Schuhl Christine - La petite enfance

« Faire confiance en l’enfant et respecter son rythme »

Éducatrice de jeunes enfants, conseillère pédagogique Petite enfance auprès d’équipes de professionnels et rédactrice en chef de la « revue de la petite enfance » Elsevier Masson.
 
Le petit enfant n’est pas un adulte en miniature. Il faut nous adresser à lui et nous comportera son égard, en respectant son évolution, sa singularité et ses capacités. Plus que ce que nous lui disons, c’est la façon dont nous nous adressons à lui disons qui compte. Bienveillance, optimisme et tact sont les postures des adultes qui lui permettront de progresser et de grandir dans les meilleures conditions.
 
 
JDA : comment s’adresser à des petits, afin qu’ils nous comprennent ?
Christine Schuhl : en s’assurant qu’ils aient bien décodé ce que nous leur disons. Pour cela, il faut d’abord utiliser un vocabulaire adapté. Mais, c’est aussi en adoptant une posture nous permettant d’être le plus accessible possible. L’intention de l’adulte doit s’ajuster à leur capacité de compréhension. Même s’ils ne savent pas toujours interpréter le sens de tous les mots qu’ils entendent, ils sont très sensibles à la tonalité de la voix de celui qui leur parle, réussissant ainsi à capter son état émotionnel. Quand on dit à un enfant qui a fait une bêtise : « tu t’assois là, tu te calmes et tu réfléchis à ce que tu as fait », cela n’aura pas grand sens pour lui. Nous devons lui parler normalement, en appelant un chien, un chien et non un « ouah ouah », tout en faisant attention à ne pas lui adresser des discours trop complexes. Autre facteur essentiel, le tact employé en sa présence : la qualité de la relation et la disponibilité vont beaucoup contribuer à l’aider à comprendre ce qui se passe. A l’inverse, une intention décalée de l’adulte se montrant impatient et cherchant à obtenir un résultat rapidement placera l'enfant dans une situation très difficile.
 
JDA : comment peut-on aménager la période de séparation d’avec les parents, pour la rendre moins douloureuse ?
Christine Schuhl : on attribue trop souvent à la séparation, des connotations péjoratives et négatives, parlant même d’un processus de deuil. Alors qu’il n’y a aucune fatalité à ce qu’elle prenne une dimension dramatique. Il est important, pour cela de toujours la coupler avec des retrouvailles. Le matin, l’enfant quitte ses parents pour retrouver simultanément un animateur ou un éducateur qu’il connaît et avec qui il a tissé un lien positif. Et inversement, le soir, quand il se sépare du professionnel, c’est pour retrouver ses parents. Ce n'est donc jamais une confrontation avec le vide, mais c'est une source de bonheur. Pour que cela fonctionne, il faut bien sûr que le parent autorise son enfant à vivre un moment sans lui. Mais, tout autant pour le professionnel qui doit savoir lâcher prise, en positivant auprès de l’enfant son retour auprès de papa et maman. Dès lors où tout le monde est en phase, que l’enfant n’est pas placé devant un conflit de loyauté et qu’il ressent la cohérence des différents adultes qui l’entourent, l’invitation qui lui est faite de s’ouvrir sur le monde extérieur et de vivre des expériences sans ses parents peut être très bien vécu.
 
JDA : comment réagir face à deux petits se disputant pour avoir le même jeu ?
Christine Schuhl : face à ce type de dispute, on retire l’objet du litige et puis on discute pour savoir ce qui se passe. Plus les enfants sont grands, plus on pourra essayer de négocier des concessions. Mais plus ils sont petits, moins ce sera facile. Il faut essayer d’anticiper. Et la meilleure manière d’y parvenir, c’est d’acheter le plus possible des jeux totalement identiques. Par expérience, je peux vous assurer que l’on réussit ainsi à réduire les occasions de conflit de plus de la moitié. C’est très impressionnant. Si les petits convoitent parfois l’objet possédé par l’autre, ils sont le plus souvent dans l’imitation en miroir. Dès qu’on leur fournit le même objet, de la même forme et même couleur, et qu’on leur donne l’occasion de l’animer de la même façon que fait l’autre, on évite bien des disputes.
 
JDA : quelle répartition conseillez-vous, dans l’emploi du temps, entre les activités libres et les activités organisées ?
Christine Schuhl : les enfants adorent les activités dirigées, mais il ne faut pas tout le temps courir après cela. Il faut faire attention à ne pas tomber dans l’activisme. Il est aussi important de prévoir de jeux libres, pensés dans des aménagements adaptés, où l'enfant peut jouer, au rythme de ses inspirations. Nous sommes dans une société où l’on sur stimule les enfants : il faut produire des résultats et montrer aux parents ce que les professionnels font avec leurs enfants. Si ce n'est pas fait, les familles sont les premières à le réclamer. Les enfants peuvent saturer de coller des gommettes à l’école, puis chez papa-maman le week-
end et encore au centre de loisirs.
 
JDA : comment concevez-vous l’organisation de ces repas qui sont parfois tumultueux et assourdissants ?
Christine Schuhl : il y a une réflexion à mener au niveau de l’aménagement des temps et des espaces, pour rendre ces repas moins stressants. On peut, par exemple, privilégier des petits groupes, pour éviter les ambiances hyper bruyantes. Mieux vaut faire se succéder, à un quart d’heure d’intervalle, trois ou quatre groupes d’enfants plutôt que de les faire manger à soixante, en même temps. Cela nécessite l’organisation d’une circulation qui favorise la fluidité, tout en apportant une plus grande sérénité. Bien sûr, cela dépend beaucoup de la configuration des locaux et des moyens mis à disposition. Tout cela se réfléchit en équipe, en amont.
 
JDA : quelles seraient les conditions idéales pour organiser les temps de sieste ?
Christine Schuhl : le principe central, c’est le respect du rythme des enfants. Ils peuvent être répartis par petits groupes, dans des salles différentes. On respecte les rituels d’endormissement, en faisant attention aux doudous. Un animateur reste dans les dortoirs.
C’est important qu’il connaisse comment fonctionnent les petits et quels sont leurs besoins affectifs, émotionnels, moteurs, physiques. On laisse également les enfants se réveiller par eux-mêmes. Quand on doit malgré tout le faire, on agit avec bienveillance : un mot gentil pour chacun, une caresse sur la joue…
 
JDA : comment voyez-vous la gestion de la propreté ?
Christine Schuhl : c’est l’enfant qui décide. Et il faut accepter que ce soit ainsi, sans craindre qu’il ne devienne ensuite un enfant tyran. On l’encourage, sans le juger, ni faire de comparaison avec son copain qui est devenu propre avant lui. On doit lui faire inconditionnellement confiance : cela arrivera, quand il sera prêt, peu importe le temps qu’il mettra. Et, sauf pathologie particulière, il y parviendra.
 
JDA : quelles doivent être, selon vous, les trois qualités principales der tou(e) intervenant(e)
auprès de la petite enfance ?
Christine Schuhl : d’abord, la capacité à se sentir totalement présent et réellement disponible pour l’enfant : être dans l’ici et le maintenant. Ensuite, croire profondément en lui : savoir qu’il va grandir, progresser et qu’il y arrivera. Enfin, nous avons un devoir de bonheur à son égard, en étant dans un optimisme réel. Cela implique d’éviter de nous épancher sur nos difficultés d'adultes auprès d’eux. Si nous leur montrons que le bonheur est possible, peut-être que la société de demain sera moins tourmentée et plus heureuse.


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Jacques Trémintin - Journal de L’Animation  ■ n°156 ■ juin - juillet 2015