pour le mettre à mort ? Ne peut-on pas atteindre les mêmes objectifs pédagogiques, avec un scénario non-violent et positif ? Un débat existe aussi sur l’influence des jeux vidéos à base de violence : certains chercheurs leur voient une fonction catharsistique. Mais, bien d’autres dénoncent le risque prouvé d’effets pervers sur des enfants ou des adolescents à la psychologie fragile et de risque de passages à l’acte.
 
Comment expliquer à des enfants et à des adolescents la récurrence de comportements qui apparaissent comme absurdes et illogiques ?
La répétition des guerres et des conflits armés s’explique principalement par le fait que la culture de la violence reste dominante dans notre monde et que le recours à la violence reste légitime pour les États, pour se défendre ou pour des populations opprimées pour défendre leurs intérêts. Tant qu’on ne remet pas en cause cette culture, la guerre reste possible.
 
Si vous aviez trois propositions à faire à des animateurs, pour aborder la question de la guerre avec les enfants, quelles suggestions feriez-vous ?
Je leur conseillerais, tout d’abord, de ne pas traiter la question de la guerre seule, mais toujours de la lier à celle de la paix. Il faut rappeler que la paix n’est pas une simple absence de guerre - ce qui est déjà important. C’est le résultat d’un travail permanent d’une société entière, pour maintenir des conditions de vie en société qui permettent d’éviter que les conflits ne débouchent sur des guerres. Cela veut dire l’engagement du plus grand nombre pour développer une démocratie participative, pour défendre et promouvoir les droits humains (dont les droits des enfants), pour assurer une justice économique et sociale à l’intérieur d’un pays et entre les pays, et pour renforcer une véritable justice internationale. Ainsi, notre Coordination propose aux enfants et à leurs enseignants ou éducateurs, dans le cadre de sa 6e Quinzaine de la non-violence et de la paix (21 septembre - 2 octobre), de « Déclarer la paix » en cette année du centenaire de la Première guerre mondiale. La seconde proposition que je ferais à des animateurs soucieux d’aborder d’une manière constructive la question de la guerre et de la paix, serait de réfléchir avec les enfants et les adolescents sur la résolution non-violente de leurs propres conflits, en partant de leurs expériences personnelles : dialogue, respect, écoute, médiation. Enfin, ils pourraient aussi réfléchir sur les méthodes de résolution non-violente de certains conflits nationaux ou internationaux, dans l’histoire, qui ont permis à des causes de triompher. Ils peuvent ainsi s’appuyer sur des exemples comme l’accession à l’indépendance par la non-violence de l’Inde en 1947 avec Gandhi, la lutte pour les droits civiques aux États-unis avec Martin Luther King, la révolution démocratiques aux Philippines en 1986 ou la fin de l’Apartheid en Afrique du Sud avec Nelson Mandela.


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Sites à consulter :
www.nvpnetwork.net
http://education-nvp.org/6e-quinzaine-de-la-non-violence-et-de-la-paix-je-declare-la-paix

 
Jacques Trémintin - Journal de L’Animation ■ n°152 ■ octobre 2014